A propos de People Mountain People Sea de Shangjun Cai
Jian Bin Chen
Dans la région de Guizhou, province très pauvre du sud-ouest de la Chine, un conducteur de moto est lâchement assassiné en plein jour et de sang-froid, dans une carrière d’exploitation à la couleur blanche aveuglante et inondée de soleil. Apprenant la nouvelle, le frère de la vicime, Lao Tie décide le jour même de partir à la recherche du tueur, à la fois pour venger son frère et toucher une prime qui l’aiderait à éponger l’énorme dette qu’il doit à un collègue qu’il a gravement et accidentellement blessé au travail…
Récompensé par un Lion d’Argent à la Mostra de Venise 2011, People Mountain People Sea, réalisé par un quasi inconnu (Shangjun Cai) est un film âpre et tendu, violent, qui mélange à merveille les genres (polar, science-fiction, chronique sociale, politique), porté par une mise en scène aussi sèche que radicale dans son dispositif visuel.
Le personnage de Lao Tie (sublime Jian Bin Chen), suscite autant de mystère et d’interrogations que la mise en scène de son compatriote.
De Lao Tie, on apprendra donc peu de choses, si ce n’est qu’il vit avec une fermière et qu’il a un fils d’un précédent mariage qui habite dans une ville plus ou moins proche de son village.
Lao Tie est un personnage taiseux et violent. Silencieux tout au long du film, c’est un quinquagénaire au visage bourru, à la face aussi endurcie que la vie qu’il a du avoir. Sur ce visage, on parviendra donc difficilement à lire ou à déceler des émotions, à saisir des sentiments sinon celui de la colère, comme si Lao Tie parvenait toujours à masquer ou cacher ce qu’il éprouvait, à garder une maîtrise de lui permanente et fascinante, presque inhumaine au regard de la tragédie qu’il traverse et qui le frappe de plein fouet.
Seuls les éclats de violence qui le prendront révèlent une rage qu’il ne peut plus contenir, qui a besoin de sortir comme d’être expurgée. Sinon, la plupart du temps, son visage restera impassible, en apparence indifférent à la détresse de son ex-épouse qui se plaint de ne plus pouvoir joindre les deux bouts et de ne pas s’en sortir avec l’éducation de leur fils…
Cela ne veut pas dire que Lao Tie est inhumain, au contraire, car au-delà d’un goût manifeste de Shangjun Cai pour la violence et le règlement des conflits par l’intimidation et la force physique, il y a étrangement et parfois des éclaircies, des signes incongrus et inattendus de tendresse chez son personnage principal, à l’image de cette scène étonnante où Lao Tie invite la mère du meurtrier à venir manger chez lui ! De même, il faut voir dans ses rapports silencieux (pour ne pas dire mutiques) avec son fils une dureté vivible au premier abord certes, mais qui n’en révèle pas moins au-delà une certaine affection, subtile, tout en non-dits…
Le décor qui sert de toile de fond à Jian Bin Chen est celui d’une province chinoise aux décors somptueux mais grande oubliée du miracle économique. Une Chine rurale à l’agriculture archaïque, restée très pauvre et qui n’a pas pu profiter de l’essor ni de la croissance des grandes villes.
Mais la Chine que décrit le réalisateur est aussi celle des bas-fonds, au sens dostoïveskien du terme, celles des nantis, crasseuse et misérable, à l’image des taudis qu’il filme et où s’entassent des hommes et des femmes qui vivotent et survivent de commerces et de petits trafics, on ne sait trop comment.
On a beaucoup parlé de western concernant ce film, mais à plusieurs égards, People Mountain People Sea est très influencé par l’univers et la réalisation des films de Kitano. C’est d’abord l’extrême violence de son personnage qui fait penser cela, au-delà des courts élans de tendresse suggérée dont on a parlé plus haut et qui rappellent d’ailleurs L’été de Kikujiro (1999).
Mais cette extrême violence et le silence mutique de Lao Tie ne sont pas son seul point commun avec les personnages que campent lui-même Kitano dans ses films. Il faut aussi revenir sur la mise en scène, tout en longs plans fixes et en silences. Des plans fixes inspirés par le réalisateur japonais et qui débouchent aussi presque toujours sur un éclat de violence, un élan de haine physique aussi brutal qu’inattendu.
Le scénario fragmenté, éclaté donne au spectateur le sentiment de perdre pied dans l’histoire à partir du moment où Lao Tie arrive dans la mine illégale. Alors, on a un sentiment flottement, d’irréalité voire de tournure fantastique que prend le film à travers ces très longues scènes souterraines dignes d’un célèbre livre de George Orwell et d’un Big Brother non seulement watching you, mais qui vous vous tape aussi dessus quand il faut aussi. Une métaphores du régime chinois, vous avez dit ?
Jusqu’au-boutiste, profondément original et déroutant jusque dans sa chute en forme d’Apocalypse, People Mountain People Sea est à coup sûr un film que l’on vous recommandera chaudement. Si vous n’avez pas peur des cauchemars post-projection…
http://www.youtube.com/watch?v=0DgYwuyr3OY
Film chinois, hong-kongais de Shangjun Cai, avec Jian Bin Chen, Xiubo Wu (01 h 31)
Scénario de Shangjun Cai :
Mise en scène :
Acteurs :
Compositions de Wei Dong :