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Dires et redires, par Alain Gagnon…

Publié le 04 juillet 2013 par Chatquilouche @chatquilouche

Pour une fois, (…) je me permets un différend avec l’empereur stoïcien. Marc-Aurèle a écrit au Livre 10, chapitre 8 des Pensées pour moi-même :

Ce que veulent les dieux, ce n’est pas d’être flattés, mais que tous les êtres raisonnables travaillent à leur ressembler. Ils veulent enfin que ce soit le figuier qui remplisse la fonction du figuier, le chien celle du chien, l’abeille celle de l’abeille, et l’homme celle de l’homme.

 Va pour les arbres, les chiens et les abeilles…   Lorsqu’il s’agit de l’humain, ce que Dieu ou une partie des dieux souhaitent, c’est son concours, l’exercice de son libre arbitre à l’œuvre pour la cocréation du monde et pour le perfectionnement de sa propre espèce. Une différence fondamentale par rapport aux abeilles et aux figuiers.

La Nature, telle qu’on l’a reçue, est à déborder, à outrepasser, à transmuter.  Que dirait une mère du nouveau-né que l’on ne pourrait détourner du cordon ombilical ?  Le fils ne vient pas au monde pour porter un culte inconditionnel au placenta qui a accompagné son séjour utérin.  La mère souhaite son enfant debout, qui arpente la terre, qui étudie les mystères, qui maîtrise toutes choses.

La distinction entre le naturel et l’artificiel n’a souvent aucun sens.  Jamais on ne dirait d’un castor vivant dans sa hutte, au cœur de son barrage, qu’il habite une structure ou un décor artificiel.  De même pour l’humain dans sa Cité.  Il est aussi naturel pour l’homme d’ériger des gratte-ciel et des métros souterrains pour se déplacer, y vivre et y travailler que pour la marmotte de creuser son terrier.  Il est aussi naturel pour l’homme de fabriquer des machines-outils qu’aux guêpes de construire ces nids feuilletés qu’aux arbres les vents balancent en automne.  L’humain surpasse, et de beaucoup, la nature donnée ; il est de sa nature de la surmonter, de la transmuter, de s’accorder à lui-même une nature qui soit distincte de l’originale où, pourtant, plantes et animaux apparemment se complaisent.  Il est naturel à l’espèce humaine d’édifier.

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On peut lire dans la Genèse : Le septième jour, Dieu se reposa.  En fait, il y eut relève de faction — on a changé de shift, comme on dit dans les usines et les manufactures.  Transmission des pouvoirs à ces petits monstres dénudés, veules, agressifs, opportunistes et froussards : les humains — hommes et femmes, les Adams et Èves.  Nos ancêtres ont alors accueilli l’angoisse du doute, les cauchemars de l’incertitude, mais aussi les plaisirs ineffables de la création — bref, les responsabilités, les affres et les joies de la liberté.

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Dires et redires, par Alain Gagnon…

Sisyphe (vase grec)

Les visées de l’ingénierie génétique sont pernicieuses ? Lucifériennes ? Non.  À l’encontre de ce que répandent les timorés technophobes, l’ingénierie génétique ne remet aucunement en cause la nature humaine.  Au contraire.  Il est de la nature du règne hominal de se prendre comme objet de connaissance et de s’autocréer — plus précisément, de terminer la création et sa propre création.  Les humains sont les remplaçants et les contremaîtres réels de Dieu.  Nous n’avons jamais été plus hommes et plus femmes qu’en ces jours, alors qu’artistes technoscientifiques, nous nous apprêtons à sculpter l’être même que nous serons demain.  Sisyphe[1] pulvérisera et sa pierre, et la montagne qu’il se croyait forcé de gravir.  Les temps solaires, les temps des lions triomphants approchent.

(Propos pour Jacob, Éd. de la Grenouille Bleue)


[1] Héros de la mythologie grecque, condamné par les dieux pour les avoir défiés et avoir défié la mort. « Et je vis Sisyphe qui souffrait de grandes douleurs et poussait un énorme rocher avec ses deux mains. Et il s’efforçait, poussant ce rocher des mains et des pieds jusqu’au sommet d’une montagne. Et quand il était près d’en atteindre le faîte, alors la masse l’entraînait, et l’immense rocher roulait jusqu’au bas. Et il recommençait de nouveau, et la sueur coulait de ses membres, et la poussière s’élevait au-dessus de sa tête. » Homère, l’Odyssée.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

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