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Devenir indien – Opération décomplexion !

Par Beena

En lisant «Devenir Indien» de Pavan K. Varma, j’avais l’impression d’être replongée dans « Lagaan », le très beau film un brin nationaliste d’Aamir Khan, précisément devant la scène où un garde indien reçoit une gifle de son supérieur britannique, ou bien celle où un officier anglais propose des mets à base de viande à un maharadjah hindou et végétarien. Un camouflet. Une humiliation. Un mépris total de la culture des « indigènes ».

Dans ce film, comme dans ce livre, j’ai pu constater à quel point la caste britannique a piétiné durant tout le temps de son occupation, les valeurs d’une des plus vieilles civilisations du monde. Elle a voulu rendre homogène une langue qui n’est parlé que par moins de 10 % des indiens d’aujourd’hui. D’ailleurs, celui qui a imposé la langue anglaise dans toutes les écoles indiennes, Lord Thomas Babington Macaulay considérait qu’il n’y avait aucun sens à cultiver les langues autochtones, que l’apprentissage de l’anglais pouvait même faire en sorte que les indiens se détournent de leur religion qu’il jugeait compliquée et « archaïque ». En outre, celui qui souhaitait apprendre le hindi, le tamoul ou le bengali ne recevait plus aucun subside. Depuis, la langue anglaise est devenue un marqueur social. Sa maîtrise est incontournable dans le monde des affaires. Il y a ceux qui le parlent (« les bien éduqués ») et les autres, même si ces autres peuvent maîtriser parfaitement leur propre idiome.

Dans cet ouvrage né du fruit de plus de quatre ans de réflexions, le diplomate Pavan K. Varma évoque l’esprit de caste de ceux qui ont jadis occupé l’Inde durant deux siècles. En détenant les armes pour protéger les maharadjahs pris au piège de leurs querelles, en faisant quartiers à part, la plupart d’entre eux refusaient de côtoyer d’autres indiens que leurs domestiques, sinon pour servir leurs intérêts. C’était une mentalité particulière emprunte d’ostracisme, qui était de mise dans la plupart des colonies d’antan. Pour beaucoup de colons de l’époque tel que l’ethnologue et fonctionnaire Risley, « les conquérants étrangers – grecs et scythes en particulier – avaient commis l’erreur de se mêler aux peuples indigènes, il en était résulté une irréversible dégénérescence raciale ; ainsi, le peuple de l’inde, bien qu’aryen d’origine, est contraint de rester à jamais distinct, différent et inévitablement inférieur. »

Pour moi, qui suis d’origine indienne, l’essai de Pavan K. Varma fut plutôt douloureux à lire. Il m’a mis face de faits, d’une idéologie que j’ai redécouvert avec stupeur et qui a sans doute maltraitée mes grands-parents et arrières grands-parents.

On se rend compte à quel point l’auteur est dans le vrai concernant le sentiment d’infériorité des indiens. On en a d’innombrables illustrations dans la vie quotidienne. Toutes les marques occidentales font rêver les jeunes indiens alors que pour la plupart d’entre eux, ce sont eux qui les fabriquent. On préfère dans les grandes villes, se rendre dans les centres commerciaux riches en produits importés plutôt que dans les rues commerçantes traditionnelles, quitte à payer plus cher un produit identique. Et puis comment expliquer que dans l’Inde d’aujourd’hui, l’expression artistique produit par un indien n’est nullement encouragée par ses pairs ? On ne l’acclamera que s’il est applaudit à l’étranger…« Nul n’est prophète en son pays.»

Aussi, avec sa croissance à 4,9 %* et son presque 1.3 milliards d’habitants, l’Inde, à l’image de Gandhi quand il abandonna son costume trois pièces, n’a plus a être complexée par qui ou quoi que ce soit et devrait plutôt encourager ses talents. Son inestimable culture et sa créativité sont d’indéniables atouts qui ne devraient plus laisser de place au moindre complexe. « Avoir le courage d’être soi-même, avec dignité et lucidité, en évitant de sombrer dans le chauvinisme, la xénophobie ou le traditionalisme borné, tel est le défi original que pose le contexte actuel du monde globalisé » comme le dirait Pavan K. Varma. Alors n’ayons pas peur d’être soi ! Se débarrasser de ses complexes, c’est aussi de gagner en liberté d’être, de penser et de rayonner.

Chronique écrite par  l’auteure Nourjehan Viney 

* Source : Bilan du Monde 2013.

Devenir indien_Pavan K.Varma

DEVENIR INDIEN

La révolution inachevée de la culture et de l’identité

Pavan K. Varma

Actes Sud, nov. 2011


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