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Le 36ème dessous

Publié le 20 juin 2013 par Montagnessavoie
Si tu me cherches, j'suis au 36ème dessous. Sans ascenseur, bien entendu. L'endroit est un peu glauque, voire morbide, j'te conseille pas d'venir y mettre les godasses. Tu risques de repartir avec les pieds devant. Conseil d'ami. Depuis quand j'vis dans c'taudis ? Depuis peu, j'te rassure. Si j'ai l'intention d'y moisir ? J'sais pas trop. Pendant que j'suis là, j'suis pas ailleurs où y'a du grabuge et du boucan, j'suis peinard, à l'ombre. Personne me cherche et c'est tant mieux. J'me nourris de cafards et autres bestioles pas recommandables. Quand j'ai froid, j'm'enroule dans des toiles d'araignées. Et quand j'm'embrouille trop là-dedans, alors je ferme les yeux et j'essaie d'm'endormir. C'est pas évident. Dormir les yeux ouverts. J'm'habitue à la noirceur, je broie la nuit, je fixe le rien. Parce que j't'ai pas tout dit. J'suis tout seul ici. Pas de compagnie. Tout seul avec moi-même, et souvent, c'est déjà trop. Personne me rend visite, juste des fantômes déguisés en souvenirs. Mais ils m'auront pas comme ça, les revenants, non, ils m'auront pas. Z'auront pas ma peau, j'te le garantis. Des fois, je leur parle, aux visiteurs du soir. J'leur dis "alors, c'est la faucheuse qui  vous envoie me trouver ?". Ils répondent pas, jamais. Y'a que le silence. C'est lourd, le silence, c'est pesant, j'te jure. Ça comprime les tympans, ça sidère les écoutilles et ça noie le cerveau en moins de deux. J'comprends qu'il y en a certains qu'ont fini timbrés dans ce gourbis sans fond. Oui, sans fond, t'as bien entendu. Parce qu'il y a des jours, j'ai l'impression que j'tombe, que j'tombe, que j'dégringole. J'attends la chute mais j'atterris jamais. Faut croire qu'il y a des bédouins qui vivent dans un endroit en-dessous du 36ème dessous. Les pauvres ! Et dire que la moitié du temps j'leur chie dessus, aux pékins ! Comme s'ils étaient pas déjà assez mal en point ! J'ai encore de l'humour ? Il en faut bien, mon pote, sinon on sature, on passe le mur du son, la muraille de Chine du délabrement. Comment je fais ? J'm'adapte, j'me caméléone, je gère. Je siffle des filles invisibles, je tourne en faux le bouton d'la radio - y'a pas de radio ici, tu l'vois bien, qu'est-ce que tu regardes ! -, je zyeute la petite lucarne dans ma tête de naze, j'invente, j'embellis. Nan, arrête ça, j'suis pas poète. Loin de là. C'est juste qu'au 36ème dessous, on vit pas comme tout le monde, c'est pas possible. Une fois qu'on y est resté un peu longtemps, on finit par avoir des visions que les autres, eh ben, ils auront jamais. En fait, il fait tout noir là-dedans, mais on y voit vachement clair. Tu comprends ? Non, tu comprends pas, tu peux pas comprendre. Faut le voir pour le croire. Pourtant j'fume pas, j'bois pas, mais j'ai des hallucinations, des fois. Ouais, des hallucinations, comme j'te le cause, mon bonhomme. Quand j'lève la tête vers le plafond - attention, j'sais même plus comment il est foutu, c'plafond. La dernière fois que j'l'ai vu c'était y'a belle lurette -, quand j'regarde là-haut, pile dans l'néant, j'vois des lumières, comme un feu d'artifice. Eh, toi qui viens de la surface, tu peux m'le dire : ça existe bien, les feux d'artifice ? Oui ? Eh ben voilà ! Pourquoi j'les verrais pas, moi, même depuis le 36ème dessous ? 

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