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Conversation avec johnny jewel

Publié le 28 juin 2013 par Acrossthedays @AcrossTheDays

ChromaticsIMG CONVERSATION AVEC JOHNNY JEWEL

Johnny Jewel est un OVNI. Artiste complet, meneur de plusieurs projets dont Chromatics, Glass Candy et Desire, et fondateur du label Italians Do It Better. Control freak plein de talent, il vit sur une autre planète : celle de son studio à Montréal. Son mode de vie est imprégné de sa musique, et il exclut de son quotidien toute autre forme de média.
« Mon cerveau est comme une éponge, il absorbe tout, et cela a un impact énorme sur moi. Quand je regarde un très bon film, un film qui me retourne, c’est comme si je devais vivre avec pour le restant de mes jours.  C’est trop puissant, et ça me détourne de mon travail. Des fois, je choisis juste de ne pas me plonger dans le monde d’autres artistes, pour éviter des conséquences trop importantes sur ma façon de créer. Je ne regarde pas la télévision, je ne suis pas sur facebook, je n’ai pas d’iPhone… ça ne m’intéresse pas. »
« J’essaye de trouver de l’inspiration pour ma musique, hors de la musique. Dans les livres par exemple, dans un verre de Téquila, une baignade à la mer, un road-trip en voiture… »

On en profite pour écouter la dernière compile « After Dark II » de son label Italians Do It Better :

Introducing « Kill For Love », son dernier bébé en date avec Chromatics

Johnny Jewel a écrit seul la moitié des chansons de l’album « Kill For Love » ; l’autre moitié avec Adam, son guitariste. Il fait tout : paroles, arrangements, enregistrement, mixage. C’est pourquoi sa relation avec le groupe est particulière. Il ne veut personne d’extérieur au projet pour venir produire ses chansons, ou changer quoi que ce soit dans sa musique. « Parce qu’ils savent vraiment ce qu’ils font ? » m’interroge-t-il.
Pour tout dire, il se considère plus comme un producteur qu’un membre du groupe. Tout comme son rapport au live, qui est assez inhabituel : « En live, je me considère plus comme un conducteur, quelqu’un qui encourage et pousse les autres pendant le set. »
« Je veux que tout soit parfait. Je communique beaucoup avec le batteur, je tiens le tempo avec lui. Je veux que tout sonne super bien : la voix de Ruth, la guitare… »

Je suis assez surprise d’apprendre que Ruth, la chanteuse, ne participe pas à l’écriture des paroles et des mélodies de chant. « Elle participe de plus en plus. Mais tu vois, un artiste comme Ray Charles parlait du fait que ce n’est pas vraiment important si tu écris une chanson ou si tu fais une reprise : c’est la manière dont tu joues cette chanson qui fait que tu te l’appropries. Et Ruth s’approprie totalement les chansons. Même si c’est moi qui écris, ce n’est pas important. Quand elle chante, c’est différent. Même si elle chante une partie qu’on a écrite, quand les mots sortent de sa bouche, l’idée devient une vraie chanson. Ruth rend les choses réelles. Sans elle, les chansons resteraient comme des plans d’architecture sans bâtiments à la fin. »
« L’écriture est importante, la production est importante ; mais la performance est aussi très importante. Et ce n’est pas parce qu’elle n’écrit pas une chanson qu’elle n’arrive pas à la magnifier. Elle donne tout dans les chansons, elle les fait vivre. »

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Un groupe qui ne répète jamais

« J’écris, Adam écrit aussi, mais on ne répète jamais touts ensemble. Pourtant, on est toujours dans mon studio C’est un processus un peu étrange. On enregistre toutes nos idées, mais on n’a pas vraiment d’espace pour répéter, on ne jamme pas. On écrit des chansons en même temps qu’on les enregistre. Le studio fait vraiment partie de l’écriture. »
« Je travaille avec chaque membre séparément, et je me concentre juste sur leur partie. Quand on se voit avec Ruth on travaille juste le chant, par exemple. »

Une folk futuriste ?

Chromatics a mis du temps à se construire. Au début, il y avait une autre chanteuse. Puis Adam, le guitariste  a essayé de chanter pendant un enregistrement, sans succès. Il eut l’idée d’essayer de faire chanter Ruth, la petite amie de Johnny à l’époque. « Je n’étais pas vraiment sûr de vouloir ça, parce qu’on était en couple à ce moment là, et elle n’était jamais venue au studio parce que je ne voulais pas tout mélanger. Donc j’appréhendais un peu qu’elle chante pour Chromatics. »
«  Elle a commencé par chanter sur une chanson « In The City », et la magie a vraiment opéré. Là on s’est dit que les gens ne voudraient plus entendre que cette voix, ce son là, parce que c’était vraiment magique. »
Ruth a grandi avec ses parents dans une ville de bord de mer. Elle a appris la guitare très tôt, et jouait des chansons folks comme du Neil Young, Bob Dylan ou Johnny Mitchell. C’est sa culture musicale.
« Sa contribution à Chromatics apporte quelque chose de très organique et émotionnel, qui se confronte à une musique électronique conceptuelle, et ça marche vraiment bien. Chromatics est basé sur la tension entre ces deux mondes. »

Chromatics2012 09 CONVERSATION AVEC JOHNNY JEWEL

« Mélanger sa vie intime avec le travail peut être assez instable. Mais nous ne sommes plus ensemble depuis quelques années. Mais dans le studio, tout le monde se battait pour la même chose – la musique, le projet – donc on mettait vraiment nos problèmes de côté. Tout comme sur scène. Quand je suis en concert je ne suis pas là en train de penser « ah, c’est mon ex petite amie ». Et même au niveau des autres membres du groupe, Adam et le batteur sont frère… et  le batteur sort avec la chanteuse de Glass Candy, mon autre projet. Il joue aussi pour Desire, le projet que j’ai avec ma fiancée. C’est un peu comme une grande famille. »
« Under Your Spell parle du moment où je suis tombée amoureux d’elle et que j’ai décidé de déménager à Québec. Si cette chanson est si forte, c’est parce qu’elle parle de cet évènement en particulier. C’est réel. »
Johnny Jewel me fait penser à un homme-puzzle dont j’assemble les pièces au fur et à mesure de la conversation.  Je me sens chanceuse d’en savoir un peu plus sur l’envers du décor de ses inspirations, ses relations avec les gens à l’intérieur de ses projets.
« Ce n’est pas un secret, mais on n’en pas parle jamais (ndlr : de leur relation amoureuse) parce que le monde de la musique peut parfois être sexiste. Je ne veux pas que les gens se méprennent sur le rôle d’une femme dans un projet.  On ne cache rien, mais on ne parle pas tellement du côté privé de ce projet.»

Un artiste talentueux et extrême

Je le questionne sur son talent de producteur mis au service d’autres groupes…
« Je ne peux pas produire un groupe si je ne fais pas totalement partie d’un projet. Parce qu’en général, je n’aime pas les musiciens et leur égo, cette idée de la célébrité qui les obsède, et toute cette merde. En studio, tout doit être sacrifié pour la qualité d’une chanson. Parfois un titre naît de plusieurs idées de chansons, comme un collage qui garde seulement les meilleures pièces. Mais dans un groupe, chaque membre est attaché à sa propre idée, même si elle n’est pas assez bien, juste parce qu’il a passé du temps dessus. »
«  Il y a une fable, qui raconte l’histoire d’un fermier qui doit traverser une rivière. Donc il construit radeau en allant chercher des branches dans la forêt. Il traverse, mais quand il arrive de l’autre côté, il ne veut pas abandonner son radeau, parce qu’il a passé beaucoup de temps à le construire. Et finalement ça ne le fait pas avancer. Le symbole de sa liberté devient le symbole de son emprisonnement. »
« Dans l’art, il faut être prêt à sacrifier ses idées pour le bien de quelque chose de plus grand. »
Johnny Jewel semble être un artiste très exigeant, perfectionniste, qui ne tolère pas la médiocrité. Il me parle de ce grand nombre d’albums où seulement une ou deux chansons sont géniales, et où le reste s’apparente à une sorte de remplissage ; « Des idées qu’ils auraient dû abandonner. » C’est assez vrai. Il en rajoute une couche sur les musiciens et leur narcissisme, ce désir d’être tout le temps au centre de l’attention, ce qui lui semble bien bas comparé à l’essence de l’art. Ses propos peuvent paraître un peu prétentieux, mais il y a beaucoup de sincérité dans ce qu’il dit, et il touche à beaucoup de points sensibles en ce qui concerne le fonctionnement d’un groupe.
Et d’un autre côté, je le trouve plein d’humilité. Il m’explique qu’il a mis 10 ans à trouver comment travailler avec Adam, son guitariste. La finalité de leur travail est de « garder seulement les idées les plus fortes. »
Leur problème était d’arriver à communiquer avec l’autre sur ce qui est bien ou pas bien, d’une manière qui ne blesse pas. Les deux hommes semblent avoir trouvé leur équilibre, en essayant de prendre constamment du recul, et en se concentrant sur le but final : faire un bon album.
Histoire de séparer l’égo de l’art, l’idée de Johnny Jewel est de se demander « mais d’où viennent toutes ces idées ? ». On ne sait pas, c’est très abstrait. Il en arrive à la conclusion que l’on ne peut pas se créditer pour une idée, puisqu’on ne peut pas vraiment déterminer d’où vient l’inspiration.
« Pour moi, il n’y a aucune raison d’être arrogant ou fier d’une idée, parce que cela vient de quelque chose qui est au-dessus de nous, plus grand que nous.»

Les rêves. Des idées lui viennent en rêve, mais la plupart du temps il est incapable de les saisir au piano une fois réveillé. Voilà une autre raison pour ne pas se sentir « propriétaire » d’une idée : elles viennent toute seule, se faufilent dans notre subconscient.
« Il y a une chanson de mon autre projet « SYMETRY » que j’ai écrite à partir d’un rêve. C’est la seule fois où ça ne s’est pas évaporé. »

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Vision du futur

La quête du son, d’un son unique, nouveau. Il se sent assez près du but. Je le questionne sur le prochain album. Apparemment il est bien au chaud, prêt à sortir du studio.
« Le son sera assez similaire, mais d’une certaine façon ce sera plus pop que Kill For Love, au niveau des arrangements. Il y aura plus de guitares rythmiques, plus d’accords. Ça sera aussi plus électronique. Mais c’est vraiment difficile à décrire. En fait, c’est comme si Kill For Love était une extension de Nightdrive, mais Kill For Love est plus « stream pop ». Pour le prochain album, j’aspire à creuser plus dans cette direction. »
Il m’explique que cet album sera sans doute moins long que Kill For Love. 11-12 titres, pour environ 55 minutes. « Tous les albums ne doivent pas être des double-albums. »
Il a aussi un autre projet, peu connu mais intéressant, « SYMETRY ». L’idée de ce projet est de faire une bande son pour un film qui n’existe pas : « THEMES FOR AN IMAGINARY FILM ». Je suis assez surprise, car je connais un artiste qui a eu exactement la même démarche il y a trois ans, avec un projet intitulé « Soundtrack Of a Film You’ll Never See ». Johnny me répond, sagement : « Tu vois, c’est ce que je veux dire à propos des idées. Ton ami et moi avons eu la même idée, c’est au delà du fait de se l’approprier. C’est au-dessus de nous. C’est juste de l’énergie, ça vient comme ça. »

France

Cet homme aime les pays latins. Selon lui, le langage dans un pays a un impact sur le comportement des gens. Je sens qu’il a beaucoup de tendresse pour la France. C’est le deuxième pays où Chromatics vend le plus de disque, après l’Amérique. Les gens ici semblent avoir une connection particulière avec leur musique, m’explique-t-il.
« C’est certainement du au fait aussi que je suis attiré par Montréal, et le fait que j’aie déménagé dans un pays où les gens parlent français. Les français un point de vue assez romantique sur le monde, je me sens assez proche de ça. Je ressens ça aussi pour la ville de Québec. Donc je pense que ce n’est pas un hasard si notre musique est aussi bien reçue ici. C’est assez abstrait, mais je ne pense pas que tout cela ce soit une coïncidence. Ma fille parle français, tu sais. La France prend beaucoup de place dans ma vie. Avant de déménager à Montréal, je pensais aller à Paris. J’ai beaucoup d’amis là-bas, j’adore cette ville. Et je viens du Texas donc… c’est très loin de tout ça, dans la philosophie de vie, le mode de vie, les gens n’ont pas les mêmes priorités… »
« C’est cool comme endroit, mais je suis content de ne pas y habiter. »
Je me souviens de ce qu’on m’a dit de l’ambiance du SXSW (Austin, Texas), où tout le monde semble être poli et à l’écoute.
« Les résidents ont le sens de l’hospitalité. Mais c’est aussi un endroit où il y a de la violence, les gens sont paranos. Il y a beaucoup de personnes dépressives, frustrées. La différence entre les classes sociales est énorme ; tu as des gens très riches et d’autres très pauvres.»
J’essaye de l’amener sur le sujet des groupes français : pourquoi sont-ils tant enclavés dans leur propre pays ? Ce qu’il me répond est assez vrai : de son point de vue, il y a une réelle connexion entre la France et le Québec, et il y a par exemple des artistes québécois qui font un tabac en France (ex : Coeur de Pirate). Mais ça marche aussi dans l’autre sens : beaucoup d’artistes parisiens sont très appréciés au Québec. Ensuite on parle un peu de la chaleur des québécois, de leur accent parfois drôle, de leurs expressions géniales et christiques…
La conclusion pour clore ce chapitre « France-Québec » serait que les québécois ne partent pas autant en vacances que les français, mais ils sont tout aussi sympas. Tout cela est une histoire de juste milieu !

Merci encore, Johnny pour cette interview improvisée après leur concert.
« Avant un concert, je me concentre vraiment sur le show, les membres du groupe. Si je fais une interview, je ne suis pas vraiment là, je pense à autre chose. Mais là, j’étais vraiment disponible. »

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