Magazine Culture

[note de lecture] Jean Portante, "Après le tremblement", par Jacques Morin

Par Florence Trocmé

 
 
Portante.…–  l’ombre dis-je s’éloigne de plus en plus de l’idée que je me fais d’une ombre… Cette phrase incise est caractéristique de la poésie de Jean Portante. Il prend des notions, des éléments, des entités bien connus et les modifie, les décale, les colore et les fait glisser. Parfois même, ce déplacement de sens aboutit à un jeu de chaises musicales où les mots acquièrent une autre saveur, un nouveau contenu et une fraîcheur inédite. Là où le mystère est un fil et le corps une femme et la maison une naissance. On se trouve dans la pure métaphore où il n’est nul besoin de deviner un point de ressemblance, un pont d’identité pour que ça fonctionne, il suffit de s’en remettre à l’écriture magique de l’auteur qui réinvente un lexique sorcier. Le lecteur se laisse rapidement prendre à cette réécriture du monde où l’univers entier est renommé et partant renouvelé, de soleil à la terre, du cimetière au jardin, de la feuille à la nuit. quand le messager torche dans la main / creuse une grotte dans l’obscurité. La poésie est évidente dans cet agencement halluciné des mots et des images. Jean Portante ne fait pas que chahuter le dictionnaire, il lui greffe une cinétique. Le sens est bousculé et le mouvement se fait moteur. Ainsi est-il sensible à ce qui tombe, neige ou nuit, mais lui-même impulse des directions : Et où va la terre en avril… ou bien …la lune et le soleil comme deux vieux voleurs souterrains ont rallumé la torche et se sont mis en route… Clairement les choses s’animent et se personnifient, mais le merveilleux qui pourrait en émaner est sans cesse pondéré par un fond d’inquiétude qui tempère le fond. La page, qu’elle soit poème en prose, en vers, sonnet ou quintile, forme sous la plume de l’auteur, une composition ronde et fermée, autonome et finie. Chaque ensemble possède les mêmes qualités, et le recueil de même, pourtant bousculé de questions : Pourquoi le couteau qui / découpe le sud multiplie-t-il / morceau à morceau / le voyage. Le livre est souligné par la dernière partie en forme de journal, où la réalité sous-jacente rebondit brutalement avec le séisme de l’Aquila en 2009. Les mots, qui avaient du jeu jusque là, reprennent d’un coup leur emboîtement étroit. Le tremblement de terre a ravagé mon origine …. a fait s’écrouler le paysage intérieur. Celui que sans cesse je mets et cache dans mes poèmes. Soudain les souvenirs revêtent une apparence à jamais brouillée, et la parole en lévitation se coltine avec la tragédie. Ma mémoire est désormais inhabitable. Jean Portante clôt ainsi une longue séquence d’écriture où les aléas de l’existence donnent davantage encore de perspective et de profondeur à sa poésie.  
[Jacques Morin] 
 
Jean Portante, Après le tremblement,  Le Castor Astral, 13€.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines