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"Qu'est-ce qu'un "grand" juriste ?" de Lauréline Fontaine, éd. Lextenso

Publié le 23 juin 2013 par Arnaudgossement

Je viens d'achever la lecture du Livre du Professeur Lauréline Fontaine intitulé "Qu'est ce qu'un "grand" juriste ? publié en début d'année aux éditions Lextenso. Je me permets de vous recommander cet ouvrage très intéressant. 


Il faut remercier l'auteur pour cette étude difficile mais d'intérêt général qui n'interressera pas que les juristes. Il est souvent question des grands intellectuels mais plus rarement des grands juristes. L'auteur relève à juste titre : " ce qui apparaît certain, et en tout cas aujourd'hui, c'est que le juriste acquiert peu souvent de la popularité au sein de l'espace public, même a posteriori (...) le juriste dans l'espace public n'est pas grand public, il n'est pas du tout" (p 41).

La question est pourtant d'importance car le droit est au centre de notre vie en société et il convient de savoir quelle influence ont et souhaitent se donner les personnes dont le droit est la profession. Aprés une longue définition des termes et de l'intérêt et des différentes approches possibles du sujet, Mme Fontaine évite le piège de confondre "grand" et "bon" juriste et cerne l'enjeu central : le juriste n'est-il qu'un technicien ou doit-il être un intellectuel dans la cité ? P 56 : "Doit-on se résoudre à penser le juriste comme un technicien, et le "grand" juriste comme un "grand" technicien ? Le juriste est-il exclu de la réflexion sur le pouvoir, d'une réflexion sur son propre rapport au pouvoir, d'une réflexion sur la place du droit dans l'espace social et sa structuration ?"

Doté d'un solide esprit critique, fin lettré, le juriste, pour accéder à la grandeur doit cumuler plusieurs qualités et, de ce point de vue, l'auteur ose rompre avec un positivisme étouffant : "Pour considérer que le juriste, le "grand" juriste, est un bon technicien, il faut donc aussi considérer qu'il n'est certainement pas que cela, parce qu'il est aussi un connaisseur et un penseur du social. La capacité d'un juriste à situer la connaissance du droit dans le contexte plus général du monde fait partie de ses qualités indispensables"(p 69).

En référence à Philippe Malaurie, Lauréline Fontaine, rappelle son propos : "aucun des grands juristes n'a été positiviste; aucun n'a estimé que sa mission était de décrire et d'expliquer le droit, que "la loi c'est la loi", un point c'est tout : cette fonction, c'est celle des "petits" et des laborieux, ou pour parler comme Pantagruel, des "cuizsiniers" ou des "marmiteux" du droit (...) tous les grands ont pris de la hauteur sur le droit positif, ils ont dénoncé l'injustice des lois, l'ésotérisme de leurs langues, la lourdeur de l'organisation judiciaire, la lenteur, le coût et l'imprévisibilité du droit, l'inextricable labyrinthe des sources" (p 122). 

Je partage bien entendu ce point de vue. Le juriste doit être dans la cité. Il en va donc de même de l'avocat pour qui la connaissance du droit et de ses mécanismes est un préalable nécessaire mais non suffisant.

Cette phrase encore : "Qu'elle soit à fin de justice ou non, la participation à la vie de la Cité apparaît un élément fondamental, non seulement de la qualité même de juriste, mais a fortiori, de celle de "grand" juriste" (p 126).

L'ouvrage de Mme Fontaine peut cependant être soumis à la critique. On regrettera en particulier que son analyse ne soit pour l'essentiel consacrée à la figure du Professeur de droit qui n'est que l'une des figures du juriste. Cette critique n'en est cependant pas réellement une car l'intérêt de ce livre réside surtout dans l'interrogation des conditions de formation des juristes. Et la plume est ici féroce pour souligner le déclin actuel d'une université sans grand moyens et désorientée quant à sa fonction même, partagée entre la sauvegarde d'un savoir théorique et la promotion d'un savoir pratique, "professionnel".

Mme Fontaine écrit ainsi, s'agissant de la liberté que pourrait procurer la position académique du Professeur, qu'elle "semble pourtant participerà une forme d'appauvrissement de la pensée. Il existe bon nombre de publications intéressantes il est vrai, mais globalement elles ne masquent pas le fait que ce n'est pas la littérature des professeurs de droit  qui apprend quelque chose sur le droit : ce peut être celle des autres juristes, ou celles de sociologues ou de philosophes". Reste que l'on aurait aimé que l'auteur s'attache ici davantage aux causes exactes de cette situation. Je ne fais nullement parti de ceux qui regretteraient que la faculté de droit ne dispense pas un savoir plus pratique ou adapté au marché de l'emploi. Je me méfie à l'inverse des cursus spécialisés et des enseignement supposés pratiques mais trés vite atteints d'obsolescence. Je préfère un savoir qui autorise chaque étudiant à disposer d'une connaissance large du droit, tant du point de vue historique, matériel que formel, et à se forger sa propre critique et pratique du droit. Le droit n'est pas une cuisine qui s'apprend par fiches recettes. le propos est valable pour la modernisation dudit droit. Je constate toutefois que certains universitaires refusent encore, malgré le pessimisme de leur constat, à s'interroger sur leur propre "responsabilité". Les conditions d'encadrement des thèses, le recrutement par cooptation, la difficulté de développer sa recherche dans certains champs (dont le droit de l'environnement), le refus de certaines approches dont la prospective, le conservatisme assez répondu... une remise en cause serait utile tant il est vrai que rien ne remplacera jamais la factulté de droit pour former les meilleurs voire les grands juristes.

Revenons au livre de Lauréline Fontaine. Critique quant à l'état de la pensée juridique universitaire, l'auteur se garde dans le même temps d'idéaliser la participation du juriste à la fabrication du droit : "les juristes, convoqués ou invités à donner leur expertise, tendant ainsi à devenir une simple caution d'un travail qui se fait en dehors d'eux. On regrette que les circonstances fassent que la communauté des juristes se rende complice de cet éloignement volontaire, qu'elle troque un savoir véritable contre des positions académiques".

Qu'il me soit permis ici de faire part de ma trés modeste expérience. Je n'ai jamais été dupe des motifs pour lesquels le politique fait appel à un juriste, comme, au demeurant, à d'autres "experts". Il est amusant de s'interroger sur les motifs pour lesquels telle profession du droit sera choisie en fonction du but recherché. Généralement, le politique choisira un Professeur pour donner un gage de neutralité aux acteurs concernés par le sujet du rapport ou de la mission confiée. Le choix d'un Avocat permettra au politique de dire qu'il est prêt à bouculer l'ordre établi. Le choix d'un Juge, a fortiori d'une juridiction suprême, représente la plus grande preuve de sérieux et de solennité de la mission confiée. La figure du Juge demeure la plus valorisante pour celui qui fait appel à lui et obtient son consentement. La participation à la vie de la cité me semble cependant indispensable et accepter, sans naïveté, de contribuer, même trés modestement, à la vie politique me semble encore tout à fait honorable.

Un "grand" juriste, a fortiori français, est-il un révolutionnaire ? L'auteur répond par la négative : "C'est important : un "grand" juriste n'a pas une vocation obligatoire à opérer des révolutions ou des sauts dans l'histoire de la pensée juridique. il suffit peut-être qu'il comprenne mieux que les autres le droit , soit qu'il en fasse usage, soit qu'il en soit le décrypteur"

L'intérêt de l'ouvrage de Mme Fontaine réside davantage dans les nombreuses questions qu'il suscite que dans d'éventuelles réponses définitives destinées à clore un débat. Le présent billet n'a d'autre vocation que vous donner envie de le lire.

Arnaud Gossement


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