Nous, signataires de ce Manifeste, sommes des organisations professionnelles d’exploitants ou des collectivités territoriales qui nous alarmons du devenir des salles de cinéma indépendantes, qu’elles soient privées, associatives ou publiques, en France.
Nous nous alertons du nombre important de multiplexes qui se sont créés ces dernières années, sans qu’une régulation de l’Etat puisse contenir ce phénomène (de 22 multiplexes dénombrés par le CNC en 1996, on en compte 176 en 2011, soit une dizaine de plus chaque année en moyenne. Ce mouvement est en outre loin d’être achevé: 36 projets d’implantation (dont la plupart concernent des multiplexes) ont été déposés devant les commissions départementales d’aménagement cinématographique (CDAC) en 2011, un record inégalé depuis 2001. Nous nous opposons à la concurrence frontale et profondément inégale que subissent les cinémas indépendants concernant les films art et essai dits « porteurs ». En effet, les multiplexes ont de plus en plus tendance à se positionner sur les films Art et Essai porteurs et réduisent l’activité économique des salles indépendantes principalement classées Art et Essai. Or, l’inverse n’est pas vrai : les salles indépendantes n’obtiennent pas des copies sur certains films commerciaux. A la puissance économique des multiplexes s’ajoute en plus leur appartenance à des circuits nationaux dont les moyens de pression sont multiples.
Nous nous inquiétons de la remise en cause à terme d’une politique publique de la diversité culturelle et de l’aménagement du territoire. Nous alertons sur la concentration croissante de l’activité d’exploitation dans les multiplexes qui, en menaçant la pérennité des salles indépendantes, dont beaucoup sont des salles classées Art et essai, met en péril directement la diversité des salles de cinémas, que nous savons inséparable de la diversité des œuvres proposées. Nous craignons une véritable standardisation verticale et réductrice de la diffusion des films.
Prenant acte des changements profonds à l’œuvre dans ce secteur, nous demandons, en conséquence, que soit redéfinie, dans la continuité des politiques publiques menées depuis 50 ans en matière de préservation de la diversité, une nouvelle politique apte à garantir la diversité des lieux de diffusion des œuvres cinématographiques.
Nous signataires, organisations professionnelles d’exploitants, associations ou collectivités territoriales souhaitons :
- redéfinir les modalités de la régulation de l’implantation de nouvelles salles.
Dès 1997, le législateur a pris acte de l’effet déstabilisateur de l’installation accélérée des multiplexes, et de la nécessaire protection des salles plus fragiles face à une concurrence accrue. Il a donc, sur le modèle des procédures existant pour l’implantation des super et hypermarchés, mis en place une procédure d’autorisation administrative, une commission
départementale d’équipement commercial (CDEC) étant chargée d’évaluer les effets des projets proposés. Une commission nationale (CNEC) était en outre chargée d’étudier les recours déposés par les parties pour contester les décisions des CDEC.
Cette procédure a abouti, depuis 1997, à l’autorisation de 75% des projets 1, ce qui est déjà, on le voit, considérable.
En outre, la refonte de la procédure en 2007, avec le remplacement des CDEC/CNEC par des CDAC (Commission Départementale d’Aménagement Commercial) et CNAC (Commission Nationale d’Aménagement Commercial), s’est traduite par une proportion encore plus importante de projets autorisés, les critères concernant l’effet économique sur la concurrence, déclarés incompatibles avec le droit communautaire, ayant été mis de côté.
Nous demandons que soit de nouveau pris en considération, dans la procédure d’autorisation des établissements nouveaux, leur effet sur les cinémas existants, particulièrement les cinémas qui jouent, notamment à travers la politique de l’Art et Essai et de la Recherche, un rôle d’intérêt général.
- renforcer la politique de promotion de la diversité que représente le classement Art et essai La politique de classement Art et essai de certains établissements, dont la programmation
répond à des critères de diversité, en particulier à travers la diffusion des œuvres recommandées Art et essai, est un outil puissant et efficace de politique culturelle. Elle permet aujourd’hui à un millier de cinémas français, soit la moitié du parc environ, d’accéder à des subventions liées à leur politique de programmation. Si les modalités de calcul et les critères d’appréciation du travail de programmation des cinémas méritent d’être clarifiés et revisités, il n’en reste pas moins que cette politique qualitative joue pour beaucoup dans la
diversité des œuvres proposées sur les écrans français, qui se distinguent en cela fortement des autres écrans européens.
Les moyens dévolus à cette politique sont cependant faibles. Ils ne permettent pas aux cinémas concernés de maintenir ces politiques volontaristes d’animation territoriale autour
du cinéma face à la concurrence des établissements commerciaux, qui entendent par ailleurs exploiter également les œuvres "Art et essai" dites "porteuses", c’est-à-dire celles susceptibles de trouver rapidement un public nombreux.
Nous demandons que soient réévalués les moyens dévolus à la politique Art et essai, afin que les établissements d’intérêt général que constituent les cinémas classés puissent mener une action pérenne.
Nous demandons que l’aide apportée aux salles soit accentuée en prenant réellement en compte la programmation et l’animation comme principaux critères d’évaluation.
Enfin, nous pensons qu’après la période de financement actuelle de l’équipement numérique des salles de cinéma, il faille craindre une précipitation des salles sur les mêmes titres de films. Il est donc primordial de soutenir les établissements 1 à noter que ces projets ne sont pas tous des projets de multiplexes, la procédure concernant toute implantation de cinéma comptant plus de 300 fauteuils qui conduiraient une politique affichée de diffusion des films Art et Essai et Recherche.
- revenir sur un montant de TVA identique au Livre et au Spectacle vivant.
L’augmentation du taux de TVA du ticket de cinéma de 5,5% à 7% en 2012 et la perspective d’une nouvelle augmentation du taux à 10% en 2014 va fortement fragiliser les cinémas indépendants.
Nous rejoignons l’ensemble des professionnels qui ont averti qu’en sortant fiscalement le cinéma du champ culturel, le risque est de mettre en défaut la défense de l’exception culturelle au niveau européen et d’entraîner une remise en cause de la chronologie des médias et du fonds de soutien, clefs de voûte du modèle économique du cinéma français,
auquel nous tenons tous.
Pour les salles indépendantes, cette hausse de la TVA va se trouver compensée par les lignes budgétaires consacrées aux actions culturelles (rencontres, déplacements, animations en moins). A moins que ces cinémas soient dans l’obligation d’augmenter le prix de la place de cinéma contrairement aux missions sociales et d’accès à la culture pour le plus grand nombre qui les animent.
Nous demandons donc que le taux de TVA soit ramené, pour les salles art et essai, au même taux qui concerne le Livre et le Spectacle vivant.
- favoriser l’accès aux films pour les cinémas Art et essai.
Dans la concurrence féroce qui les oppose aux multiplexes des circuits nationaux, en particulier sur les films grands publics et Art et essai dits "porteurs", les cinémas Art et essai indépendants ne luttent pas à armes égales. La possibilité de programmer ces films attendus est pourtant pour eux une nécessité économique.
Il est impératif, pour préserver ces salles, de favoriser leur accès à ces films, et donc de limiter la possibilité pour les grands multiplexes de s’assurer l’exclusivité de l’exploitation sur
ces films.
Dans une recommandation récente (juin 2012), la médiatrice du cinéma a ainsi rappelé qu’il était légitime pour les salles d’Art et essai d’avoir accès à ces films, qui ne pouvaient être réservés aux salles dites commerciales. Cette jurisprudence mérite d’être discutée et étendue, afin que la concurrence entre les salles sur ce type de programmation, inévitable,
ne se traduise pas par la loi du plus fort.
Nous demandons que soient favorisées, dans un contexte de concurrence accrue et inégale, les mesures susceptibles de permettre en priorité l’accès des salles indépendantes aux films.
Nous demandons que les obligations de programmation des grands groupes soient mieux encadrées et ne nuisent pas à l’accès aux films des salles indépendantes.
- penser le financement du renouvellement du matériel numérique
Le financement de l’équipement numérique initial a été prévu et encadré par la loi du 30 septembre 2010. Cette loi a permis d’encadrer la participation financière des distributeurs
par l’obligation d’un versement d’une contribution à la transition numérique. Elle a aussi favorisé la mutualisation du financement des salles de cinéma. Parallèlement, le CNC a mis
en place une aide spécifique, Cinénum, pour les salles indépendantes, complétant le financement de cette transition technologique. Mais cette volonté politique n’a pas prévu le
renouvellement du matériel, sachant que l’obsolescence du matériel numérique est bien plus rapide que les anciens projecteurs 35 mm. Le numérique a aussi apporté une autre manière
de présenter et de diffuser les films en salles. Cette mutation technologique entraîne des changements dans notre profession qu’il nous faut questionner pour éventuellement en
corriger les dérives.
Nous pensons qu’il est aujourd’hui utile de réfléchir collectivement avec les organisations professionnelles et les élus sur les modalités d’un financement pérenne du renouvellement du matériel de projection et sur un encadrement des normes de diffusion.
Nous craignons fortement qu’une course en avant de la technologie amène le parc de salles à se scinder une nouvelle fois en deux avec, d’une part, des salles qui seront toujours équipées des nouvelles technologies dernier cri et, d’autre part, les autres salles ne pouvant éventuellement pas diffuser certains films en raison de l’obsolescence de leur matériel.
Nous ne voulons pas que la technique de projection soit un nouveau moyen pour les grandes enseignes de créer un fossé supplémentaire dans l’exploitation et dans la diffusion cinématographique.
- valoriser l’action culturelle cinématographique et les actions éducatives
Par ailleurs, depuis 2008 et la baisse de 20% des aides d’Etat sur l’action culturelle cinématographique et les inquiétudes qu’elle avait suscitée auprès des organismes professionnels représentés au sein d’un collectif, le Blac (Collectif national de l’Action culturelle cinématographique et audiovisuelle), la politique publique en la matière n’a pas évolué.
Le gouvernement actuel annonce vouloir faire de l’éducation l’une de ses priorités. Nous demandons que les ateliers, les festivals, les opérations de connaissance et de valorisation du cinéma, les dispositifs tels que « Ecole et cinéma », « Collège au cinéma » et « Lycéens et apprentis au cinéma », les coordinations de ces dispositifs et tous les ateliers et formations qui les accompagnent, bref toutes les actions éducatives d’action culturelle cinématographique soient mieux valorisées financièrement.
Et, de façon plus large, en concertation avec les collectivités territoriales, nous souhaitons qu’à l’image de ce qui s’est fait sur le volant de la production avec les conventions
Etat/Région, l’Etat puisse réfléchir à la mise en place d’aides spécifiques à la diffusion culturelle cinématographique.
N’oublions pas que, au-delà même du rôle de diffusion culturelle, de diffusion des arts, des cultures et des savoirs, les salles de cinéma indépendantes sont des lieux de débats et d’échanges démocratiques dans nos villes, des lieux de partage entre nos concitoyens.
***
Ces volets d’actions sont intrinsèquement liés les uns aux autres. Ils allient la régulation du marché cinématographique pour une concurrence maîtrisée à la mise en place d’incitations fortes de politiques publiques en faveur de l’action culturelle et la garantie pour les salles indépendantes de disposer des outils nécessaires pour faire face à la concurrence accrue que représentent les nombreuses créations récentes ou à venir de multiplexes.
Sans ces différentes actions, nous savons que les salles indépendantes, les salles Art et essai et Recherche, déjà passablement affaiblies dans de nombreuses villes de France, devront stopper leur activité. A terme, c’est bien tout un pan de la production cinématographique qui risque de disparaître des écrans, mettant fin à la politique de diversité culturelle menée avec succès depuis un demi-siècle.
Pour la sauvegarde des salles de cinéma indépendantes, maillons essentiels de la diffusion culturelle cinématographique et souvent seuls lieux garants de débats et d’échanges démocratiques dans nos villes :
Liste des signataires au 18 avril 2013 :
ACRIF : Association des Cinémas de Recherche d’Île-de-France (60)
ACRIRA : Association des Cinémas de Recherche Indépendant de la Région Alpine (63)
Ciné-Off : Circuit itinérant d’Indre et Loire (7 Communes)
Cinéma Public : Association des salles de cinéma du Val-de-Marne (15)
Cinémas 93 : Association des cinémas de Seine-Saint-Denis (23)
Cinémas du Sud : Réseau de salles de cinémas Art et Essai et Recherche en ProvenceAlpes-Côte d’Azur (35)
Cinéphare : Réseau des cinémas de Bretagne (32)
Cinéssonne : Association des cinémas Art et Essai de l’Essonne (14)
De la Suite dans les Images : le réseau des salles de proximité en région Nord-Pas-deCalais (30)
GNCR : Groupement National des Cinémas de Recherche (87)
GRAC : Groupement Régional d’Actions Cinématographiques (64)
Graines d’Images : Association départementale de salles de cinéma de la Sarthe (12)
La Ligue de l’Enseignement (50)
La Ville du Blanc-Mesnil
La Ville de Saint-Gratien
Le Cinématographe Ciné-Nantes Loire-Atlantique (35)
MACAO 7ème ART (41