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[Entretien] Mathieu Brosseau, avec Florence Trocmé

Par Florence Trocmé

Florence Trocmé : tu publies aux Editions le Castor Astral un livre dont le titre est un peu énigmatique, Ici dans ça, titre qui installe une tension entre deux pôles, dont on pourrait dire que l’un pose une sorte d’évidence lumineuse, celle de l’ici, alors que l’autre renvoie à toute la complexité obscure de ce qui nous agite intérieurement. Car on ne peut s’empêcher d’entendre le ça comme l’entendent les psychanalystes depuis Freud, mais la lecture du livre montre que cela va sans doute bien au-delà. Pourrais-tu t’exprimer un peu sur ce titre, ses deux pôles et ce qu’il révèle, peut-être du projet et de la construction du livre ? 
Mathieu Brosseau : L'ici dans ça pourraient être considéré simplement de cette façon : un sujet agissant ou pensant incarcéré dans son environnement immédiat autant que dans ses obscures intériorités. 
Le ça (pris comme la chose qu'on ne se donne pas la peine de nommer précisément) serait multiple mais aurait une constante : il s'installe comme une peau enveloppante, finalisante, mais demeurant inconnaissable dans son ensemble et ses variétés, il libérerait le sujet. 
Le ça serait d'abord ce corps, notre corps fermé, ce corps inconnu et criant, tel qu'on le considère, vieillissant, lieu des perceptions, lieu d'échanges entre dehors et dedans, lieu d'interprétation par la perception et par la pensée, de l'être-là, en peau, poreuse et réceptive. Peau-limite. 
Le ça serait aussi l'espace extérieur, irrémédiablement extérieur, perçu par ce même corps, les objets pris dans leur unité ou par lots, une extériorité perçue par tous et forgeant la communauté.  
Il y aurait à l'extérieur, ce que je vois mais très vite j’imaginerais tout ce qui ne se voit pas, et qui serait toujours ça. Chose informe et fantasmatique, chose ouverte à l’imaginaire. Ça serait aussi ce que je ne sais pas. 
Et, imaginons, par un renversement sujet-objet, par un inquiétant mariage, qu’un ça extérieur et pluriel se confonde avec l'ici. L'indéfini du ça viendrait écraser le surdéterminé de l'ici.  
Faut-il poétiquement chercher cette fusion ? 
Le sujet viendrait à se perdre, submergé car, a contrario du ça, le sujet ici est infiniment marqué, situable, assuré d'être.  
Autant qu'aujourd'hui nous ne sommes pas hier, le sujet est toujours ici, ontologiquement.
 
Et il y a effectivement l'intériorité dont tu parles, sa dimension psychanalytique : le ça pris comme nœud pulsionnel, comme mer de pulsions de tous ordres. En fait, cette intériorité est une masse d'antériorités à mes yeux, ce poids d'absences passées et passives. 
Alors, ce titre n'est ni programmatique ni porteur d'idéologie, mais prend bien acte de notre condition sommaire et nécessaire de vie : être là définis de toutes parts mais toujours dans ça, le poids du monde. Ouverts et fermés simultanément. 
F.T. : ce livre donne très fortement le sentiment d’un parcours, plus même d’une sorte de trajectoire, d’une histoire alors qu’il n’est en rien me semble-t-il un récit, ou alors comme tu le dis dans la première partie, un « récit de guerre et d’ailleurs »… Le projet même du livre explique sans doute cette impression. J’aimerais que tu développes ce point : quelle fut la conception de ce livre, quelle en furent les étapes ?   
M.B. : Ce texte est un récit en ce sens où il se développe selon les aléas de ma vie propre. Il s'y colle, il en est le réceptacle et témoigne de la traversée (plus que la trajectoire ?) qu'il m'a été donné de vivre. 
En 2010, les choses tournent mal pour moi et des angoisses terribles me donnent le vertige, m'invitent à en finir, des pensées obsédantes et cruelles font leur apparition, des images et des paroles intrusives aussi, je me maintiens dans une consommation d'alcool et de psychotropes immodérée, je veux chuter, c'est l'histoire d'un homme qui veut devenir fou, démuni, chaotique pour échapper à sa condition cernée. Par shoot dispomaniaque. Il est question de creuser, en écrivant, le volcan déjà réveillé, de m'y fondre douloureusement. L'idée est aussi de penser cette expérience en la disant, dans une parole poétique active (et non descriptive ou narrative). Il s’agit de vivre le texte et ce faisant, le faire vivre. 
En juin 2011, pour des raisons qui me restent encore obscures, je mets un terme aux toxiques et toute la question du narcissisme prend place : qu'est-ce que l'écrivain peut ou doit être, éthiquement. Témoigner de son cri ? Certainement pas. 
Pendant un an, je cesse d'écrire et le livre est arrêté, mort dans l'œuf de son cri. Je ne compte pas même l'achever. 
En juin 2012, mon éditeur (Le Castor Astral) me propose de le revoir. J'y vois l'opportunité de raconter une suite, une fin et un parachèvement de l'histoire. L'histoire d'une pensée troublée qui se défait puis se renoue, peut-être par des moyens fictionnels. 
Je remanie intégralement le manuscrit, le replace dans mon histoire et réinvente sur la fin du livre, les notions jusqu'alors usées du pardon, de l'identité, de l'adresse et de l’issue. 
Et c'est précisément en comprenant le sens de la fin que je comprends qu'il n'y a pas d'issue au ça, mais une suite sans fin de fins. Imaginez des portes qui s’ouvriraient sur des portes, qui s’ouvriraient sur des portes, et cela infiniment.  
La seule façon de s'en sortir est de cesser d'espérer de trouver une sortie ultime autre que la mort, comme d’en désespérer ; il s'agit juste de cesser de vouloir trouver l’issue. On n'échappe pas aux systèmes, on arrête juste d’y croire. 
De A à B, on n'arrive pas, on ne peut pas arriver à destination en conscience, d'où la nécessité de la fiction. Le sens en est une, de fiction,  puisqu'il n'est qu'interprétatif. Il s'agit de comprendre en racontant, non de professer. 
Mon travail est un travail de funambule entre deux eaux, entre l'ici défini et le ça indéfini, entre deux eaux, entre celle du brouhaha du manque, de la dispersion émotionnelle, de la perte et celle de la réconciliation, de l'association, de la tenue, du sens que prend la trajectoire. 
Et comme je l'écris à la toute fin du livre, la parole réaliste doit avoir le dernier mot. 

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F.T. : la question précédente m’amène à te poser la question de la relation entre poétique et autobiographie. Autrement dit, comment, par l’écriture, lies-tu les éléments dont on pourrait penser qu’ils sont autobiographiques, mais qui en réalité, me semblent davantage relever d’une sorte de matériel pulsionnel qui dépasse une personnalité unique, la tienne, pour remuer des fonds qui ont à voir avec le mythe, la légende, peut-être même l’épopée, le grand patrimoine et des universaux inconscients de l’humanité ?   
M.B. : Quand tu penses ta naissance, son contexte, la mamlangue, tu comprends rapidement que la langue et son bataillon de symboles te préexistent, tu entends leur naissance - non leur naissance à eux mais leur naissance en toi. Ce qui, mise à part l'Histoire, revient au même.
Tu les métabolises peu à peu. La conscience les ingère et leur sens, leur évidence apparaissent. Ils sont toujours un dévoilement car pour les comprendre, nécessité est d'en cerner l'origine. Les symboles et les concepts universaux ne grandissent pas, n'évoluent pas (ou de façon cosmétique, dans les contes notamment), ils apparaissent, ont un point de départ et c'est tout. 
D'où mon désir de dénaître aussi, il s'agissait non seulement de détruire les certitudes, d'amener les doutes, de faire advenir en conscience tous les possibles (donc irréalisables), d'accroître ainsi l'angoisse, mais il s'agissait aussi et surtout de revenir aux origines et notamment aux origines des symboles en moi, qui marquent l'avènement de la conscience au monde, à ses communautés de savoirs. 
Et tu as raison, le matériel pulsionnel a forcément à voir avec l’émergence des mythes, il les détermine et nous nous y retrouvons tous. Eros et Thanatos sont des énergies souterraines pures (j’appelle cette énergie, le çaction). 
 
F.T. : serais-tu d’accord pour dire que ce livre accomplit une naissance. Il est parcouru par le thème très particulier du dénaître, sur lequel je voudrais que tu reviennes ; dénaître, invagination… des mots qui ne vont pas de soi et qui sont récurrents. Mais dans sa progression et tension, Ici dans ça semble aussi tirer petit à petit d’un informe terrifiant posé au départ des éléments qui vont permettre d’accéder à l’ici, et aussi à l’autre et à la pensée.  
Dénaître, aller du ça et du cri à la pensée… en lien avec ce que tu m’as écrit dans une lettre : « le cri, les larmes qui lavent le cri et la pensée qui vient clore et tenir le cri, le rend objet transmissible. L’énergie du survivre est ainsi inscrite dans un écrin de pensée ».  
M.B. : Oui. Puisqu'il s'agit de retourner aux origines, en dénaissant, le livre s'achève sur un accouchement, celui d'un nouvel homme. Une mort qui donne naissance, en quelque sorte. 
En fait, je dénombre plusieurs types de naissance. Celle, biologique, que nul n'ignore puis celles, psychiques, des pensées qui s'ouvrent et se ferment.
Et s'est en s'entendant, en se conciliant avec ces secondes qu'il est donné de revenir aux premiers instants biologiques, les revivre par l'image, par retours fantasmagoriques. Chacun est certain d'être né, chacun connait le ventre de sa mère, mais nul ne connait ce territoire-là. Régresser vers l'informulé, à l’unité préœdipienne, à l’union sacrée avec la mère utérine, tel a été mon projet, un temps, avant de retrouver a posteriori le corps de l'ici, même fragilisé par ce projet en sens inverse.  
Revenir à l’origine, refuser l’histoire, ce n’est pas vouloir mourir, c’est penser pouvoir jouer un tour à la mort, grande certitude et donc de tordre le cou aux fictions de soi qui sont de véritables obsessions de la finalité. C’est ça, dénaître : se définaliser. 
Enfin, je souhaite reprendre ce que je t’avais écrit dans une lettre : on n’arrive à transmettre un cri que lorsqu’on arrive à le penser et ce faisant, à proposer en partage un sens. Le sens de son cri. Les livres pensés sont des livres à donner. Mais ce que j’appelle des livres pensés, ce sont uniquement ceux qui ont une fin, et donc une naissance comme tu l’évoques dans le premier temps de ta question. 
 
F.T. : un jour tu as eu cette formule qui me semble tellement liée à l’histoire de ce livre que je voudrais que tu la reprennes, ici, pour les lecteurs de Poezibao. Tu m’as écrit « nous sommes notre poétique » et tu as ajouté un peu plus tard cette formule qui me semble une très belle expression, condensée, de ton livre « Nous nous donnons sens et ce sens nous porte ».  
M.B. : Le corps verbal est définitivement allié au corps biologique, c'est pourquoi la parole est magique, elle altère la vie et son devenir. Elle n'en est pas séparée, elle est son sang. 
En ce sens, et par cet alliage, nous sommes ce que nous proférons, ce que nous pensons.  
Considérons ainsi que nous nous écrivons, que nous reconnaissions comme écrivain ou pas. Le sujet domine sa vie, son origine et étaye des fictions pour en connaître la fin. C'est ce qu'on appelle ‘anankè’. De A à B, on invente B. 
Nous nous donnons sens et ce sens nous porte, me rappelles-tu. Oui. Nous sommes les auteurs autant que les serviteurs de notre propre vie. 
Je pense, ici, à ce texte, premier du chapitre Autobiographie du nous de Ici dans ça, il ne me semble pas si éloigné de nous sommes en train de dire, surtout sur sa fin : 
« Nous en savons beaucoup trop, bien trop pour être menacés, bien assez pour mourir à petit feu par le poison, nous n’appartenons pas au monde car le monde ne nous appartient pas, il y a une symétrie dans l’exercice de la propriété, un vol a été perpétré, celui d’une parcelle de l’âme, nous possédons ce qui nous possède dans la fiction de nous-mêmes, nous sommes des vendus et la parole nous tient par la gorge, nulle fuite possible, nous revenons d’un pays où nulle propriété ne fait loi, nous sommes en exil et la pensée nous charrie. » Ici dans ça, page 45. 
Ainsi, nous sommes en chemin, en départ constant, nous savons d'où nous sommes partis, matrice utérine et nous projetons le terme du parcours, avec des relais fictionnels. La pensée couve la vie sans la toucher. La poésie est leur seul espace commun : elle est de la pensée vécue.  
L’image ou l’idée que nous avons de l’arrivée (fin d’une vie ou fin d’une pensée) change notre direction et nous offre ce que les animaux n'ont pas : un sens, donc une inquiétude. 
 
F.T. : il y a manifestement une construction très pensée du livre, en six temps, une construction qui semble accompagner un desserrement de l’étau et une forme d’ouverture vers le terme (comme on le dit d’une grossesse ! il est d’ailleurs beaucoup question d’œuf vers la fin du livre...) Chacune des parties est constituée de textes qui sont pour la plupart en prose, avec une inclusion notoire du vers. Est-ce que tu serais d’accord pour dire que chacun de ses textes semblent être comme une pierre posée, un pas qui permet d’avancer vers le suivant, mais aussi un chant, autant de stratégies artistiques pour aborder, voire liquider, un thème, une question, une obsession, défaire un nœud. Autrement dit comment as-tu écrit et composé ce livre ?  
M.B. : Oui, le livre est construit comme une fiction. Nœud initial, recherche et dénouement. Cri, distance, pardon. Ces trois moments sont magiques car leur association fait sens et ce faisant, parachève le récit : ils donnent sens au livre, un sens supplémentaire qui dépasse ce qui dit le livre même. J’ai tenu à maintenir ces temps, aussi pour remuer les genres et leurs limites : quelle joie de proposer au lecteur un récit poétique et réflexif, sans intrigue ! La question n'est pas dans la forme choisie mais dans la place du sujet et sa narration (ce qu’il dit de lui, en tant qu’il se pense lui-même ou en tant qu’il se pense autre), s'il y en a ou pas, comment ou pas. Et pourquoi ? A quoi sert l’écriture ? Qui sert-elle ?  
Pour construire la fiction de soi, s’inventer, certainement.  
Pour s’adresser à ce qui, dans l’autre, se rallie à nous-mêmes, certainement. S’adresser à la foule, c’est s’adresser à ce qui, en nous, n’est rien, pas encore défini.  
En répondant à tes questions, Florence, je peux m’adresser à ce qui, en toi, est ou bien à ce qui n’est pas encore et ta question prochaine interroge forcément ce que je ne suis pas, ce que je ne sais pas être : quelqu’un. Ou du moins c’est ce que je chercherai (être personne) pour continuer l’entretien (qui est un exercice d’invention, n’est-ce pas ?). 
 
F.T. :
la question de l’identité semble cruciale : « nous, les semeurs d’identité » écris-tu. Identité, genre et nombre : le je et le tu alternent, personnes du singulier, personnes du pluriel, tu les convoques quasi toutes, en une sorte de dialectique qui donne l’impression de s’ouvrir depuis le soliloque à voix multiples du début jusqu’au dialogue esquissé de la fin. Tu parles même d’un « anonyme par excès d’auteurs ». Il semble que ça parle, et de partout et parfois de façon très intrusive. Que fais-tu de tout cela et penses-tu que l’écriture a (ou a eu ici) un effet cathartique te permettant de mettre un peu de sens et d’ordre dans ce foisonnement anarchique ? L’écriture poétique permet-elle de procéder à un remembrement, à une restauration ?  
M.B. :
Une des principales questions, à mon sens, c’est que nous sommes à la fois surdéterminés et à la fois en devenir. C’est tout à fait contradictoire et cette contradiction crée le dialogue et produit l’aventure humaine. 
Cette contradiction fait aussi de nous, des multiples, à la fois UN, à la fois UNS. Et nous ne sommes personne, par excès d’auteurs. Tant que notre vie n’est pas terminée, nous ne pouvons qu’être : personne. 
Ecrire, c’est provoquer l’avenir. Mais toujours dans le cadre limité de cette contradiction. Nous sommes libres dans du fermé, incarcérés dans de l’ouvert. Ce sont ces deux modalités, leur confrontation, qui proposent l’art comme moyen pour avancer. 
Ecrire ne permet donc pas une restauration rétrospective de soi-même (le soin) mais elle (l’écriture) invente des issues, des fantasmagories auxquelles on adhère (délires). Elle est dynamique et performative : elle fait advenir. Elle ne panse pas, elle ne dit pas le cri, elle est le cri. Elle ne dit pas, elle est. 
Et quand elle dit, elle est le dire… 
Ce que je veux dire, Florence, c’est que l’écriture est aventure et elle est donc dangereuse. Qu’on se perde ou que l’on se retrouve, l’avenir est en jeu et l’issue n’est jamais sûre.  
 
F.T. :
on éprouve souvent en te lisant le sentiment que l’écriture est pour toi le moyen de tenter de rapprocher, voire de concilier, ou en tous cas d’opposer de façon viable autant que vivante des opposés : dehors et dedans, futur et passé, chant et silence. Tu procèdes la plupart du temps par phrases assez courtes, qui semblent s’engendrer mutuellement. Il y a peu de relatives et nombre de termes récurrents. J’en donne quelques exemples, dénaître, sutures entrelaçantes, le çaction, palimpseste, invagination, mais je note aussi que ces termes récurrents soulignent la progression du livre car tu en fais un usage intense puis s’amenuisant petit à petit…  
M.B. :
Cela est simple question de respiration. Les hoquets des sanglots rythment une phrase autant que les hurlements de loup. La matière vocale amène l’auditeur/lecteur à comprendre implicitement la conscience de celui qui raconte. La musique est un secret. La conscience aussi. Les secrets sont rares. Le silence de l’action dit le nom de l’action. Dire, ce n’est pas forcément produire un son, c’est faire comprendre. L’érotisme du phrasé est là : dévoiler sans dévoyer. Je n’en dirai pas davantage car le reste est affaire de silences… 
 
F.T. :
en conclusion je voudrais te demander si tu serais-tu d’accord pour dire que ta poétique est, ici en tous cas, une poétique du dé-lire, pour lire et dire le délire mais aussi pour le dé-dire, en délier les constituants, une poétique pour saper ce qui lie mal, une poétique en forme de coin à poser ici ou là pour soulever la masse ce qui écrase, pour desceller ce qui étouffe. Ou bien encore pour reprendre une de tes expressions, « une lame en secret ». Ou bien pour reprendre une autre de tes formulations que « du composite full composite » on serait passé au composé. Du passé composite au passé composé par le livre, de façon plus ou moins cathartique ?  
M.B. :
Ce qui est terrible, quand le délire advient, c'est que nous ne sommes plus ici dans ça mais ici et ça. Mais rassurons nous, le délire est très banal et courant. Pour en sortir, grandeur est d'en trouver la vérité, c'est-à-dire le terme séparateur et d'inclusion : dans. Être à la fois avec et à la fois séparé. Être à la fois l'ici et à la fois le ça.  
Il faut bien comprendre ceci : quand on devient une chose, on s'en sépare, nécessairement. On se sépare de son idée. Quand l’idée s’achève, on devient. S'adresser au lecteur, qui est une foule dans l'ici, c'est peut-être ça mon moteur. Il faut savoir forcer le réel, c’est certain mais on ne peut pas devenir une foule. Et c’est ça, la catharsis… Devenir ce qui n’est pas encore et renoncer à ce qui ne peut pas être. 
Comme je l’évoquais plus ou moins directement plus haut, je crois que la vraie littérature ne singe pas la vie. Elle est la vie même. Elle n’est pas un calque, ni une description faite de mémoire de quelques situations données. Elle est la situation.  
Pour moi, être « réaliste », c’est déterminer ce qui, dans la réalité est vrai. Et ce qui est vrai, c’est ce qui se joue ou rejoue, là, c’est la vie dans son principe, ici dans ça. Et tout est vrai, y compris le faux, puisqu’il existe.  
Le délire, dont tu parles, c’est le commentaire, c’est le double. Et le commentateur est toujours délirant : il y croit. La seule chose qui importe vraiment, c’est la chose commentée, c’est la chose agissante, vivante. A laquelle il faut se lier, animalement, pour perdre son sens… C’est plus ardu à dire qu’à vivre, agir est plus simple : il faut se fictionnaliser pour perdre son histoire, pour peut-être arriver quelque part. 
Une poétique du dé-part ? 

©florence trocmé et mathieu brosseau


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