Dans le cadre des Etats généraux de la modernisation du droit de l’environnement, une question revient souvent : l’arrêt « Seaport » rendu par la Cour de justice de l’Union européenne contraint-il l’Etat à revoir le dispositif actuel ? Le débat est ouvert (Remerciements à Mlle Cécile Baudet, élève avocate).
L’arrêt « Department of the Environment for Nothern Ireland / Seaport (NI) Ltd et autres, rendu le 20 octobre 2011, peut être consulté ici.
NB : la présente note n’engage que son auteur et a pour seule vocation d’ouvrir et non de trancher un débat sur l’interprétation de cet arrêt important. Les avis des juristes sont les bienvenus.
Pour mémoire, l’arrêt Seaport a été rendu le 20 octobre 2011 par la Cour de justice de l’Union européenne à la suite d’une question préjudicielle adressée par la Court of Appeal in Nothern Ireland.
Aux termes de cet arrêt :
- d'une part, l'autorité en charge de l'évaluation environnementale d'un plan ou programme visé par la directive 2001/42 doit être séparée non pas de manière organique mais fonctionnelle de l'autorité en charge de la décision
- d'autre part, l'autorité environnementale peut être une entité administrative interne à l'autorité décisionnaire à la condition d'une autonomie qui suppose une séparation matérielle.
En pratique cette décision de la CJUE ouvre le débat sur la nécessité de distinguer l'autorité environnementale de la DREAL.
Les faits
La demande de décision préjudicielle a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Seaport (NI) Ltd ainsi que Magherafelt district Council e.a. au Department of the Environment for Northern Ireland (ministère de l’Environnement) au sujet de la procédure de consultation ayant été menée dans le cadre de l’élaboration de projets de plans de développement régionaux en Irlande du Nord.
À l’époque des faits du litige au principal, le Department of the Environment for Northern Ireland était composé de quatre agences dont le service de la planification et le service de l’environnement et du patrimoine. Au cours de l’élaboration des projets «Northern Area Plan 2016» et «Magherafelt Area Plan 2015», le service de la planification a travaillé très étroitement avec le service de l’environnement et du patrimoine. Ce dernier a fourni des informations ainsi qu’un avis sur le contenu des projets en cause.
Pour la mise en œuvre de la procédure de consultation, le Department of the Environment for Northern Ireland a adressé le projet «Northern Area Plan 2016» et le rapport sur les incidences environnementales au public ainsi qu’à son service de l’environnement et du patrimoine et à d’autres autorités publiques. Il a reçu des observations concernant le projet de plan et le rapport sur les incidences environnementales de la part du public. Parmi celles-ci figuraient des observations de la part de Seaport (NI) Ltd, dont l’une était liée au contenu de ce rapport et à la conduite de l’évaluation environnementale.
En ce qui concerne le projet «Magherafelt Area Plan 2015» et le rapport sur les incidences environnementales, ils ont été communiqués au service de l’environnement et du patrimoine ainsi qu’aux autres organismes intéressés. Le Department of the Environment for Nothern Ireland a reçu des observations concernant le projet de plan et le rapport sur les incidences environnementales.
La procédure
En 2005, Seaport (NI) Ltd ainsi que Magherafelt district Council e.a. ont introduit des recours devant la High Court of Justice in Northern Ireland (Royaume-Uni), estimant que l’évaluation environnementale relative aux projets de plans en cause n’avait pas été réalisée conformément aux prescriptions de la directive.
Dans chacune de ces deux procédures, la High Court of Justice in Northern Ireland a jugé que l’article 4 du règlement de transposition de 2004 n’avait pas correctement transposé l’exigence, posée à l’article 6 § 3 de la directive, de désigner une nouvelle autorité consultative, lorsque le Department of the Environment for Northern Ireland est également l’autorité responsable du plan.
Le Department of the Environment for Northern Ireland a interjeté appel de cette décision devant la Court of Appeal in Northern Ireland (Royaume-Uni).
Cette dernière a saisi la Cour de justice de l’Union Européenne d’une question préjudicielle, portant sur l’interprétation de l’article 6 § 3 de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement.
L’arrêt Seaport du 20 octobre 2011
La question qui se posait à la Cour était la suivante :
« Dans des circonstances telles que celles au principal, lorsque l’autorité qui a été désignée comme étant celle devant être consultée au sens de l’article 6 § 3 de la directive 2001/42 est elle-même en charge de la conception d’un plan au sens de celle-ci, cette disposition doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle impose que soit désignée une autre autorité devant notamment être consultée dans le cadre de l’élaboration du rapport sur les incidences environnementales ainsi que de l’adoption de ce plan ? »
La Cour y a répondu comme suit :
"Dans des circonstances telles que celles au principal, l’article 6 § 3 de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 juin 2001, relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement, n’impose pas qu’une autre autorité de consultation au sens de cette disposition soit créée ou désignée, pour autant que, au sein de l’autorité normalement chargée de procéder à la consultation en matière environnementale et désignée comme telle, une séparation fonctionnelle soit organisée de manière à ce qu’une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d’une autonomie réelle, impliquant notamment qu’elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir les missions confiées aux autorités de consultation au sens de cet article 6 § 3 et, en particulier, de donner de manière objective son avis sur le plan ou programme envisagé par l’autorité à laquelle elle est rattachée."
L’organisation d’une séparation fonctionnelle entre autorité décisionnaire et autorité environnementale
L’article 6 § 3 de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001, relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement dispose :
« Les États membres désignent les autorités qu'il faut consulter et qui, étant donné leur responsabilité spécifique en matière d'environnement, sont susceptibles d'être concernées par les incidences environnementales de la mise en œuvre de plans et de programmes ».
Pour la CJUE, cet article n’impose pas la création ou la désignation d’une autre autorité consultative lorsqu’une seule autorité a été désignée comme autorité consultative au sein d’une partie d’un Etat membre et qu’elle est, dans un cas déterminé, en charge de l’élaboration d’un plan ou d’un programme.
Toutefois, la Cour a précisé qu’une séparation fonctionnelle devait être organisée laquelle est effective si:
1. l’autorité environnementale dispose d’une autonomie réelle, c’est-à-dire, qu’elle est pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres ;
2. elle est en mesure de remplir ses missions et notamment de donner un avis objectif sur le plan envisagé par l’autorité à laquelle elle est rattachée.
Il convient de noter que l’Avocat général, M. Yves Bot, avait conclu en sens inverse dans cette affaire :
« Un Etat membre ne peut s’exonérer des obligations qui lui incombent au titre de l’article 6 § 3 de la directive au motif que l’autorité responsable de l’élaboration du plan est également l’autorité désignée par la législation nationale aux fins de procédure de consultation. Une mise en œuvre crédible et utile de la directive exige que cet Etat membre désigne une nouvelle autorité consultative, distincte et indépendante de la première ».
Ainsi, selon lui, une nouvelle autorité consultative devait être désignée pour assurer la mise en œuvre crédible et utile de la directive 2001/42.
La CJUE, comme l’Avocat général, ont justifié leur choix, pourtant antagonistes, en se fondant sur la nature et la portée de la procédure de consultation, qui contribue à une plus grande transparence du processus décisionnel et vise à s’assurer que les incidences d’un plan sur l’environnement ont été prises en compte, tout comme les solutions de substitution.
L’extension de l’arrêt Seaport aux projets de travaux ?
Ni l’arrêt Seaport, ni les conclusions de l’Avocat général ne font référence à la directive 85/337 du 27 juin 1985 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement (modifiée le 13 décembre 2011), qui prévoit une évaluation environnementale des projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements.
Pourtant, l’article 6 § 1 de cette directive prévoit également la mise en œuvre d’un mécanisme d’évaluation environnementale par les Etats membres :
« Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que les autorités susceptibles d'être concernées par le projet, en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d'environnement, aient la possibilité de donner leur avis sur les informations fournies par le maître d'ouvrage et sur la demande d'autorisation. A cet effet, les Etats membres désignent les autorités à consulter, d'une manière générale ou cas par cas. Celles-ci reçoivent les informations recueillies en vertu de l'article 5. Les modalités de cette consultation sont fixées par les Etats membres ».
Si la rédaction de cet article n’est pas identique à celle de l’article 6 § 3 de la directive 2001/42, elle invite, elle aussi, les Etats membres à désigner des autorités à consulter en matière d’environnement.
Les critères de désignation de cette autorité sont, au demeurant, similaires à ceux fixés par l’article 6 § 3 :
- les autorités doivent être susceptibles d’être concernées par le projet ;
- il doit leur incomber des responsabilités spécifiques en matière d’environnement.
Est-ce à dire qu’un raisonnement analogue à celui développé dans l’arrêt Seaport peut être transposé à la directive 85/337 sur les projets ? Il est permis de le supposer tant il serait étrange, au regard des objectifs poursuivis par le droit de l'environnement et de la proximité rédactionnelle des deux directives que les garanties de l'évaluation des plans ne s'appliquent pas à celle proposée pour les projets.
Et la France ?
Depuis cet arrêt, la question revient sans cesse : le Préfet peut-il être l'autorité environnementale en charge de l'évaluation d'un projet, tout en étant dans le même temps l'autorité décisionnaire ?
La réponse est complexe et la CJUE procède à un contrôle pragmatique, cas par cas. En réalité, deux réponses sont généralement apportées
- une réponse plus économique : faire systématiquement remonter à une autorité environnementale autre que le Préfet tous les dossiers serait facteur de délais supplémentaires et de coûts, tant pour l'administration que le maître d'ouvrage;
- une réponse plus juridique : l'aspect économique du problème en est un, l'aspect juridique en est un autre.
A première vue, la Cour ne semble pas "exiger" que, de manière générale, la séparation fonctionnelle entre l'autorité environnementale et l'autorité décisionnaire aboutisse à une séparation organique entre les deux. Au demeurant, l'arrêt précise qu'il est possible que l'autorité environnementale soit une administration. l'autorité environnementale peut même être une "entité administrative, interne" à l'autorité décisionnaire. Il ne semble donc pas que la création d'une autorité administrative indépendante soit juridiquement obligatoire.
Reste que cette séparation fonctionnelle doit permettre une "autonomie réelle"
"impliquant notamment qu’elle [l'autorité environnementale] soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres"
A fortiori ce principe s'oppose à ce qu'une même autorité administrative - le Préfet - soit autorité environnementale (AE) et autorité décisionnaire (AD).
Appliquée à la France, cette exigence emporte sans doute les conséquences suivantes.
En premier lieu, lorsque l'autorisation de projet est prise par l'Etat au niveau déconcentré, désigner le Préfet de région comme autorité environnementale ne résoud pas le problème de l'autonomie réelle car le Préfet de région est aussi un Préfet de département et donc à la fois AE et AD pour ledit département. Lorsque le Préfet de région AE n'est pas le Préfet de département AD : le problème reste à peu prés entier car c'est toujours la DREAL - dont la compétence n'est pas remise en cause - en charge de l'instruction du dossier qui émettra le projet d'avis de l'AE. Il existe donc un lien trés fort entre l'AE et l'AD.
En second lieu, lorsqu'une collectivité territoriale est AD rien ne semble s'opposer à ce qu'un préfet ou le CGEDD soit AE, sous réserve d'un débat éventuel sur l'indépendance du CGEDD.
En troisième lieu, lorsque le Préfet est AD et le CGEDD est l'AE, rien ne semble méconnaître la solution retenue par la CJUE.
En définitive, un problème se pose lorsque le Préfet est AE et AD. Et le problème tient en réalité à ce que la DREAL déclare recevable un dossier de demande d'autorisation puis procède à son évaluation environnementale avant de proposer un projet de décision au Préfet. Une lecture stricte de l'arrêt Seaport pourrait conduire à ce que la séparation fonctionnelle soit effective entre la DREAL et l'autorité environnementale locale. Un réseau AE nationale et AE locales serait sans doute une bonne idée pour assurer l'uniformité d'interprétation des règles relatives à l'évaluation environnementale. Idée qui aurait peut être l'inconvénient du coût mais le mérite de l'indépendance effective de l'évaluateur.
Le mieux serait que cette évaluation environnementale soit menée le plus en amont possible pour permettre au pétitionnaire d'oeuvre à la sécurité juridique de son projet tout en respectant des régles plus claires de composition de ce document important. Ce qui ouvre un autre débat : celui sur l'avis de l'autorité environnementale au cours d'une phase préalable de cadrage.
Arnaud Gossement
Avocat