Par arrêt rendu ce 5 juin 2013, le Conseil d'Etat a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité, soulevée par un producteur d'énergie solaire et relative à la conformité à la constitution des dispositions de la loi Grenelle 2 du 12 juillet 2010, modifiant le régime juridique des contrats d'achat d'énergie solaire.
L'arrêt n°366671 rendu le 5 juin 2013 par le Conseil d'Etat peut être consulté ici.
L'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité - un producteur d'énergie solaire - contestait la conformité à la Constitution des dispositions du 3° du III de l'article 88 de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 ayant modifié l'article 10 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.
Rappelons que ces dispositions de la loi du 12 juillet 2010 dont la constitutionnalité était ainsi interrogée précisent :
"Les contrats régis par le présent article sont des contrats administratifs qui ne sont conclus et qui n'engagent les parties qu'à compter de leur signature. Le présent alinéa a un caractère interprétatif."
Ces dispositions sont issues d'un amendement gouvernemental, déposé et adopté sans débat au Parlement, au terme de l'examen du projet de loi dont est issue la loi du 12 juillet 2010. Aux termes de ces dispositions qui sont désormais insérées au sein de l'article 10 de la loi du 10 février 2000 :
- d'une part, les contrats d'achat d'électricité solaire sont des contrats administratifs et leur contentieux relève du juge administratif
- d'autre part, ces contrats d'achat ne sont conclus et ne produisent d'effets de droit qu'à compter de leur signature. Il ne peut donc y avoir de relation contractuelle obligeant les parties antérieurement à cette double signature.
- enfin, la deuxième phrase signifie que cette qualification juridique vaut pour tous les contrats conclus.
J'ai maintes fois commenté cette règle sur ce blog et en colloque. J'ai maintes fois regretté qu'elle n'ait pas tout de suite attiré davantage l'attention. Non pas tant parce qu'elle qualifie ces contrats de contrats administratifs. Mais parce qu'elle fixe précisément la date à laquelle ledit contrat existe et produit des effets de droit : à la date de sa signature part les parties.
Concrètement, tant que le contrat n'est pas ainsi signé, le tarif d'achat n'est pas sécurisé. Et celui-ci ne le sera que postérieurement à la mise en service de l'installation de production d'énergie. Une difficulté majeure pour la sécurité juridique des projets et, partant, pour leur financement.
Revenons à l'arrêt rendu ce 5 juin 2013 par le Conseil d'Etat.
En premier lieu, la Haute juridiction indique que cette disposition de l'article 88 de la loi Grenelle 2 ne porte pas atteinte à des situations légalement acquises ni au principe de sécurité juridique :
"3. Considérant, en premier lieu, que, d'une part, le litige soulevé par la société X a trait au préjudice subi par cette société à raison d'un contrat tacite qui serait né après le dépôt d'une demande de raccordement regardée comme complète au 1er août 2010 ; que ce contrat aurait ainsi été conclu, en tout état en cause, après l'entrée en vigueur de la loi du 12 juillet 2010 ; que la deuxième phrase de l'alinéa inséré par le texte contesté à l'article 10 de la loi du 10 février 2000, qui est divisible des autres dispositions du même alinéa, n'est par conséquent pas applicable au litige dont est saisi le tribunal administratif de Pau ; que, par suite, la société X n'est pas fondée à demander que la question de sa conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution soit renvoyée au Conseil constitutionnel ; que, d'autre part, les dispositions de la première phrase relatives à la nature administrative des contrats en cause n'énonçant aucune règle quant à leur application dans le temps, la société requérante ne saurait sérieusement soutenir qu'elles portent atteinte à des situations légalement acquises ni, en tout état de cause, au principe de sécurité juridique ;"
Le "contrat tacite" dont l'existence était défendu par la société serait en effet né postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 12 juillet 2010.
En second lieu, le Conseil d'Etat souligne que les contrats d'achat d'énergie ne sont pas au nombre des "matières réservées par nature à l'autorité judiciaire. Rien ne s'opposait donc à ce que le législateur désigne le juge administratif comme étant compétent pour en connaître :
"4. Considérant, en deuxième lieu, que les litiges relatifs aux contrats passés en application de l'article 10 de la loi du 10 février 2000 ne sont pas au nombre des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire ; que le législateur a pu conférer à ces contrats un caractère administratif sans méconnaître le principe de séparation des pouvoirs ni, en tout état de cause, l'objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice ;"
En troisième lieu, le Conseil d'Etat juge que le principe d'égalité n'est pas violé, qu'aucun régime exorbitant de droit public n'a ainsi été créé spécifiquement pour l'opérateur en charge de l'obligation d'achat et, surtout, que les dispositions litigieuses n'ont pas modifier l'économie des contrats en cause :
"5. Considérant, en dernier lieu, que la société X. soutient que ces dispositions sont contraires au principe d'égalité dès lors qu'elles permettent à la société EDF de bénéficier d'un régime exorbitant de droit public et d'une exonération de sa responsabilité, alors que cette dernière est une société de droit privé ; que toutefois, les dispositions contestées se bornent à attribuer à la juridiction administrative le règlement des litiges nés des contrats prévus à l'article 10 de la loi du 10 février 2000 et à fixer leur date de conclusion ; que ces dispositions n'ont ni pour objet, ni pour effet de modifier l'économie des contrats en cause, dont le régime juridique est entièrement déterminé par la loi"
Cette dernière phrase est sujette à controverse.
Antérieurement au vote de cet article 88 de la loi Grenelle 2, de nombreux producteurs pensaient, non sans motifs, que le contrat d'achat engageait l'autorité en charge de l'obligation d'achat dés communication du projet de contrat d'achat, sans attendre la double signature dudit contrat.
La thèse selon laquelle un échange de volontés se réalisait en amont de cette double signature était tout à fait défendable. et c'est bien pour y mettre un terme que le Gouvernement est intervenu par voie d'amendement. L'hypothèse selon laquelle l'économie générale de ces contrats n'a pas été modifiée peut être discutée.
Dernière remarque mais pas la moindre : force est de constater que la procédure de filtre préalable à la transmission de la QPC au Conseil constitutionnel confère un pouvoir de contrôle de constitutionnalité de la loi au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. L'arrêt ici commenté procède bien d'une analyse de la constutionnalité d'une loi. Un point assez peu commenté par la doctrine.