Par l'élève Moinet
D’abord le principal. Que celui qui n’a pas vu Obsession, Un serviteur modèle, La ville fantôme, Les pirates, Nandina, La partie de chasse, sache que j'aimerais être à sa place.
Maintenant le blabla. 1965. En pleine agentsecrite aigue, le monde libre retient son souffle. Le SPECTRE, le SMERSH, le THRUSH, le KAOS, organisations maléfiques s’il en est, ne sont pas là pour vous faire gagner au Scrabble mais pour lui faire sa fête. Heureusement les espions sont là. Pour le sauver. Au petit et au grand écran, les agents ne sont plus secrets. Ils s’appellent Matt Helm, Maxwell Smart, Flint, Annie et Napoléon Solo aux USA. Stanislas, Francis Coplan et OSS 117 dans notre beau pays. James Bond, Simon Templar, Jason King, John Steed et Emma Peel au service de sa majesté et même Illya Nickovetch Kouriakine en URSS. Sans oublier L’espion qui venait du froid et Notre agent à La Havane. Quant à Drake, John Drake, il est partout. Là où il y a du danger.
Réalisé entre 1960 et 1966, Destination danger a quatre saisons. La première démarre en première avec 39 épisodes de 30 minutes. A l’époque les séries, comme les voitures ont besoin de rodage. Un comble pour elle qui n’a pas eu de pilote. La série saute la seconde et passe la troisième pour la deuxième après une coupure de trois ans. Drake, John Drake fait merveille dans des épisodes d’une heure. Elle embraye sur la troisième et passe la quatrième pour atteindre sa vitesse de croisière avant de s’achever en queue de poisson dans la quatrième pour deux épisodes au Japon, nippons ni mauvais. Mais la croisière ne s’amuse pas. Drake, John Drake ne rigole pas, ne boit pas, n’emballe pas. Sauf le téléspectateur. Aucune des invitées de la série ne tombera dans ses bras. Voila comment on résiste au temps : éthique et tact. On n’est pas le premier agent secret de l’histoire de la télé pour rien. Zélé, stylé, efficace, cynique, manipulateur, solitaire, Drake, John Drake n’est pas là pour la gaudriole. S'il s’encanaille, c'est pour les besoins de la cause. Dix tours de Scalextric (dont un tour d’essai) par-ci, une partie de billard électrique ou de Ball-trap (dix coups, dont un d’essai) par-là. Et si Drake traque, il ne troque pas. On est agent de l"OTAN ou on ne l'est pas. Ethique et toc ? Ah non. Drake n'est pas simple, mais pas double non plus. Rigueur de rigueur.
Pourtant, la série parvient à se renouveler. Les épisodes, au pluriel, sont bien singuliers. Les filles, les lunettes des filles, les coupes de cheveux des filles, les jupes de filles. Les hommes et les bagarres avec, ne font pas dans la redite non plus. Ni dans la dentelle. L’exotisme des destinations y est pour beaucoup. Même si faute de moyens, on recycle les décors de vieux films de Borehamwood ou de Shapperton. Deux, trois images du pays et emballé, c’est dans la boîte, on rentre au studio dont on n’est jamais parti. Les intrigues aussi, même si l’on s’en fout comme de l’an, soixante en l’occurrence. Comment trembler pour un coup d’état aux Caraïbes ou un complot au Moyen-Orient ? D’ailleurs, la qualité des épisodes est souvent inversement proportionnelle à l’éloignement de la destination.
Et puis, il y a ces noms : Ralph Smart, Georges Markstein, Clive Donner. Plus stylés tu meurs. Et puis il y a cette musique. Ce clavecin épileptique d’Edwyn Astley qui crisperait n’importe qui. Sauf là. Et puis il y a ces invités de marque, seconds rôles patentés du petit écran anglais. Au jeu des chaises télévisuelles nous retrouvons Ian Hendry - le premier Chapeau melon, Derren Nesbitt - le plus fashion des numéros 2, Charles Gray – l’impeccable criminologist du Rocky Horror picture show, Peter Swanwick - le superviseur du Prisonnier, Bernard Lee - l'ineffable M, Donald Pleasence et Denholm Elliot, qui trouveront la consécration à Hollywood. Chez les actrices, j’aurais dû commencer par là, il y aura quand même Honor Blackman - laAvenger, Lois Maxwell - Miss Moneypenny, Barbara Steele - la scream queen, et tant d’autres. Martine Beswick, Alexandra Stewart… Excusez du peu. Sans oublier l’inoubliable Peter Arne, battu à mort dans son appartement londonien en 1983, dont le meurtrier ne fut jamais retrouvé. Une enquête pour Drake s’il en était. Et puis il y a Patrick McGoohan. Moins violent que Bond, moins impavide que Steed, moins excentrique que Flint. Son jeu fait merveille. Déconcertant, énigmatique, introverti. Ce n’est pas encore un numéro. C’est un homme libre et accessoirement le comédien le mieux payé d’Angleterre.
Contrairement à ses destinations, Destination danger n’ira jamais trop loin. Pas de pop (zut !), pas de politique (ouf !), pas de mode (sniff !), pas de charme (han !), pas de couleur (bof !). Voila pourquoi la série ne sera jamais connotée et réussira à garder "un charme indéfinissable", selon la formule consacrée.
Mais, comme Rio, Drake, John Drake ne répond plus. Depuis 1988 et un passage épisodique sur M6, Destination danger n’a pas trouvé grâce aux yeux d’un programmateur télé. Tous les lundis depuis 25 ans, je scrute les bas de pages de Télé 7 Jours. En vain. Pourquoi ne remonterais-je pas plus haut ? En access prime-time sur TF1 peut-être ? Oui, sûrement, ça va bientôt être là.
Pour finir, commençons par le début. J’aurais tant aimé entendre un jour : "Dans les cas difficiles on fait appel à moi ou à quelqu’un dans mon genre…" Et tant qu’à faire : "Oh je me présente : je m’appelle Drake, John Drake". Il est peut être temps que je change de pseudo. Et que j’achète un chapeau.