Au vu des réactions diverses qui ont accueilli ma note de la semaine passée sur le Front de gauche et la tribune que j’en ai faite pour Politis.fr, loin de mettre de l’eau dans le vin que je ne vois plus, je vais enfoncer le clou. Parce que, derrière ces amas de mots, ces tentatives d’interprétation quand mes phrases sont précises et ne comportent aucun sous-entendus, il y a bien un débat antédiluvien sur l’unité.
Il faut lire pour comprendre
Certains d’entre-vous ami-e-s lecteurs-trices, faites le pari de l’identité, de l’affirmation du « moi » politique. Je vais m’attacher à la définir en quelques mots. Donc, nous sommes le Front de gauche, nous sommes la gauche qui s’oppose à la politique menée par le Parti socialiste et ses alliés sociaux-libéraux, du PRG à EELV. Nous sommes celles et ceux qui ouvrent une alternative politique à gauche. Je souscris totalement à cette définition de notre identité politique. Et je trouve que cette affirmation du moi est un élément important de la structuration, tous les pédopsychiatres vous le diront. Lesquels ont aussi insisté sur le fait que, chez l’enfant, la structuration de l’identité se fait en contre. Le passage à l’âge adulte entraîne une autre démarche.
Ceci posé, j’ai eu le tort pour certain-e-s de défendre l’unité de la classe ouvrière, l’unité du peuple, comme outil politique dans la période. Certains y ont lu un appel au « ralliement au PS », d’autres encore une esquisse de resucée de la « gauche plurielle ». J’ai écrit simplement : « Je crois d’abord à la force du rassemblement et entends prendre au mot nos « camarades » de la gauche du Parti socialiste, singulièrement les centaines de milliers de citoyens de ce pays qui se reconnaissent dans leurs discours. » J’ai bien écrit « les prendre au mot », ces militants de la gauche du PS en faisant le pari de leur sincérité.
Au demeurant, quand Jean-Luc Mélenchon dit et écrit : « Il y a, dans les résultats des élections législatives de juin 2012, les conditions pour une majorité politique alternative ». dis-je vraiment autre chose ? Quand nous proposons de dépasser le Front de gauche en construisant le Front du peuple, nous nous obligeons à nous adresser aux abstentionnistes, aux non-inscrits mais aussi aux membres de la gauche du PS aussi bien que d’EELV. Et, comme nous sommes dans un Front du peuple, pas dans un nouveau cartel d’organisations, la question de l’appartenance devient secondaire. J’en déduis que l’on ne peut pas dialoguer avec celles et ceux que nous entendons amener à nos thèses politiques avec un pistolet sur la tempe.
Pour bien me faire comprendre, je m’en vais vous faire partager quelques propos de Lénine, que nul ne saurait condamner pour « compromis pourris ». Prenant l’exemple de la Grande-Bretagne, il critique les communistes qui, au nom de leurs convictions révolutionnaires, refusaient de soutenir le Parti Travailliste, qui était dirigé par des éléments réactionnaires :
Que les Henderson, les Clynes, les MacDonald, les Snowden soient irrémédiablement réactionnaires, cela est exact. Il n’est pas moins exact qu’ils veulent prendre le pouvoir (préférant d’ailleurs la coalition avec la bourgeoisie) ; qu’ils veulent administrer selon les vieilles règles bourgeoises […]. Tout cela est exact. Mais il ne suit point de là que les soutenir, c’est trahir la révolution ; il s’ensuit que les révolutionnaires de la classe ouvrière doivent, dans l’intérêt de la révolution, accorder à ces messieurs un certain soutien parlementaire. […] Agir autrement, c’est entraver l’œuvre de la révolution, car si un changement n’intervient pas dans la manière de voir de la majorité de la classe ouvrière, la révolution est impossible. Or ce changement, c’est l’expérience politique des masses qui l’amène, et jamais la seule propagande.
Derrière ces mots se dessine une vision politique solide de l’unité. Pas une unité entre partis, sur la base de négociations occultes. Il s’agit bien de l’unité organique de la classe ouvrière sur la base de mots d’ordre politiques clairs. C’est cela le Front du peuple que nous ambitionnons de construire. Et nous, au Front de gauche, nous en avons des mots d’ordre politiques clairs : refus de l’austérité en France et en Europe, SMIC à 1 700 euros, salaire maximum, etc. Nous en avons même fait un livre-programme qui porte le beau nom de l’Humain d’abord. La bataille pour l’unité de la classe ouvrière est antinomique avec l’affirmation infantile d’une identité en contre. Elle exclut toute attitude sectaire, tout dogmatisme.
Les dogmatiques se refusent à tenir compte des conditions nouvelles de l’évolution du monde, ils se cramponnent à d’anciennes formules adaptées à une situation différente. Le dogmatisme aime faire parade d’une phraséologie « de gauche » et de mots d’ordre « ultra-révolutionnaires » se traduisant dans la réalité par une politique qui est loin d’être révolutionnaire. Dans le temps présent, le dogmatisme consiste à ne pas voir les mouvements politiques forts qui traversent l’ensemble des organisations partie prenantes du gouvernement.
C’est étonnant. J’avais écrit une note où je reprenais ces éléments politiques à l’adresse de nos amis de l’extrême-gauche. Je dois aujourd’hui les tenir à l’adresse de certains de mes camarades du Front de gauche. Je vais donc conclure encore avec Lénine :
On ne peut vaincre avec l’avant-garde seule. Jeter l’avant-garde seule dans la bataille décisive, tant que la classe tout entière, tant que les grandes masses n’ont pas pris soit une attitude d’appui direct à l’avant-garde, soit tout au moins de neutralité bienveillante, qui les rende complètement incapables de soutenir son adversaire, ce serait une sottise, et même un crime. Or, pour que vraiment la classe tout entière, pour que vraiment les grandes masses de travailleurs et d’opprimés du Capital en arrivent à une telle position, la propagande seule, l’agitation seule ne suffisent pas. Pour cela, il faut que ces masses fassent leur propre expérience politique.
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Bonus vidéo : Nine Inch Nails « We’re In This Together »