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Un Brahms bien sage

Publié le 16 juin 2013 par Philippe Delaide

Toute nouvelle sortie de l'excellent Jerusalem Quartet est toujours un petit évènement. Je ne me lasse jamais de leurs belles versions de quatuors de Joseph Haydn (les opus 76 en do majeur et ré mineur, l'opus 77 en sol majeur, l'opus 64 en ré majeur, les opus 20 et 33) (cf. note du 20 septembre 2009).

Leur dernier enregistrement est consacré cette fois à Johannes Brahms (quatuor opus 51 N°2 en la mineur et le fameux quintette opus 115 en si mineur). Pour ce qui me concerne, j'ai été marqué par des versions (que ce soit par le quatuor Melos ou l'Italiano) qui font que mes attentes sont peut-être trop fortes. J'ai tenté, autant que possible, de faire abstraction de cette maudite manie que l'on peut avoir de garder l'empreinte si forte de versions antérieures pour entrer dans l'univers que propose cette nouvelle version.

Brahm Jerusalem quartet
Sur le quatuor en la mineur, le Jerusalem Quartet peut tout de suite être reconnu par sa plasticité et son élégance si caractéristiques. Celles-ci s'associent assez bien à ce quatuor où le "Sturm & Drang" n'est pas à son paroxysme, loin de là (à l'exception peut-être de l'Allegro non assai final). On est plutôt dans le registre d'une voix intérieure où doivent se révéler la tendresse, une forme de nostalgie que l'on ressent souvent à l'écoute de la musique pour piano seul ou de la musique de chambre de Brahms. Le Jerusalem Quartet chante alors littéralement (c'est très marquant sur le premier mouvement, Allegro non troppo), avec une belle respiration, un jeu aérien, un lyrisme parfaitement dosé (pas de vibrato excessif). On pourra peut-être regretter que la subtilité, la finesse des Jerusalem soient au détriment d'un certain engagement. On ressent comme une certaine pudeur, la volonté de ne pas se dévoiler sur une composition qui, décidément, comme c'est souvent le cas chez Brahms, a le dont "d'intimider" les interprètes. Les passages qui doivent être plus "forte" pourront paraître bien sages pour des mélomanes qui, tout comme moi, restent marqués par l'impétueuse lecture des Italiano ou des Amadeus.

Vient ensuite le quintette pour clarinette. Dès le premier mouvement, on est à nouveau marqué par cette retenue et, avouons-le, un peu frustré. Heureusement la présence extraordinaire de la clarinettiste Sharon Kam dès les premières mesures nous emporte dans une version qui fait de ce quintette une sorte de rêverie étrange de toute beauté. Le Jerusalem Quartet semble alors plus concevoir son rôle comme l'écrin permettant à Sharon Kam de déployer son jeu d'une luminosité sidérante.

L'écoute complète de ce disque confirme que le parti pris est celui d'une lecture apollinienne où préside la volonté d'un équilibre de la forme, quelque chose de très "18ème siècle"... Comme si l'ombre de Joseph Haydn planait au dessus de ces deux compositions de Brahms. Je ne suis pas totalement convaincu par ce parti pris esthétique pour ma part car il a tendance à gommer les tourments de l'âme, voire la profonde et sincère tendresse qui doit ressortir de l'écriture de Brahms. On sera indéniablement séduit par la forme, la beauté sonore, la finesse que ce qui nous est proposé mais en conservant une certaine frustration résultant d'une volonté de rester sur une approche finalement assez distanciée.

Johannes Brahms - Quatuor opus 51 N°2 en la mineur - Quintette opus 115 en si mineur - Jerusalem Quartet - Sharon Kam (clarinette) - Harmonia Mundi.


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