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Horacio Ferrer au Maipo - La fête continue, Maestro ! [à l'affiche]

Publié le 10 juin 2013 par Jyj9icx6
Horacio Ferrer au Maipo - La fête continue, Maestro ! [à l'affiche]
Demain soir, mardi 11 juin 2013, à 20h30, grande soirée d'hommage à Horacio Ferrer, qui fait le clown pour fêter ses quatre-vingts ans (ça lui ressemble bien !). Ce sera au Teatro Maipo, Esmeralda 443, dans le quartier de San Nicolás, à deux pas de Avenida Corrientes, presque au pied de l'Obélisque... Grand théâtre historique de la capitale argentine. Les prix vont de 140 $ (peso argentin) à 90 $, selon que vous voulez être à l'orchestre ou au poulailler. Ce sera aussi l'occasion pour le Maestro de présenter le nouveau CD de tangos et poèmes, Flor de Tangos y poemas, qui sort pour cet anniversaire.
Pour l'occasion, Página/12 s'est fendu d'un article dans ses pages généralistes, avec interview du Maître enregistrée, dit le journaliste Carlos Zito, dans sa suite de l'hôtel Alvear, mais qui le montre dans son bureau de la Academia Nacional del Tango, où le photographe Pablo Piovano l'a fixé, dans cette invraisemblable veste violette qui sur lui ne parvient même pas à nous faire sourciller.
Traduction. Vous allez voir le bonhomme qu'il est. On peut se lever tôt pour lui arriver à la cheville !
Con un café de por medio, la entrevista comenzó con una pregunta tan sencilla como imposible de responder. –Horacio, ¿qué es el tango? –Es un conjunto de artes y una manera de ser, de vivir. Ser tanguero es una forma de transitar por la existencia, aun sin tocar un instrumento, sin cantar ni bailar. Es una forma de vivir, que mezcla bohemia, trabajo, ilusiones y formas de amar, y que tiene un lugar importante para la amistad. –¿Y como género musical? –El tango es más que una música, es un arte dentro del arte musical. No se puede componer un tango sin haber vivido ese tipo de existencia, que se hereda de maestros de hace varias generaciones. Yo me crié con Julio De Caro, con Pichuco, con Piazzolla, centralmente, pero además fui muy amigo de Homero Expósito. Con mis amigos, que tanto son arquitectos como vagos soñadores, convivimos en el tango con toda felicidad: nos gusta escuchar esa música. He pasado noches enteras con amigos escuchando tangos y desentrañando las estéticas. Horacio Ferrer, interviewé par Carlos Zito, in Página/12
- Avec un café par-dessus tout ça [allusion au dernier étage de l'Alvear et sa vue plongeante sur Buenso Aires], l'interview a commencé sur une question aussi simple qu'y répondre est impossible. - Horacio, c'est quoi, le tango ? - C'est un ensemble d'arts et une manière de vivre. Etre tanguero, c'est une façon de traverser l'existence, même si on ne joue pas d'un instrument, si on ne chante pas, si on ne danse pas. C'est une façon de vivre qui mélange de la bohème, du travail, des rêves et des manières d'aimer, et qui donne une place importante à l'amitié. - Et comme genre musical ? - Le tango, c'est plus qu'une musique, c'est un art à l'intérieur de l'art musical. On ne peut pas composer un tango sans avoir vécu ce type d'existence, qu'on hérite de maîtres d'il y a plusieurs générations. Moi, j'ai été élevé avec Julio De Caro, avec Pichuco, avec Piazzolla, pour l'essentiel, mais en plus, j'ai été ami avec Homero Expósito (1). Avec mes amis, qui sont tout autant architectes que vagabonds rêveurs, nous avons vécu dans le tango en plein bonheur : nous aimons écouter cette musique-là. J'ai passé des nuits entières avec des amis à écouter du tango et à disséquer leurs esthétiques. (Traduction Denise Anne Clavilier)
–¿Y si tuviera que escribir una definición para un diccionario? –El tango no se puede definir. No responde a una estructura genética predeterminada, va cambiando con el fraseo, con los que cantan, va cambiando con los que bailan... Hay algo que es muy importante: el tango es serio, aunque sean jocosas algunas letras. El tango es serio, tiene mucha humanidad, tiene mucho ser, mucho ser humano dentro, de todas las especies, épocas, pintas, alcurnias; es atorrante y ducal. –El tango del principio no se parecía al que luego trajo De Caro en los años 1920; y éste tampoco se parecía al de Troilo en los ’40. Después vino Piazzolla y cambió todo. ¿Por qué, sin embargo, no hay dudas de que todo eso es tango? ¿Qué es lo que hace que sintamos que “hay tango” en cosas tan distintas? –Es la esencia existencial del tango, musicalmente por supuesto, la más consolidada en las artes. Se pueden recitar las letras, pero la música es una especie de aroma que nos envuelve, que reconocemos como una señal diferente dentro del mundo de la música. ¡El tango canta, aunque no tenga letras! (canturrea “La Cachila”). Eso lo envuelve a uno y le duplica lo existencial. Horacio Ferrer, interviewé par Carlos Zito, in Página/12
- Et si vous deviez écrire une définition pour un dictionnaire ? - Le tango ne peut pas se définir. Il ne répond à aucune structure génétique prédéterminée, il change en fonction du phrasé, de ceux qui chantent, il change en fonction de ceux qui dansent. Il y a quelque chose de très important : le tango est sérieux (2), quand bien même il y a quelques textes drôles (3), il a beaucoup d'humanité, il a beaucoup d'être, beaucoup d'être humain en dedans, de toutes sortes, de tous les temps, de toutes les allures, de tous les lignages. Il est maraud et ducal. - Le tango des débuts ne ressemblait pas à celui qu'a apporté De Caro dans les années 1920 et celui-ci ne ressemblait pas non plus à celui de Troilo dans les années 1940. Ensuite Piazzolla est arrivé et il a tout changé. Pour quelle raison, malgré tout, il n'y a pas de doute sur le fait que tout cela ce soit du tango ? Qu'est-ce qui fait que nous ressentons qu'il y a tango dans des choses aussi différentes ? - C'est là l'essence existentielle du tango, musicalement bien sûr, le plus consolidé de tous les arts. On peut réciter des textes [de tango] mais la musique est une sorte d'arôme qui nous enveloppe, que nous reconnaissons comme un signe distinctif dans le monde de la musique. Le tango chante, même sans paroles ! (il fredonne La Cachila). Cela, ça vous enveloppe et ça vous multiplie l'existentiel. (Traduction Denise Anne Clavilier)
–¿Cómo le explicaría a un músico de Yemen o del Congo qué es un tango? –Ya hay una transmisión de generación en generación, y en todos lados saben qué es el tango. He recorrido el mundo con Gidon Kremer, que no es un músico de tango, pero sí un genio del violín. Me llevó a recitar “María de Buenos Aires” por decenas de países. Las giras duraron diez años, de 1997 a 2007. Fue impresionante. En todos lados, la gente conocía los tangos, los distintos estilos. Es una música de una universalidad fenomenal. –Hay quienes sostienen que se trata del fenómeno cultural, no sólo musical, más importante que dio América latina en el siglo XX. Por su riqueza, que se ramifica en danza, poesía, moda, lenguaje, literatura, estéticas plásticas, etc., por su universalidad y su persistencia. –Sin ninguna duda. No hay nada comparable. El tango no necesita a nadie que lo defienda. Se ha defendido solo, con su renovación, su capacidad de cautivar y sus cuatro artes: la música, la danza, el canto y la poesía. El tango tiene una personalidad tan grande que, como decía Pugliese, ¡hasta los tangos feos son lindos! “Fumando espero”, por ejemplo, es feísimo. “Fu-man-do-es-pe-ro-a-la-mu-jer-que-quie-ro...” Le falta gracia, tiene algo de cuplé, pero aun así tiene algo. Y si lo escuchamos por Di Sarli, ya es otra cosa. Horacio Ferrer, interviewé par Carlos Zito, in Página/12
- Comment expliqueriez-vous ce qu'est un tango à un musicien du Yemen ou du Congo ? - D'abord il y a une transmission de génération en génération et partout on sait ce qu'est le tango. J'ai parcouru le monde avec Gidon Kremer, qui n'est pas un musicien de tango, mais bel et bien un génie du violon. Il m'a conduit à réciter María de Buenos Aires dans des dizaines de pays. Les tournées ont duré dix ans, de 1997 à 2007. C'était impressionnant. Partout, les gens connaissaient les tangos, les différents styles. C'est une musique d'une universalité phénoménale. - D'aucuns soutiennent qu'il s'agit du phénomène culturel et non seulement musical le plus important qui se soit produit en Amérique Latine au XXème siècle. Pour sa richesse, qui se ramifie en danse, en poésie, en mode, en langage, en littérature, en esthétiques plastiques, etc. par son universalité et sa persistance. - Sans l'ombre d'un doute. Il n'y a rien de comparable. Le tango n'a besoin de personne pour le défendre. Il s'est défendu tout seul, avec sa rénovation, sa capacité à capter l'attention et ses quatre arts : la musique, la danse, le chant et la poésie. Le tango a une personnalité si forte que, comme disait Pugliese, même les tangos laids sont pas mal ! Fumando espero, par exemple, c'est on ne peut plus laid. [il chante le premier vers] Fumando espero a la mujer que quiero. Ça manque de charme, on dirait un peu une rengaine de revue mais en même temps il y a quelque chose. Et si nous l'écoutons dans l'interprétation de Di Sarli, c'est autre chose ! (Traduction Denise Anne Clavilier)
–Hablando de Di Sarli: después de muchos años parece que se terminó la estúpida superstición de que traía mala suerte... –¡Por favor, eso fue pura envidia! Después la ligó el pobre José Libertella, el gran bandoneonista creador del Sexteto Mayor. La yeta que le adjudicaban a Di Sarli se la habían trasladado a él. Es obra de envidiosos. –Ahora, al revés, a otro gran director, Osvaldo Pugliese, se le atribuye ser un agente de la buena suerte. ¡Hasta existen estampitas del maestro con una aureola! –Pugliese es muy querido, y se lo merece. Hay una cosa que siempre digo, y en la que fui escuchado: la trayectoria completa de la orquesta de Pugliese, con cuarenta años de evolucionar y de tocar, es mucho más importante para la música del siglo XX que lo que dejaron Los Beatles, que hicieron siempre lo mismo. Lo que pasa es que ellos tenían para su difusión la empresa Inglaterra, y nosotros la empresa Argentina. Es la verdad y nadie, pero nadie, me lo discute. El trabajo musical de la orquesta de Pugliese fue sencillamente extraordinario. Vos tomás “El rodeo” y tomás “Yunta de oro”, dos extremos, y ves que está la orquesta y está el estilo. Pero cómo evolucionó, cómo se enriqueció la orquesta: es una sinfonía maravillosa. Estaba como primer bandoneón el Tano (Osvaldo) Ruggiero, al que una vez, en París, le dije que era “el Pichuco” de la orquesta de Pugliese. ¡Quedó encantado con esa comparación! Y tuvo violinistas como Enrique Camerano y luego Oscar Herrero (Ferrer tararea el solo de violín del tango “Chiqué”, y agrega). Camerano tenía esa cosa agitanada, que después imitó un poco Herrero. Horacio Ferrer, interviewé par Carlos Zito, in Página/12
- Puisqu'on parle de Di Sarli, après de longues années, on dirait qu'on en a fini avec la superstition idiote qu'il portait malheur... (4) - Ah pitié ! C'était de l'envie pure et simple, ça ! Ensuite, on a balancé ça sur José Libertella, le grand bandonéoniste fondateur du Sexteto Mayor. Le mauvais œil qu'on a attribué à Di Sarli, on le lui a transmis à lui. C'est une machination d'envieux. - Maintenant, dans l'autre sens, on attribue à un autre grand chef d'orchestre, Osvaldo Pugliese, une influence porte-bonheur. Il existe même des images [pieuses] du maestro avec une auréole ! (5) - Pugliese, on l'aime beaucoup et il le mérite bien. Il y a une chose que je dis tout le temps et en quoi j'ai été entendu : le parcours complet de l'orchestre de Pugliese, avec quarante ans d'évolution et de jeu, c'est beaucoup plus important pour la musique du XXème siècle que ce que nous ont légué les Beatles, qui ont toujours fait la même chose (6). En fait, pour se faire connaître eux avaient l'entreprise Angleterre, et nous l'entreprise Argentine. C'est la vérité, ça, et personne, mais vraiment personne ne vient me contester ça. Le travail musical de l'orchestre de Pugliese a été tout simplement extraordinaire. Prends (7) El rodeo et prends Yunta de oro, deux extrêmes, et tu vois que l'orchestre est là et le style. Mais la manière dont l'orchestre a évolué, dont il s'est enrichi, c'est une merveilleuse symphonie. Comme premier bandonéon, il y avait l'Italien Osvaldo Ruggiero (8) à qui j'ai dit un jour, à Paris, qu'il était le Pichuco de l'orchestre de Pugliese (9). Il a été enchanté par la comparaison ! Et il a eu des violonistes comme Enrique Camerano et ensuite Oscar Herrero (Ferrer chantonne le solo de violon du tango Chiqué et ajoute) Camerano avait ce truc de gitan qu'ensuite Herrero a un peu imité. (Traduction Denise Anne Clavilier)
–Uno de los secretos del tango parece estar en su variedad de estilos. –El tema de los estilos es el más importante en el tango, musicalmente hablando. La creación estilística en el tango es impresionante. Los estilos tienen una personalidad y una grandeza aristocrática. Fresedo, Di Sarli, D’Arienzo, Canaro, que con cuatro notas hacía su estilo inconfundible. Hay, por un lado, estilos de solistas, maneras –por ejemplo– de tocar el piano, que a veces se trasfunde a la orquesta, y por otro lado hay estilos orquestales. La orquesta de Di Sarli, a pesar de que algunos digan que no estaba escrita, sí lo estaba, aunque con muy poca cosa, con mucha sencillez, pero con una gran expresión que venía del piano del director. Toda la orquesta tocaba para el piano. Yo fui muy amigo de Félix Verdi, que era el primer bandoneón de Di Sarli, y me decía: “Siempre estaba buscando esos bordoneos, esas improvisaciones, y cuando se daba cuenta de que lo estábamos mirando, ¡tocaba en cuatro para disimular!”. Horacio Ferrer, interviewé par Carlos Zito, in Página/12
- Un des secrets du tango a l'air d'être dans la variété de ses styles. - La question des styles est la plus importante dans le tango, musicalement parlant. La création stylistique dans le tango est impressionnante. Les styles ont une personnalité et une grandeur aristocratique. Fresedo, Di Sarli, D'Arienzo, Canaro, qui avec trois notes (10) inventaient un style reconnaissable entre tous. Il y a d'un côté des styles de solistes, des façons par exemple de jouer du piano, qui parfois se diffusent dans l'orchestre et d'un autre côté, il y a les styles orchestraux. Dans l'orchestre de Di Sarli, bien que certains disent que rien n'y était mis sur partition (11), ça l'était bel et bien, mais avec très peu de choses, avec beaucoup de simplicité, mais avec une expressivité forte qui venait du piano du chef. Tout l'orchestre jouait pour le piano. J'ai été très ami avec Félix Verdi, qui était le premier bandonéon de Di Sarli, et il me disait : Il était toujours là à chercher ces graves, ces improvisations, et quand il se rendait compte que nous étions en train de le regarder, il se mettait à jouer du cuatro pour donner le change (12). (Traduction Denise Anne Clavilier)
–Parece que nunca dejó que lo filmaran mientras tocaba el piano. –Sí, es cierto. Yo no lo conocí personalmente. Fue al único que no llegué a conocer, porque no se dio la ocasión. Sé que era un tipo muy chinchudo y se había enemistado con varios de sus músicos, que al final se separaron y formaron la orquesta Los Señores del Tango. Otros, en cambio, como Tierrita Guisado (primer violín) y Félix Verdi, lo adoraban. En todo caso, la de Di Sarli fue una orquesta que influyó hasta en Pugliese. Este me dijo un día algo que yo transcribí en mi libro, y que lo tengo grabado: “Mi orquesta, mi forma de tocar proviene melódicamente de Julio De Caro y rítmicamente de Carlos Di Sarli”. Y como sabemos, él había formado su estilo a partir de Fresedo, al que admiraba enormemente y tenía como maestro, al punto que le dedicó uno de sus tangos más bellos, “Milonguero viejo”. Por otra parte, como se nota con “Bahía Blanca” o “A la gran muñeca”, Di Sarli hizo moldes estilísticos que son imbatibles. Como Troilo con “Quejas de bandoneón”: se puede decir que ese tango es de Juan de Dios Filiberto tanto como de Troilo. Horacio Ferrer, interviewé par Carlos Zito, in Página/12
- On dirait qu'il ne s'est jamais laissé filmer quand il jouait du piano. - Eh oui, c'est vrai. Moi, personnellement, je ne l'ai pas rencontré. C'est le seul que je n'aurai pas rencontré parce que l'occasion ne s'est pas présentée. Je sais que c'était un type très soupe-au-lait et il s'était aliéné plusieurs de ses musiciens, qui ont fini par le quitter et former l'orchestre Los Señores del Tango. D'autres au contraire comme Tierrita Guisado, premier violon, et Félix Verdi, l'adoraient. En tout cas, l'orchestre de Di Sarli a été celui qui a influencé même Pugliese. Celui-ci m'a dit un jour quelque chose que j'ai transcrit dans mon livre (13) et je l'ai enregistré (14) : "Mon orchestre, ma manière de jouer provient mélodiquement de Julio De Caro et rythmiquement de Carlos Di Sarli". Et comme on le sait, il avait formé son style à partir de Fresedo, qu'il admirait énormément et qu'il tenait pour son maître, au point de lui dédier un de ses tangos les plus beaux, Milonguero viejo. D'autre part, comme on le voit dans Bahía Blanca ou A la gran muñeca, Di Sarli a créé des moules stylistiques qui sont indépassables. Comme Troilo avec Quejas de bandonéon : on peut dire que ce tango-là est de Juan de Dios Filiberto autant que de Troilo (15) (Traduction Denise Anne Clavilier)
–¿Qué es lo que escucha de tango? –Todo. Muy variado. Pero sobre todo la orquesta de Troilo, que tuvo una trayectoria impresionante, y también Troilo con la guitarra de Roberto Grela, que es “encaje de bolillos”, como dicen en España. Para mí, el Gordo fue el más grande director. El segundo fue Osvaldo Fresedo, por la calidad en la expresión de lo que está escrito. Fresedo tenía esa dinámica maravillosa del disminuendo y del crescendo. Troilo es el gran escultor de los sonidos. Empieza con un pianissimo, la música viene del horizonte y después se acerca y se pone en primer plano... –Pero era también una orquesta compadrita, sobre todo en la época de Fiorentino. –¡Claro! Troilo y Fiore. Ellos mismos eran compadritos. Y lo era también la orquesta, efectivamente, porque el tango es compadrito. La esencia humana del tango es compadrita, como se ve en esa célebre foto de Pugliese apoyado en un portal de Villa Crespo: es un verdadero compadrito. Yo le dije un día a Osvaldo: “Usted es un compadrito”. Y me dijo muy decidido: “Sí” (carcajadas). El tango desde un principio tiene esa esencia. Es el espíritu del compadrito, que va a matar o a morir; es el hombre de la llanura metido en la ciudad, y que está siempre alerta, como atravesado permanentemente por una corriente eléctrica. El compadrito no habla; habla con el cuerpo. Y el andar y el moverse del compadrito inspiró muchos pasos de baile, por ejemplo, el hecho de que el hombre dirige a la mujer y que baila siempre avanzando, mirando en torno suyo, vigilando. Horacio Ferrer, interviewé par Carlos Zito, in Página/12
- Qu'est-ce que vous écoutez comme tango ? - Tout. Très varié. Mais par dessus tout, l'orchestre de Troilo, qui a eu un parcours impressionnant et aussi Troilo avec Roberto Grela à la guitare, et ce sont de vrais morceaux de bravoure comme on dit en Espagne (16). Selon moi, le Gordo [Troilo] a été le plus grand chef d'orchestre. Le second, c'est Osvaldo Fresedo, pour la qualité dans l'expression de ce qui est sur la partition. Fresedo avait cette dynamique merveilleuse du dismunuendo et du crescendo. Troilo est le grand sculpteur des sons. Il commence sur un pianissimo, la musique monte de l'horizon, ensuite elle s'approche et vient se mettre au premier plan... - Mais c'était aussi un orchestre titi, surtout à l'époque de Fiorentino. - Evidemment ! Troilo et Fiore. Eux-mêmes étaient des titis. Et l'orchestre en était un aussi, en effet, parce que le tango est un titi. L'essence humaine du tango est celle du titi, comme on le voit sur la fameuse photo de Pugliese appuyé sur une porte d'entrée à Villa Crepo : c'est un vrai titi. Je l'ai dit un jour à Osvaldo : "Vous êtes un titi". Et il m'a dit [d'un ton] bien déterminé : "Oui !" (éclat de rire). Le tango depuis le début a cette essence-là. C'est l'esprit du titi (17), qui s'en va tuer ou mourir. C'est l'homme de la plaine [de la Pampa] qui s'est fourré en ville et qui est toujours aux aguets, comme parcouru en permanence de courant électrique. Le titi ne parle pas, il parle avec son corps. Et la démarche, le mouvement du titi a inspiré beaucoup de pas de danse, par exemple le fait que l'homme dirige la femme et danse toujours en avançant, en regardant autour de lui, en surveillant (18). (Traduction Denise Anne Clavilier)
–¿Cuál es el tango que le pone la piel de gallina? –¡Tantos, tantos, tan hermosos! Recuerdo cuando nos reuníamos con mis amigos en Montevideo a tomar whisky y a escuchar tangos, a comentarlos... Apagábamos la luz para escuchar mejor, y me veo oyendo “La mariposa” por Pugliese, impresionante, o “Nueve puntos” por Di Sarli, que es una sinfonía en una píldora... Y decíamos: “¡Póngalo otra vez, póngalo otra vez!”. –¿Tiene un tango preferido? –No, no tengo un tango preferido*, porque son tantos tan hermosos. Tengo varios tangos que suelo ir silbando por la calle; lo que pasa es que el tango es tan variado, que es difícil elegir entre “Responso” y “Flores negras”, los poemas de Manzi, como “Sur”, o de Cátulo Castillo, como “La última curda”, y todo lo que escribió Alfredo Le Pera para Gardel es algo fantástico. Yo tuve la suerte de ser amigo de casi todos, de Cadícamo, de Homero Expósito, de Pichuco, que era un poeta que en lugar de palabras usaba notas. Yo era un muchacho de 15 años y él me ponía una silla en medio de la orquesta para que disfrutara más... Pichuco estaba muy contento de que a mí me fuera bien trabajando con Piazzolla, aunque él me había preparado para que escribiera para él. Pero yo me di cuenta de que él ya no estaba para componer. Y debuté con Piazzolla con María de Buenos Aires, una obra de dos horas. No era algo que hubiera podido hacer con Troilo, que ya estaba medio retirado. Con Piazzolla yo le agregué mi empuje al empuje que tenía él... ¡Es la pieza argentina más representada en los teatros del mundo! Horacio Ferrer, interviewé par Carlos Zito, in Página/12
- Quel est le tango qui vous donne la chair de poule ? - Tant et tant, et si beaux ! Je me souviens quand nous nous retrouvions avec mes amis à Montevideo pour prendre un whisky et écouter du tango, en parler... On éteignait la lumière pour mieux écouter et je me vois écoutant La Mariposa par Pugliese, impressionnant, ou Nueve puntos par Di Sarli, qui est une symphonie en comprimé... Et on disait : "Remets-le, remets-le !" - Vous avez un tango préféré ? - Non, je n'ai pas de tango préféré (19) parce qu'ils sont si nombreux et si beaux. Il y a plusieurs tangos que j'ai l'habitude de siffler [en marchant] dans la rue. Ce qu'il y a c'est que le tango est si divers qu'il est difficile de choisir entre Responso et Flores Negras, les poèmes de Manzi comme Sur ou de Cátulo Castillo comme La última curda (20) et tout ce que Alfredo Le Pera a écrit pour Gardel, c'est quelque chose de fantastique. J'ai eu la chance d'être ami avec presque tous, avec Cadícamo, Homero Expósito, Pichuco, qui était un poète qui à la place des mots employait des notes. J'étais un môme de 15 ans et lui me mettait une chaise au milieu de l'orchestre pour que j'en profite davantage... Pichuco était ravi que j'aie la chance de travailler avec Piazzolla, même c'est pour lui qu'il m'avait préparé à écrire. Mais je me suis rendu compte que, pour ce qui était de composer, il n'y était plus. Et j'ai commencé avec Piazzolla, avec María de Buenos Aires, une œuvre qui dure deux heures. Ce n'est pas une chose que j'aurais pu faire avec Troilo, qui s'était déjà à moitié retiré (21). Avec Piazzolla, j'ai joint mon élan à l'élan qu'il avait lui... C'est la pièce [de théâtre] argentine la plus jouée au théâtre au monde ! (Traduction Denise Anne Clavilier)
–¿Y si tuviéramos que salvar de un cataclismo uno o varios tangos? –Yo no pensaría en tangos sino en autores... Cobián, por ejemplo. Ayer estábamos cantando “Almita herida”... ¡qué maravilla! “Mi refugio”, “Los mareados”... y Bardi, y Pugliese, que hizo joyas menos conocidas que hay que escuchar, como “Una vez”. Y Piazzolla, y Pichuco... “Pa’ que bailen los muchachos” (tararea los primeros compases). –Esa es una compadrada... –¡Siiiiiiiiiiií! Ahí la música te dice: “Te voy a decir algo, pero te lo digo despacito... ¡y no te lo digo del todo!”. Ja, ja, ja... –¿Cómo ve el panorama del tango joven? –Maravilloso, hay mujeres y hombres, cantores, muy buenos bailarines y excelentes músicos, tenemos 40 bandoneonistas jóvenes que la rompen. Horacio Ferrer, interviewé par Carlos Zito, in Página/12
- Et si nous devions sauver d'un cataclysme un ou plusieurs tangos ? - Moi, je ne penserais pas en termes de tangos mais d'auteurs... Cobián par exemple. Hier, nous chantions Almita herida... Quelle merveille ! Mi refugio, Los mareados... Et Bardi, et Pugliese qui a créé des bijoux moins connus qu'il faut écouter, comme Una vez (22). Et Piazzolla, et Pichuco... Pa' que bailen los muchachos (il fredonne les premières mesures). - En voilà, un truc de titi... - Et comment ! Là la musique te dit : je vais te dire un truc, mais je le dis lentement... Et puis non, je ne te le dis pas.... Bisque bisque rage ! - De quelle manière regardez-vous le panorama de la jeune génération du tango ? - Merveilleux, il y a des hommes et des femmes, des chanteurs, de très bons danseurs et d'excellents musiciens, nous avons 40 jeunes bandonéonistes qui touchent leur bille dans l'histoire. (Traduction Denise Anne Clavilier)
–¿El ritmo es el secreto de tango? –¿De qué ritmo hablamos, del de D’Arienzo, del de Canaro, del de Pugliese? Es cierto que algunos grupos a veces se escapan de lo que el público entiende como tango. También ocurrió eso con De Caro. Fijate: una vez fui a un espectáculo donde se presentaban 40 guitarristas que tocaban todos los géneros, y le pregunté a uno: “¿Y con el tango cómo andan?”. Y me respondió: “Hasta De Caro me estiro”. ¿Te das cuenta? (Ríe ruidosamente.) –Recién mencionaba a Gardel. Si yo pronuncio ese nombre, ¿qué le evoca? –¡Dios! (Exclama casi sin dejarme terminar la frase.) –Caramba, de movida sacó el as de espada... A ver qué le queda para la segunda. ¿Pichuco? –¡El suplente de Dios! (Explota en carcajadas.) –¿Pugliese? –El Stravinsky del tango. –¿Salgán? –Un distinto a todos. –¿Di Sarli? –El milonguerismo hecho materia. –¿Piazzolla? –Un hermano, genial. Horacio Ferrer, interviewé par Carlos Zito, in Página/12
- Le rythme, c'est ça le secret du tango ? - De quel rythme parlons-nous ? Celui de D'Arienzo, celui de Canaro, celui de Pugliese ? C'est vrai que quelques groupes parfois s'évadent de ce que le public comprend comme tango. C'est arrivé aussi avec De Caro. Figure-toi qu'un jour, je suis allé à un spectacle où se produisaient quarante guitaristes qui jouaient de tous les genres et j'ai demandé à l'un d'entre eux : Et avec le tango, où vous en êtes ? Et il m'a répondu : je vais jusqu'à De Caro. Tu te rends compte ? (il rit bruyamment). - Il y a un instant vous avez mentionné Gardel. Si moi je prononce ce nom, ça vous évoque quoi ? - Dieu ! s'exclame-t-il presque sans me laisser finir ma phrase. - Nom d'un chien, vous sortez le va-tout d'emblée. On essayer de voir ce qui sort avec le deuxième mot. Pichuco ? - Le suppléant de Dieu (il explose de rire) - Pugliese ? - Le Stravinsky du tango - Salgán ? - Unique, différent de tous les autres - Di Sarli ? - Le milonguerisme incarné. - Piazzolla ? - Un frère, génial. (Traduction Denise Anne Clavilier) Horacio Ferrer au Maipo - La fête continue, Maestro ! [à l'affiche] Photo Pablo Piovano
Pour aller plus loin : lire l'article complet de Página/12 avec la liste interminable des artistes qui participeront à la fête de demain (ils sont trop nombreux pour que je puisse les citer dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search mais mentionnons au moins Amelita Baltar, Raúl Garello, Patricia Barone...) vous connecter au site Internet du théâtre.
Pour lire la trentaine de textes du Maestro que j'ai d'ores et déjà pu traduire et publier, voir le cahier central qui lui est consacré dans Triages n° 20, juin 2008, Tarabuste Editions (15 pages), Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins, mai 2010, Editions du Jasmin (384 pages), Deux cents ans après, le Bicentenaire de l'Argentine à travers le patrimoine littéraire du tango, Tarabuste Editions, numéro spécial de Triages (140 pages), janvier 2011.
(1) Pour mieux aborder qui sont tous ces artistes, voir Barrio de Tango, l'anthologie largement commentée que j'ai publiée en mai 2010 aux Editions du Jasmin. (2) Serio en Argentine, rend une notion presque intraduisible en français. Cela veut dire surtout ce que nous désignons par l'expression "pas sérieux", c'est sévère, exigeant, rigoureux, austère, qui a de la tenue, qui a de la dignité, de l'honorabilité... (3) Dont un certain nombre des siens. (4) Dans les traditions argentines, nées de certains syncrétismes entre les croyances amérindiennes et la foi catholique, souvent mal bâties chez les conquérants, certaines personnes sont réputées avoir le mauvais œil. Ce fut le cas de Di Sarli toute sa vie. C'est le cas aujourd'hui de Carlos Menem (c'était déjà le cas quand il était président et le fait est que sa présidence a bien débouché sur une vraie catastrophe !) (5) Allusion au culte populaire, très en vogue chez les musiciens mais aussi au-delà de leur corporation, de San Pugliese, le résultat typique du syncrétisme religieux argentin. Un culte de nature similaire existe sur Carlos Gardel (il n'est que de lire les ex-votos qui recouvrent sa tombe au cimetière de la Chacarita) et avec Aníbal Troilo, mais d'une manière beaucoup moins formelle en ce qui concerne ce dernier. (6) Ça, c'est Horacio Ferrer tout craché, quand il y a va franco ! A son âge, on ne la lui fait pas. (7) Il fait comme le Pape : on lui dit vous, il répond tu. C'est aussi notre relation et j'aime bien ce côté-là du bonhomme. C'est très affectif. Tato Rebora, le directeur du Festival de Tango de Grenade, en Espagne, dit volontiers de Ferrer est au tango ce que le Pape (avant l'élection du cardinal Bergoglio) est au catholicisme. C'est légèrement exagéré mais là, il lui donne raison ! (8) Pas plus italien que moi. C'est juste un surnom dû aux origines géographiques de son patronyme. Comme pour Piazzolla ou Susana Rinaldi et tant d'autres. (9) Ce qui n'était pas un mince compliment dans la bouche de Horacio Ferrer, qui voue un véritable culte au talent de Aníbal Troilo (comme vous pouvez vous en rendre compte dans mon anthologie, Barrio de Tango, Ed. du Jasmin, et le cahier d'hommage à Ferrer publié dans Triages n° 20 en juin 2008, avec des textes écrits pour le tango comme El Gordo Triste et La Jaula Mágica) (10) En Argentine pour dire très peu, on emploie le chiffre quatre. En français, on emploie le chiffre trois. (11) C'est la querelle dans laquelle Juan Carlos Cáceres est intervenu en force comme on le voit dans Tango Negro, que j'ai traduit et commenté pour la version française récemment parue aux Editions du Jasmin : musique écrite ou musique improvisée. Depuis la parution de son extraordinaire El tango, su historia y evolución, paru à Montevideo en 1960 et resté inégalé à ce jour pour l'ampleur de son analyse et la limpidité de sa rédaction, Horacio Ferrer, sans nier l'existence d'un tango improvisé, a toujours soutenu la prédominance de la musique écrite dans la tradition du genre. Juan Carlos Cáceres tient, quant à lui, qu'il n'y a de tango véritable que celui issu de la tradition orale et donc joué à la manière du jazz et de la musique cubaine, où la partition est une réalité très secondaire, voire ignorée. (12) Je suppose qu'il s'agit ici du genre venezuélien dit cuatro. Mais il peut s'agir simplement d'un rythme à quatre temps, bien carré, très différent de son travail habituel, qui lui aurait permis de donner le change. (13) Je suppose qu'il fait référence ici à El Libro del Tango mais je n'ai pas retrouvé la phrase avec les deux noms associés sous ces rubriques-là. Comme je ne vais pas le déranger au téléphone juste pour vérifier un point de l'interview, je ne peux pas en dire plus. L'ensemble de l'article sur Pugliese dans l'édition du Libro del Tango de 1980 est parfaitement cohérent avec ce qui est transcrit dans l'interview et ça n'a rien d'étonnant. Horacio Ferrer est un homme très fou quand il s'agit de l'imagination mais d'une puissante cohérence quand il s'agit de l'analyse. (14) Je suppose qu'il s'agit ici d'un enregistrement audio. Mais l'expression pourrait désigner un souvenir fort, gravé (grabado) dans la mémoire. (15) Quejas de Bandonéon est de Filiberto mais c'est sans doute Troilo qui en a donné la plus belle interprétation, celle qui fait référence aujourd'hui encore. (16) Encaje de bolillos est une expression espagnole et non pas argentine. (17) Je traduis compadrito par titi mais vous voyez ici que la notion est aussi proche de celle du voyou, du mauvais garçon. Mais en français ces deux expressions ne possèdent pas l'ambivalence du terme argentin et je ne peux pas traduire que Troilo et Fiorentino étaient des voyous ou des mauvais garçons. Vous allez décrocher immédiatement ! (18) bref, tout ce que les bons professeurs tentent d'apprendre à leurs élèves masculins pour éviter les accidents sur la piste. Peut-être que si les élèves avaient cette image-là dans la tête, la piste de danse serait un endroit plus agréable à fréquenter et pas la piste d'auto-tamponneuses que c'est trop souvent (à Paris, en tout cas). (19) Dans l'article original, l'astérisque renvoie à la liste des tangos cités par Ferrer dans le texte du tango ¡Viva el Tango!, composé par Raúl Garello. (20) Sur et La úlitima curda sont traduits dans Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins, Editions du Jasmin, avec 12 letras de Horacio Ferrer, dont Balada para un loco et Chiquilín de Bachín, les deux incontournables, mais aussi des choses moins connues comme La guita ou Lulú, qu'il a beaucoup aimé découvrir dans mon manuscrit que je lui ai présenté en août 2007. (21) En 1968, Troilo commençait à avoir de très gros problèmes de santé. Il est mort en mai 1975. (22) traduit dans Barrio de Tango, ouvrage cité. Le seul que j'ai traduit dans toute la série contenue dans ce paragraphe de l'interview.

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