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[note de lecture], Nicole Caligaris et Pierre le Pillouër, "L’Expérience D", par Bruno Fern

Par Florence Trocmé

 
Cover_caligaris_mp13D’emblée, les auteurs précisent que l’expérience menée est celle « du Duo mais aussi du système pauvre et populaire ou de ce qui est figuré dans cet extrait d’une pièce de Husayn Mansûr Hallâj : Dieu m’a transporté dans la réalité, grâce à un contrat, un pacte et une alliance. » – c’est-à-dire qu’il s’agit là de lire l’autre, d’écrire au plus près de son écriture(1), en faisant preuve de débrouillardise pour relancer les balles et d’en profiter au passage pour se « revigorer si nécessaire ». D’où la recherche d’une vitesse et d’une précision qui permettent des échanges suffisamment vifs à travers un livre « sans clé », afin que l’on perçoive au mieux ses battements à l’instar de ceux, cardiaques, horlogers et surtout musicaux évoqués de façon récurrente. Scansion en plus de deux temps (ici typographiquement distingués) puisque, entre ceux de l’inspiration et de l’expiration, existe celui d’un blanc où le lecteur serait aspiré comme l’auditeur entre deux notes claudicantes de Thelonious Monk. Espace où le jeu peut donc se déployer sur trois murs, en alternant celui à dominante narrative de N. Caligaris qui tresse peu à peu ses motifs, celui de P. Le Pillouër qui tranche avec justesse à la lettre près (paronomases, anagrammes, allitérations, etc.) et celui du silence qui les sépare autant qu’il les relie, telle la seconde elle aussi à écouter avant « l’inspiration douce et mouillée de Yusef Lateef (2) ». 
Silence que l’on exige parfois en utilisant une interjection qui mène par homophonie à la chute qu’est le livre lui-même : « Qu’est-ce qu’un texte ? La course d’un dé pipé. Le tour de poignet donne son amplitude à la course, sa trajectoire, non, c’est le poids du dé, c’est sa claudication de petit cube déséquilibré qui la dirige. » D qui roule et amasse pourtant mousses de différentes espèces (réflexions sur l’écriture, sur la musique, brefs récits à teneur apparemment autobiographique ou pas, etc. – le tout étant étroitement tissé), voici un ouvrage singulier et pluriel qui commente fréquemment son protocole et se développe en forme de chambre d’échos que la tentation du même effleure : « D’un Je à l’autre, il faudrait une coupe claire et quelques efforts de refoulement mais rien ne tient, repères, règles, le désir de fusion domine. » Cela dit, les auteurs n’y cèdent pas pour que de la différence surgisse, après diverses transformations réciproques (« Alors commence l’immense, le curieux, l’archaïque travail de l’estomac, organe interne de la littérature […] »), du nouveau qui, comme trois bulles de savon (3), puisse alors s’élever dans toute sa précarité : « Présence écrasante du présent et / du récit / entendons : / un par fait » Histoire de respirer un peu ensemble. 
[Bruno Fern] 
 
Nicole Caligaris et Pierre le Pillouër, L’Expérience D,  L’Arbre à paroles, 2013, sur le site de la Maison de la poésie d’Amay 
 
1. En croisant de nombreuses autres voix : Giacometti, Pouchkine, Roberto Juarroz, Monk, Ellington & Mingus, etc. 
2. Yusef LATEEF "The plum blossom" (1961) - YouTube 
3 Que l’on souffle, justement, et qui sonnent avec : « Sans doute que les trois mots, même s’ils tombent, ne sont rien, que le prétexte de la durée qui les appelle. » 


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