« J'ai deux façons d'écrire. La
première consiste à concevoir une pièce dans ma tête de façon à ce que
l'écriture sur le papier ne soit plus qu'une simple formalité. Je me méfie du
crayon, qui induit l'autosuggestion, la spéculation, la tentation du geste qui
noircit les lignes de signes et de notes et semble vouloir dire que plus c'est
dense et complexe, meilleur c'est.
[La seconde façon] c'est la pomme de Newton qui vous tombe sur la tête !
L'inspiration - la révélation, si j'osais le dire. Comme ces gens accidentés
dont la vie défile en quelques fractions de seconde. J'essaie de capter des
mouvements, de fixer des repères en notant de longs trajets musicaux
sténographiques. C'est ainsi que j'ai composé mon concerto pour violon Hommage
à Louis Soutter.
Il y a aussi d'autres manières, comme dans “Scardanelli-Zyklus”, écrit de 1975
à 1993 sur des poèmes d'Hölderlin, qui signait du pseudonyme de Scardanelli…
C'est un cas spécial. J'avais envie d'une pièce instrumentale fondée sur des
sons harmoniques naturels. Me sont alors revenus ces poèmes que je connais par cœur
depuis l'école. Cela s'est élaboré par strates. Comme les feuilles d'un
calendrier des saisons qu'on arrache les unes après les autres. Il y a eu les
voix chorales. Puis les miroirs instrumentaux (orchestre et bande), à la
manière des polyphonies du Moyen Age. Enfin la flûte.
En 1991, j'ai ajouté un Ostinato funèbre, mémoire en décomposition de l'Ode funèbre maçonnique de Mozart, avec
des bruits de feuilles, de vent, de gouttes d'eau. »
Heinz Holliger, in Le Monde du jeudi
30 mai 2013, supplément spécial ManiFeste 2013 (IRCAM)
(Heinz Holliger est compositeur, chef d’orchestre et hautboïste.