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Balbutiements chroniques, par Sophie Torris…

Publié le 05 juin 2013 par Chatquilouche @chatquilouche

Cher Chat,Balbutiements chroniques, par Sophie Torris…

Vous est-il déjà arrivé de déraper ?  Votre prestige est blanc comme neige et puis un jour, vous vous essayez à un petit hors-piste et vous faites une malheureuse faute de carre.  C’est votre première erreur de parcours et elle est parfois même insignifiante, mais elle fait boule de neige.

Claude Charron[1] était dans les traces de René Lévesque quand sa carrière a pris un méchant virage.  Voilà l’exemple d’un homme brillant et intègre dont la réputation s’est mise à fondre comme neige au soleil à cause d’un seul mauvais piqué du bâton.

Si d’honnêtes gens deviennent ainsi injustement d’abominables hommes des neiges et patinent pour retrouver sans succès leur intégrité, d’autres, par contre, godillent toute leur vie sans souci, parfaitement à l’aise dans leur sloche[2].

Alors qui sont ces hommes et femmes Téflon sur lesquels rien n’adhère, ces fines lames que toute attaque laisse de glace ?  Interrogeons-nous, cher Chat, sur cet art de la glisse, voulez-vous ?  Montez à bord de mon brise-glace et mettons nos péniches[3] dans le plat.

Pour ce faire, je jetterai donc l’encre dans la baie d’un hypothétique port de croisière afin d’y analyser comment un tout aussi hypothétique vieux gréement peut y rester une figure de proue malgré de multiples embardées.  Mais attention, le Chat, vous risquez d’avoir le mal de maire !

Il était donc une fois, le maire de ce petit port de croisière.  Vous comprendrez que c’est à l’abri de la fiction que j’en fais sans trembler là-là, un personnage Téflon qui a plus d’un tour dans son sac de nœuds.  Il s’agit ici de bien comprendre cet art complexe qu’est l’art de la glisse et plus précisément de mieux saisir comment réussir à larguer toutes les amarres quand on se mouille pourtant jusqu’à l’ancre.

C’est ainsi que dans notre histoire, notre Téflon, qui tient à son gouvernail, provoque régulièrement de son plein gré les quarantièmes[4] rugissants dans le but non avoué de profiter des vents arrières furibonds pour tirer de nouveaux bords.  Plus clairement, il s’agit pour gagner en popularité de susciter une polémique afin d’exciter quelques attaques publiques à son endroit et ainsi se faire passer pour victime auprès de ses citoyens : « On veut me faire chavirer !  Qui sont ces pirates venus d’ailleurs pour nous donner des leçons ?  Dieu m’en est témoin, ils ne savent même pas crier “À l’abordage !” en français !  Et quand ils ne hissent pas les voiles sur le front de leurs femmes, ils sont à voile et à vapeur ! »

Balbutiements chroniques, par Sophie Torris…
Je n’ai pas besoin de faire dériver le monologue plus loin, ni de m’aventurer en plein maire.  Vous avez compris, le Chat, que le Téflon n’argumente pas.  Son secret pour que l’antiadhésif tienne bon, c’est de ne jamais entrer dans les débats de fond, mais tout simplement de décrédibiliser l’attaquant en surfant adroitement sur la vague populiste.  Imaginons que les reproches émanent d’un étranger ou d’un citadin de la grande ville – qu’il soit laïc ou d’une autre confession, universitaire ou artiste –, les bouées de sauvetage de notre Téflon seront la fierté régionale, la foi chrétienne et le gros bon-sens.

L’art de la glisse consisterait donc à se légitimer en délégitimant l’autre, à s’en prendre au messager plutôt qu’au message.  En stigmatisant ainsi celui qui s’oppose, on détourne tout simplement le problème.

Le proverbe « Qui pisse au vent mouille son caban » devient alors caduc et on peut se demander, cher Chat, si tout cela ne frise pas un peu la malhonnêteté intellectuelle.

C’est ainsi que dans la baie d’un hypothétique petit port de croisière, je lance ma bouteille au maire.

Sophie


[1] En 1981, Claude Charron, numéro deux du gouvernement québécois, est impliqué à tort dans un réseau de production de films de pornographie juvénile.  Victime de ce sale coup, son homosexualité, jusqu’alors gardée secrète par le Parti québécois, est étalée au grand jour.  Blessé, frustré et désillusionné, il vole bêtement un manteau de 125 $ chez Eaton.  Pris sur le fait, il doit faire face à une plainte au criminel déposé par le magasin.  Il quitte le monde politique de son propre chef, dans une aura de scandale qui entache à jamais une image jusqu’alors parfaite.

[2] Au Québec, mélange de neige fondue et de boue sur la chaussée.

[3] Souliers ou pieds en argot français classique.

[4] Région maritime.

Notice biographique

Balbutiements chroniques, par Sophie Torris…
Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis 15 ans. Elle vit à Chicoutimi où elle enseigne le théâtre dans les écoles primaires et l’enseignement des Arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire. Parallèlement à ses recherches doctorales sur l’écriture épistolaire, elle entretient avec l’auteur Jean-François Caron une correspondance sur le blogue In absentia à l’adresse : http://lescorrespondants.wordpress.com/.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

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