Les valeurs contemporaines sont trompeuses, plus hésitantes et plus nuancées qu’on le croirait. Car si on réclame tout haut plus de sincérité et d’authenticité, on continue à vouloir tout bas pudeur, distance et dignité.
On n’a jamais été si loin sans doute dans l’exhibition des réalités. Y a-t-il encore des tabous dans notre société ? Y a-t-il des vérités privées qui ne soient pas partout médiatisées, publiées, dévoilées ? La frontière entre le public et le privé n’a cessé de s’amenuiser.
Car telle est extérieurement la revendication coutumière. On voudrait moins de dissimulation et moins de froideur. Plus de cordialité et de facilité à échanger. On craint l’indifférence, les secrets et l’impassibilité. Et on rêve de rapports plus souples et plus vrais, à la fois plus sincères et plus légers.
Tel est le portrait de l’individualiste aujourd’hui : c’est un homme qui veut tout personnaliser. Ses relations de travail, son look, son langage et ses objets. On aimerait vivre à cœur ouvert, parler sans se gêner, sans avoir à mentir et à dissimuler. Telle est la voie dans laquelle on aimerait pousser tous ceux qui restent discrets, froids et réservés.
Mais cette revendication est-elle elle-même sincère ? Quelle est dans cette réclamation la part de vrai ? Depuis quand les hommes veulent-ils la vérité ? Il suffit pourtant d’ouvrir les yeux pour observer à quel point on aime à avoir les yeux fermés. Car l’admire-t-on celui qui dévoile ce qu’il est ? Celui qui brusquement baisse sa garde et révèle au grand jour ce qu’il fait en privé ? Celui qui dit tout haut sa pensée ?
Comme il est fréquent, nous valorisons publiquement ce qu’au fond nous méprisons. On veut de l’ouverture, mais on estime la retenue. On croit en vouloir à celui qui se tait, qui se cache et se domine, mais au fond c’est lui qu’on respecte, qu’on craint et qu’on admire.
Tous les grands sages nous le disent : il faut savoir rester discret. A plus forte raison quand on est un personnage public. A tout prix lorsqu’on est un responsable politique…