Ceci n’est pas à proprement parler une note de blog. Il s’agit de l’introduction d’un court ouvrage sur le blogging politique en cours d’écriture pour les éditions Bruno Leprince. Je le rédige avec mon ami pour de vrai Sydné. Il sera disponible pour les Estivales du Front de gauche.
L’irruption du peuple dans les affaires qui le concernent est indissociable des outils dont il s’est doté pour diffuser ses propres idées. L’écriture joue, dans cette démarche, un rôle primordial. Et pour cause, écrire, c’est s’approprier sa propre histoire, ne plus en laisser la maîtrise à d’autres.
Sous la Révolution française, la presse connaît une expansion sans précédent, passant, de 1789 à 1800, de quelques publications à environ 1 350 journaux. Chaque jour voit paraître une feuille nouvelle ; chaque parti politique a la ou les siennes. Les royalistes, les constitutionnels, les révolutionnaires se jettent ardemment dans la lutte. La polémique ne tarde pas à devenir violente et les attaques contre les membres de l’assemblée et contre les abus du gouvernement, les hommes et les institutions nouvelles, passionnent les écrivains de tous les partis. Bon nombre des journaux de la période sont conçus comme des affiches, lesquelles sont ensuite placardées dans les rues, lues et commentées en commun.
Nous retrouvons le même enthousiasme et le même développement sous la Commune de Paris. L’historien Maxime Jourdan, spécialiste de la période, précise : « Du 18 mars 1871 à la Semaine Sanglante de mai 1871, une myriade de journaux ont accompagné l’insurrection. Rare exemple de libération collective de la parole. (…) Le Cri du peuple et Le Père Duchêne étaient les deux journaux les plus vendus sous la Commune. Le premier tirait régulièrement à 100 000 exemplaires, avec des pointes exceptionnelles à 120 000 – ce qui est énorme pour un journal circonscrit à Paris et exclusivement politique. »
Pendant la Commune de Paris comme pendant la Révolution, les journaux se partagent, passant de main en main. Les Communeux lisent plusieurs journaux, comparant le contenu de l’un avec celui de l’autre. Ces publications ont des contenus et des styles très différents – beaucoup moins interchangeables que la presse actuelle –, les lecteurs tiennent à connaître chaque prise de position.
Cet enjeu de l’accès à l’information et à la prise de position politique caractérise la diffusion des supports partout dans le monde. Ainsi, l’expression de l’opinion publique par l’affichage est une tradition de la Chine impériale. Les voyageurs rapportent que les citoyens mécontents écrivent ou impriment alors des affiches pour critiquer l’administration du magistrat impérial. Ces dazibao (« affiche de grand caractère ») sont placardées dans la ville et jusque dans la rue devant le tribunal, siège du magistrat. Le peuple se rassemble autour des affiches pour les commenter.
En 1966, lors de la Révolution culturelle lancée par Mao Zedong, les dazibao refont leur apparition en Chine. Un des éléments clés de la révolution culturelle reste la publication par Nie Yuanzi et d’autres de dazibao à l’université de Pékin le 25 mai 1966. Ils affirment que l’université est contrôlée par la bourgeoisie antirévolutionnaire. La lecture de ces textes par de jeunes étudiants comme Xing Xing Cheng les conduit à rejoindre la Révolution culturelle et à intégrer les gardes rouges. L’existence de cette affiche attire l’attention de Mao Zedong, qui la diffuse nationalement en la publiant dans le Quotidien du peuple.
Les dazibao sont bientôt très répandus, utilisés pour tout, du débat sophistiqué au divertissement satirique et à la dénonciation enragée. Etre attaqué dans une « affiche de grand caractère » est suffisant pour mettre fin à une carrière. Réalisées à la main, ces affiches couvrent d’abord les murs de Pékin avant de gagner les provinces. Ce média illégal et spontané véhicule l’information non officielle et a l’audace d’attaquer les autorités du pays.
Le blog constitue la version moderne de ces outils de diffusion alliant écrit et visuel mais aussi, avec les avancées techniques, les images animées. Il en partage l’aspect officieux voire illégal, dans certains pays. Le mur des commentaires remplace l’agora ou la rue où chacun peut s’exprimer, donner son avis sur les écrits. La diffusion du lien tient lieu de partage du journal. Il n’y a donc pas de rupture historique dans la transmission des analyses et des positionnements de chacun. La technique joue juste le rôle de facilitateur.
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Bonus vidéo : Rockin Squat « Trop de choses à dire (Feat. Tairo) »