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Mécanhumanimal, Enki Bilal, au Musée des Arts et Métiers (Paris 3)

Publié le 20 juin 2013 par Carnetauxpetiteschoses @O_petiteschoses

IMG_20130620_012914Si l’association du titre de l’exposition « Mécanhumanimal » et de l’illustration d’Enki Bilal pour l’affiche de l’exposition n’étonne pas, sa compréhension demande réflexion. Forgé à partir de trois mots : l’homme, la machine et l’animal, ce titre peut se lire sous le prisme de la notion d’imagination, et c’est avec elle qu’on peut choisir d’appréhender sa visite.

En effet, au fil de visites successives au Musée des Arts et Métiers, Enki Bilal à l’univers futuriste foisonnant, s’est laissé guidé, au gré de son inspiration. Peuplant le Musée des Arts et Métiers de ses visions, il y a intimement éprouvé « la mécanique du mouvement dans le temps et dans l’espace ».

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Le musée laisse en effet les objets raconter l’Histoire. C’est par les machines et ses inventions diverses, que l’homme a modelé son monde, modifiant ses pratiques et ses gestes, de plus en plus assisté par les machines. Dans le contexte actuel, l’individu sans cesse connecté, est complété par les machines qui l’accompagnent au quotidien. A l’origine la machine sert à faciliter la vie de l’homme et le Musée en témoigne efficacement.
Ainsi Enki Bilal entraine le visiteur dans un monde qu’il créé, une réalité qu’il redéfini avec des tons bleutés et gris, des contours volontairement flous, des expressions de visages précises et la violence de la vie dont on ne peu faire l’économie. Il introduit dans ce monde des outils, des objets fonctionnels, des machines en somme, qu’il emprunte parfois à l’Histoire : on retrouvera ainsi la capsule de Nikopol qui est en fait un turboréacteur ATAR. Comme il le dit « Deux choses m’ennuient : la reproduction du réel et les changements du réel, je ne veux ni être dans le calque, ni dans le train qui suivrait l’actualité. Je suis de plain-pied dans le réel, mais un réel qui aurait été brouillé, relu, vicié par une mémoire devenue déficiente.»

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Ainsi en contre-point de ses planches, de ses dessins, et de ses peintures, une sélection précise d’objets issus du Musée, est exposée. Les machines prennent alors une autre dimension dans notre imaginaire, en étant juxtaposées avec l’imagerie débordante de l’artiste. On lit avec attention et curiosité les fiches présentant les objets : passant d’un  « inhalateur – remugleur d’émanations volatiles » d’après Henri Hall qui utilise la force de l’expansion de la vapeur pour élever de l’eau, à la panoplie du tourneur issue de l’exposition universelle de 1855, avec sa valise monumentale d’outils appelée « Titilleur, déverouilleur de mémoire », en passant par le « provocateur de beauté enrichie » qui était censé rajeunir par émanations de radium sur la peau, « la machine à découdre l’incohérence de la pensée »,machine à coudre « Antoine », pour les boutons et les étiquettes, ou « l’appareil d’enregistrement objectif à zoom des conflits ou Télécinema, qui consiste à convertir image argentique en image numérique.
Dans le nommage des objets et la définition de leur fonctionnalité, un savant jeu s’opère misant sur l’imagination des visiteurs. Pris au sens propre les noms pourront évoquer certaines choses mystérieuses, associés aux dessins de l’artiste, ils adoptent un usage fantastique, et ramenés à leur origine, on comprend comment ils s’inscrivent dans le contexte historique.

L’imagination des inventeurs parle alors d’elle-même, on imagine sous la douche sonore, placée dans un décor de salle de bain, comment les expérimentations scientifiques et les croyances de la société d’une époque projetaient leurs attentes dans ces objets. C’est encore l’imagination qui est le moteur premier du processus créatif des inventeurs scientifiques. Le regard exploratoire d’Enki Bilal, qui force à examiner tous les détails du monde qu’il esquisse, prépare la découverte du « script-walker » (objet inventé par l’artiste) qui est rendu interactif, par un dispositif muséographique réalisé par Dassault Systèmes. Le visiteur voit et peu comprendre avec détails, le fonctionnement de cet objet, grâce à de la 3D relief sans lunettes.

Ainsi donc, la scénographie pertinente et variée permet de rendre compte de l’étonnante et évidente rencontre du monde inventé par Enki Bilal avec l’histoire des objets.
Dans cette exposition peu classique, le Musée des Arts et Métiers a donné carte blanche à l’artiste pour qui les relations de l’homme avec les innovations techniques sont étroites.
Cette « ode à la vie », comme le décrit l’artiste lui-même en introduction, est aussi une ode à l’inventivité. Mais percevant le fait que la création des machines est réalisée à l’image de l’homme lui-même, Enki Bilal, souhaite révéler par l’exposition cette dimension à double tranchant. Pour lui ainsi, tout est dans le tout. Ses productions et les objets choisis sont étroitement liés au monde façonné par l’homme. Il montre alors ce que sont les choses et ce que pourrait être le monde, dans cet univers où la vie est donnée aux machines par l’homme, s’autoproclamant animal suprême, dominant le règne du vivant.

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Organisée en 5 parties, l’exposition suit les thèmes de prédilection de l’artiste : « Passions humaines, Animaux, monstres et hybrides, Rêves de machines, Conflits et Planète », présentant près d’une centaine d’œuvres, dont les procédés picturaux varient de la peinture acrylique, au pastel, de la couleur, au noir et blanc, d’un rendu ultra-réaliste à certaines œuvres moins définies et parfois presque abstraites.

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Débutant par des œuvres dépeignant les passions humaines, on entre dans l’univers de l’artiste par les émotions, les étreintes, les expressions intenses, et ce qui ressemble à une série de portraits. Il s’agit de la dimension la plus agréable, rassurante et émouvante de l’œuvre de Bilal. En évoluant dans la visite, on rencontre des créatures monstrueuses, créées à partir de plusieurs animaux réels. Cette faune abondante est faite de reptiles, d’insectes, et d’animaux hybrides qui réveillent nos peurs enfouies. Dans le rêve de machines de l’artiste, les technologies s’expriment pleinement. Ce sont des moyens de transport, des outils de communication, qui prennent place dans des sociétés opprimées, au régime totalitaire et à l’architecture massive. Si Enki Bilal considère que « l’art est un produit de la guerre » il aborde les conflits comme toile de fond de ses intrigues. Enfin, engagé pour la défense de l’environnement, l’artiste parle de notre planète comme d’un « personnage » fragile et mortel. Ces préoccupations se lisent davantage dans ces récents ouvrages Animal’z et Julia & Roem qui décrivent des écosystèmes déréglés.

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Son monde inspire ainsi un sentiment ambivalent : une contemplation poétique et une esthétique indiscutable, qui se marient avec des éléments mécaniques inquiétants. C’est la menace et le risque de la machine dépassant l’homme qui pèse en filigrane sur ses dessins. A nous de mener la réflexion, laissant libre cours à notre imagination et à notre raisonnement.

Une exposition/ installation originale et digeste qui ouvre des perspectives sur le rapport étroit de l’homme à la machine.

A voir :
Mécanhumanimal, Enki Bilal
Au Musée des Arts et Métiers
60 rue de Réaumur
75003 Paris

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