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Manifeste pour une Exploitation cinématographique indépendante

Publié le 09 juin 2013 par Enjeux Sur Image

Nous,  signataires  de  ce  Manifeste,  sommes  des  organisations  professionnelles d’exploitants ou des collectivités territoriales qui nous alarmons du devenir des salles  de  cinéma  indépendantes,  qu’elles  soient  privées,  associatives  ou publiques, en France.
Nous  nous alertons du  nombre  important  de  multiplexes  qui  se  sont  créés  ces dernières années, sans qu’une régulation de l’Etat puisse contenir ce phénomène (de  22  multiplexes dénombrés  par  le  CNC  en  1996,  on  en  compte  176  en  2011,  soit  une dizaine de plus chaque année en moyenne. Ce mouvement est en outre loin d’être achevé: 36  projets  d’implantation  (dont  la  plupart  concernent des  multiplexes)  ont  été  déposés devant  les  commissions  départementales  d’aménagement  cinématographique  (CDAC)  en 2011, un record inégalé depuis 2001. Nous  nous  opposons  à la  concurrence frontale  et  profondément  inégale que subissent  les  cinémas  indépendants concernant  les  films  art  et  essai  dits « porteurs ». En effet, les multiplexes ont de plus en plus tendance à se positionner sur les films  Art  et  Essai  porteurs  et  réduisent  l’activité  économique  des  salles  indépendantes principalement  classées  Art  et  Essai.  Or, l’inverse  n’est  pas  vrai :  les  salles  indépendantes n’obtiennent pas des copies sur certains films commerciaux. A la puissance économique des multiplexes s’ajoute en plus leur  appartenance  à  des  circuits  nationaux  dont  les  moyens  de pression sont multiples.

Nous nous inquiétons de la remise en cause à terme d’une politique publique de la  diversité  culturelle  et  de  l’aménagement  du  territoire. Nous  alertons  sur  la concentration croissante de l’activité d’exploitation dans les multiplexes qui, en menaçant la pérennité des salles indépendantes, dont beaucoup sont des salles classées Art et essai, met en  péril directement  la  diversité  des  salles  de  cinémas,  que  nous  savons  inséparable  de  la diversité  des  œuvres  proposées.  Nous  craignons  une  véritable  standardisation  verticale  et réductrice de la diffusion des films.

Prenant  acte  des  changements  profonds  à  l’œuvre  dans  ce  secteur,  nous demandons, en conséquence, que soit redéfinie, dans la continuité des politiques publiques menées depuis 50 ans en matière de préservation de la diversité, une nouvelle politique apte à garantir la diversité des lieux de diffusion des œuvres cinématographiques.

Nous  signataires,  organisations  professionnelles  d’exploitants,  associations  ou collectivités territoriales souhaitons :
- redéfinir  les  modalités  de  la  régulation  de  l’implantation  de  nouvelles salles.
Dès  1997,  le  législateur  a  pris  acte  de  l’effet  déstabilisateur  de  l’installation  accélérée  des multiplexes,  et  de  la  nécessaire  protection  des  salles  plus  fragiles  face  à  une  concurrence accrue.  Il  a  donc,  sur  le  modèle  des  procédures  existant  pour  l’implantation  des  super  et hypermarchés,  mis  en  place  une  procédure  d’autorisation  administrative,  une  commission
départementale  d’équipement  commercial  (CDEC)  étant  chargée  d’évaluer  les  effets  des projets  proposés.  Une  commission  nationale  (CNEC)  était  en  outre  chargée  d’étudier  les recours déposés par les parties pour contester les décisions des CDEC.
Cette procédure a abouti, depuis 1997, à l’autorisation de 75% des projets 1, ce qui est déjà, on le voit, considérable.
En outre, la refonte de la procédure en 2007, avec le remplacement des CDEC/CNEC par des CDAC  (Commission  Départementale  d’Aménagement  Commercial)  et  CNAC  (Commission Nationale  d’Aménagement  Commercial),  s’est  traduite  par  une  proportion  encore  plus importante  de  projets  autorisés,  les  critères  concernant  l’effet  économique  sur  la concurrence, déclarés incompatibles avec le droit communautaire, ayant été mis de côté.
Nous  demandons  que  soit  de  nouveau  pris  en  considération,  dans  la  procédure d’autorisation des établissements nouveaux, leur effet sur les cinémas existants, particulièrement les cinémas qui jouent, notamment à travers la politique de l’Art et Essai et de la Recherche, un rôle d’intérêt général.
-  renforcer  la  politique  de  promotion  de  la  diversité  que  représente  le classement Art et essai La  politique  de  classement  Art  et  essai  de  certains  établissements,  dont  la  programmation
répond  à  des  critères  de  diversité,  en  particulier  à  travers  la  diffusion  des  œuvres recommandées  Art  et  essai,  est  un outil  puissant  et  efficace  de  politique  culturelle.  Elle permet aujourd’hui à un millier de cinémas français, soit la moitié du parc environ, d’accéder à  des  subventions  liées  à  leur  politique  de  programmation.  Si  les  modalités  de  calcul  et  les critères  d’appréciation  du  travail  de  programmation  des  cinémas  méritent  d’être  clarifiés  et revisités,  il  n’en  reste  pas  moins  que  cette  politique  qualitative joue pour  beaucoup  dans  la
diversité des œuvres proposées sur les écrans français, qui se distinguent en cela fortement des autres écrans européens.
Les  moyens  dévolus  à  cette  politique  sont  cependant  faibles.  Ils  ne  permettent  pas  aux cinémas  concernés  de  maintenir  ces  politiques volontaristes d’animation  territoriale  autour
du cinéma face à la concurrence des établissements commerciaux, qui entendent par ailleurs exploiter  également  les  œuvres  "Art  et  essai"  dites  "porteuses",  c’est-à-dire  celles susceptibles de trouver rapidement un public nombreux.
Nous  demandons  que  soient  réévalués  les  moyens  dévolus  à la  politique  Art  et essai, afin que les établissements d’intérêt général que constituent les cinémas classés puissent mener une action pérenne.
Nous  demandons  que  l’aide  apportée  aux  salles  soit  accentuée  en  prenant réellement en compte la programmation et l’animation comme principaux critères d’évaluation.
Enfin, nous pensons qu’après la période de financement  actuelle de l’équipement numérique des salles de cinéma, il faille craindre une précipitation des salles sur les  mêmes  titres  de  films. Il est donc primordial de soutenir les établissements 1 à noter que ces projets ne sont pas tous des projets de multiplexes, la procédure concernant toute implantation de cinéma comptant plus de 300 fauteuils qui  conduiraient  une  politique  affichée  de  diffusion  des  films  Art  et  Essai et Recherche.
- revenir sur un montant de TVA identique au Livre et au Spectacle vivant.
L’augmentation du taux de TVA du ticket de cinéma de 5,5% à 7% en 2012 et la perspective d’une  nouvelle  augmentation  du  taux  à  10%  en  2014  va  fortement  fragiliser  les  cinémas indépendants.
Nous  rejoignons  l’ensemble  des  professionnels  qui  ont  averti qu’en  sortant  fiscalement  le cinéma  du  champ  culturel,  le  risque  est  de  mettre  en  défaut  la  défense  de  l’exception culturelle  au  niveau  européen  et  d’entraîner  une  remise  en  cause  de  la  chronologie  des médias  et  du  fonds  de  soutien,  clefs  de  voûte  du  modèle  économique  du  cinéma  français,
auquel nous tenons tous.
Pour  les  salles  indépendantes,  cette  hausse  de  la  TVA  va  se  trouver  compensée par  les lignes budgétaires consacrées aux actions culturelles (rencontres, déplacements, animations en moins). A moins que ces cinémas soient dans l’obligation d’augmenter le prix de la place de  cinéma  contrairement  aux  missions sociales et  d’accès  à  la  culture  pour  le  plus  grand nombre qui les animent.
Nous demandons donc que le taux de TVA soit ramené, pour les salles art et essai, au même taux qui concerne le Livre et le Spectacle vivant.
- favoriser l’accès aux films pour les cinémas Art et essai.
Dans  la  concurrence  féroce  qui  les  oppose  aux  multiplexes  des  circuits  nationaux,  en particulier sur les films grands publics et Art et essai dits "porteurs", les cinémas Art et essai indépendants ne luttent pas à armes égales. La possibilité de programmer ces films attendus est pourtant pour eux une nécessité économique.
Il  est  impératif,  pour  préserver  ces  salles,  de  favoriser  leur  accès  à  ces  films,  et  donc  de limiter la possibilité pour les grands multiplexes de s’assurer l’exclusivité de l’exploitation sur
ces films.
Dans une recommandation récente (juin 2012), la médiatrice du cinéma a ainsi rappelé qu’il était  légitime  pour  les  salles  d’Art  et  essai  d’avoir accès  à  ces  films,  qui  ne  pouvaient  être réservés  aux  salles  dites  commerciales.  Cette  jurisprudence  mérite  d’être  discutée  et étendue,  afin  que  la  concurrence  entre  les  salles  sur  ce  type  de  programmation,  inévitable,
ne se traduise pas par la loi du plus fort.
Nous demandons que soient favorisées, dans un contexte de concurrence accrue et  inégale,  les  mesures  susceptibles  de  permettre  en  priorité  l’accès  des  salles indépendantes aux films.
Nous  demandons  que  les  obligations  de  programmation  des  grands groupes soient  mieux  encadrées  et  ne  nuisent  pas  à  l’accès  aux  films  des  salles indépendantes.
- penser le financement du renouvellement du matériel numérique
Le  financement  de  l’équipement  numérique  initial  a  été  prévu  et  encadré  par  la  loi du  30 septembre  2010.  Cette  loi  a  permis  d’encadrer  la  participation  financière  des  distributeurs
par  l’obligation  d’un  versement  d’une  contribution  à  la  transition  numérique.  Elle  a  aussi favorisé la  mutualisation  du  financement  des  salles  de  cinéma.  Parallèlement,  le  CNC  a  mis
en  place  une  aide  spécifique,  Cinénum,  pour  les  salles  indépendantes,  complétant  le financement  de  cette  transition  technologique.  Mais  cette  volonté  politique  n’a  pas  prévu  le
renouvellement du matériel, sachant que l’obsolescence du matériel numérique est bien plus rapide que les anciens projecteurs 35 mm. Le numérique a aussi apporté une autre manière
de  présenter  et  de  diffuser  les  films  en  salles.  Cette  mutation  technologique  entraîne  des changements  dans  notre  profession  qu’il  nous  faut  questionner  pour  éventuellement  en
corriger les dérives.
Nous  pensons  qu’il  est  aujourd’hui  utile  de  réfléchir  collectivement  avec  les organisations  professionnelles  et  les  élus  sur  les  modalités  d’un  financement pérenne du renouvellement du matériel de projection et sur un encadrement des normes de diffusion.
Nous craignons fortement qu’une course en avant de la technologie amène le parc de salles à  se   scinder  une  nouvelle  fois  en  deux  avec,  d’une  part, des  salles  qui  seront  toujours équipées des nouvelles technologies dernier cri et, d’autre part, les autres salles ne pouvant éventuellement pas diffuser certains films en raison de l’obsolescence de leur matériel.
Nous ne voulons pas que la technique de projection soit un nouveau moyen pour les  grandes enseignes  de  créer  un  fossé supplémentaire dans  l’exploitation  et dans la diffusion cinématographique.
- valoriser l’action culturelle cinématographique et les actions éducatives
Par  ailleurs,  depuis  2008  et  la  baisse  de  20%  des  aides  d’Etat  sur  l’action  culturelle cinématographique  et  les  inquiétudes  qu’elle  avait  suscitée  auprès  des  organismes professionnels  représentés  au  sein  d’un  collectif,  le  Blac  (Collectif  national  de  l’Action culturelle cinématographique et  audiovisuelle),  la  politique  publique en  la  matière  n’a  pas évolué.
Le gouvernement actuel annonce vouloir faire de l’éducation l’une de ses priorités. Nous demandons que les ateliers, les festivals, les opérations de connaissance et de valorisation du cinéma, les dispositifs tels que « Ecole et cinéma », « Collège au  cinéma »  et  « Lycéens  et  apprentis  au  cinéma »,  les  coordinations  de  ces dispositifs et tous les ateliers et formations qui les accompagnent, bref toutes les actions éducatives d’action culturelle cinématographique soient mieux valorisées financièrement.
Et,  de  façon  plus  large,  en  concertation  avec  les  collectivités  territoriales,  nous  souhaitons qu’à  l’image  de  ce qui  s’est  fait  sur  le  volant  de  la  production  avec  les  conventions
Etat/Région,  l’Etat  puisse  réfléchir  à  la  mise  en  place  d’aides  spécifiques  à  la  diffusion culturelle cinématographique.
N’oublions pas que, au-delà même du rôle de diffusion culturelle, de diffusion des arts, des cultures  et  des  savoirs,  les  salles  de  cinéma  indépendantes  sont  des  lieux  de  débats et d’échanges démocratiques dans nos villes, des lieux de partage entre nos concitoyens.
***
Ces  volets  d’actions  sont  intrinsèquement  liés  les  uns  aux  autres.  Ils  allient  la régulation  du  marché  cinématographique  pour  une  concurrence  maîtrisée  à  la mise  en  place  d’incitations  fortes  de  politiques  publiques  en  faveur  de  l’action culturelle  et  la  garantie  pour  les  salles  indépendantes  de  disposer  des  outils nécessaires  pour  faire  face  à  la  concurrence  accrue  que  représentent  les nombreuses créations récentes ou à venir de multiplexes.
Sans ces différentes actions, nous savons que les salles indépendantes, les salles Art et essai et Recherche, déjà passablement affaiblies dans de nombreuses villes de  France,  devront  stopper  leur  activité.  A  terme,  c’est  bien  tout  un  pan  de  la production cinématographique qui risque de disparaître des écrans, mettant fin à la politique de diversité culturelle menée avec succès depuis un demi-siècle.
Pour la sauvegarde des salles de cinéma indépendantes, maillons essentiels de la diffusion culturelle cinématographique et souvent seuls lieux garants de débats et d’échanges démocratiques dans nos villes :
Liste des signataires au 18 avril 2013 :
  ACRIF : Association des Cinémas de Recherche d’Île-de-France (60)
  ACRIRA : Association des Cinémas de Recherche Indépendant de la Région Alpine (63)
  Ciné-Off : Circuit itinérant d’Indre et Loire (7 Communes)
  Cinéma Public : Association des salles de cinéma du Val-de-Marne (15)
  Cinémas 93 : Association des cinémas de Seine-Saint-Denis (23)
  Cinémas du Sud : Réseau de salles de cinémas Art et Essai et Recherche en ProvenceAlpes-Côte d’Azur (35)
  Cinéphare : Réseau des cinémas de Bretagne (32)
  Cinéssonne : Association des cinémas Art et Essai de l’Essonne (14)
  De la Suite dans les Images : le réseau des salles de proximité en région Nord-Pas-deCalais (30)
  GNCR : Groupement National des Cinémas de Recherche (87)
  GRAC : Groupement Régional d’Actions Cinématographiques (64)
  Graines d’Images : Association départementale de salles de cinéma de la Sarthe (12)
  La Ligue de l’Enseignement (50)
  La Ville du Blanc-Mesnil
  La Ville de Saint-Gratien
  Le Cinématographe Ciné-Nantes Loire-Atlantique (35)
  MACAO 7ème ART (41


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