L’édition 2013 du Marché de la poésie fut marquée, entre
autres, par l’heureuse renaissance des Editions Unes. Parmi ses nouvelles
publications, Sans titre, de Geoffrey
Squires, poèmes traduit de l’anglais par François Heusbourg. Avec des gravures
de Robert Groborne.
Geoffrey Squires est né en 1942 en Irlande. Après des études à Cambridge, il a
travaillé dans diverses universités en Iran, en France, aux États-Unis et au
Royaume-Uni, où il a notamment enseigné à l’université de Hull. Depuis Drowned Stones en 1975, il a publié une
quinzaine de recueils de poésie et l’an prochain paraîtra aux États-Unis sa
traduction du Diwân de Hafez.
Si un certain nombre de poèmes de Geoffrey Squires avaient déjà paru dans des
revues en France (notamment dans action
poétique), Sans titre est son
premier livre publié en français, en édition bilingue.
Dans son introduction au recueil, François Heusbourg écrit : « Alors
nous ouvrons un livre de Geoffrey Squires comme nous entrons dans un espace
vide, où des corps nous attendent, des arbres, des visages arrachés au
souvenir, miettes répétées le long d’un chemin surgi sous nos pieds, d’un
chemin qui s’épelle sous nos pieds, tissé à mesure, tiré à soi à mesure que
l’on avance, que l’on tourne les pages. Chaque poème devient l’épisode d’une
phrase en mouvement. Le poème devient un corps dont nous sommes le
mouvement. »
Il faut saluer la qualité de la traduction de François Heusbourg, qui a su
découvrir l’œuvre discrète mais originale d’un poète irlandais à distance d’une
certaine image convenue de la poésie au pays de Joyce. Souhaitons donc que François
Heusbourg poursuive son travail et nous offre à l’avenir d’autres recueils de
Geoffrey Squires, pour faire découvrir le cheminement d’une œuvre depuis quatre
décennies.
Qu’on me permette une note personnelle : Geoffrey Squires est non
seulement un poète dont j’admire le travail mais c’est aussi un ami de longue
date. Je fis sa connaissance en 1966 en Iran, à Ispahan, où il enseignait
l’anglais à l’université et au British Council quand j’enseignais le français
dans divers lycées de la ville. C’est lui qui me permit de faire les premières
rencontres avec des écrivains et poètes iraniens. Depuis ces années-là, nous
nous sommes régulièrement retrouvés, en Irlande, en Angleterre ou à Paris, où
il séjourna toute une année. Et je lui dois les belles traductions de mon cycle
de poèmes Chronos, paru en 2002 dans
un livre d’artiste de Wanda Mihuleac.
[Alain Lance]
Et dans trop d’endroits trop proches ou trop soudains
tout autour de nous et même derrière quand nous tournons
nombreux nombreux petits mouvements
d’abord incertains et ensuite
que cela soit ou contenu en soi
imagine ce que cela pourrait signifier
And in too many places too near or too soon
all around us even behind when we turn
many many small movements
uncertain at first and then
whether it is or has within it
imagine what that would mean
*
Qui ne veut rien dire de plus
et avec pourtant la capacité à faire son chemin
dans des espaces auxquels nous venons juste de penser
mouvement comment savons nous
une chose découlant d’une autre
pourrait ou ne pourrait pas et qu’importe
Which is no more than to say
and yet with the capacity to work its way
into spaces we have only just thought of
movement how do we know
one thing following from another
might or might not and any way if it did
*
Et pour ce que nous en savons
cela pourrait se reproduire
défaille répétitif bref
une chose coulant d’une autre
imagine ce que cela pourrait signifier
pourquoi se répète-t-il ce mouvement parmi tous
pas un seul jour où je n’ai au moins essayé
crois-moi
And for all we know
might be so again
breaks down repetitive not long
one thing flowing from another
imagine what that would mean
why does it repeat this of all movements
there is not one day but I have in some way tried
believe me
*
Passage du soleil à la fraîcheur
et l’air à l’intérieur comme un marbre
sur le visage les épaules nues
dans la soudaine obscurité de la chambre
une brise chaude fouille les rideaux
le bruit de la mer la mer
où tu où je où nous
Passage from sun to cool
and the air inside like marble
on the face the bare shoulders
in the unwonted dark of the room
a warm breeze rifling the curtains
sound of the sea the sea
where you where I where we
*
Et ça ne disparaît pas juste parce que ça a été oublié
laissé de côté renvoyé pour un temps
ce qui vient après ou enfin
et légèrement plus tôt que prévu
qui n’est pas à dire
ou ne peut être dit
And does not go away just because it has been forgotten
left unattended dismissed for a while
what comes next or at last
and slightly earlier than was expected
which is not to say
or cannot be said to be
Geoffrey Squires, Sans titre, traduit
de l’anglais (Irlande) et préfacé par François Heusbourg, Éditions Unes, 2013,
pp. 10 et 11, 14 et 15, 24 et 25, 46 et 47, 72 et 73