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Mounia Benaili : « l’Etat palestinien ne verra jamais le jour »

Publié le 09 juillet 2013 par Lecridupeuple @cridupeuple

Mounia Benaili est adjointe au maire de Viry-Chatillon, militante du Parti de gauche. Elle revient de Palestine.

Mounia, tu es partie en Palestine avec les Observacteurs. Quelle est cette association et quel était le but de ce voyage ?

Cette association organise des missions en Palestine. Tous les ans, elle permet à des groupes de français, venus d’horizons divers, militants ou non, de se rendre sur place et de constater la réalité de la colonisation. La présence d’internationaux sur place est vitale et fondamentale pour les Palestiniens. Personne ne revient tout à fait indemne, après 3 semaines sur place. Et bien souvent ceux qui y vont, d’observateurs deviennent des acteurs pour dénoncer l’occupation et les injustices vécues par le peuple de Palestine. Et c’est tant mieux, car cette cause ne vaut que si elle est partagée au-delà du seul cercle des militants et acquis de longue date à ce juste combat.

Mounia Benaili

Vue de France, la vie des Palestiniens, dans la bande de Gaza comme en Cisjordanie, semble être une lutte quotidienne pour la survie. Quel regard portes-tu sur leur situation aujourd’hui ?

Les palestiniens vivent la misère. Qui découle évidemment de leur statut d’occupés, et du régime, j’assume le mot, d’apartheid.
Il y a le blocus sur Gaza qui leur est imposé bien sûr. Mais aussi, dans toute la Cisjordanie, la stratégie d’Israël qui s’est accaparée, sur la base des accords signés avec les autorités palestiniennes, les ressources naturelles, la gestion de l’eau, le contrôle des zones côtières et d’une majeure partie des zones agricoles.
Elle s’est également assuré le contrôle sur l’économie palestinienne. Ainsi, Israël s’enrichit sur le dos du commerce palestinien. Les produits palestiniens sont interdits à la vente en Israël, par contre, pour les exportations et importations, Israël s’octroie une taxe supplémentaire au passage.

Naplouse

Pourtant, il y a une aide internationale en faveur des Palestiniens.

Oui. Mais cette aide est très contestée par les citoyens palestiniens. Au mieux, ils la considèrent comme un moyen pour la communauté internationale de s’acheter une bonne conscience. Au pire, ils la dénoncent comme une forme de légitimation des violations du droit international par Israël. Quelle crédibilité accorder à une aide dont tout le monde sait qu’elle sert également à financer la reconstruction des infrastructures détruites impunément par Israël ? Comment rester insensible à cet argument quand on sait, par exemple, que les Etats-Unis ont beaucoup communiqué dernièrement sur le déblocage de 500 millions de dollars d’aide aux Autorités palestiniennes alors qu’ils versent près de trois milliards d’aide militaire annuelle à Israël ?
Sur le quotidien, malgré la colonisation galopante, les discriminations, les exactions, l’arbitraire, nous avons été frappés par la capacité d’adaptation des palestiniens. Ils mènent en apparence une vie normale. Et c’est une forme de résistance passive pour eux que de continuer les gestes quotidiens de la vie. Cette forme de résistance porte d’ailleurs un nom : le soumoud.

(Photo Nadir Dendoune)

(Photo Nadir Dendoune)

De quelle manière le retour au pouvoir de Benjamin Netanyahou impacte la vie quotidienne des Palestiniens dans les territoires occupés ?

La politique d’extrême-droite de Benjamin Netanyahou est clairement sioniste et sécuritaire. Tous ceux que nous avons rencontrés : pacifistes et activistes israéliens ou palestiniens, ont insisté sur la nature politique du conflit, et non religieuse (même si les religions finissent par l’instrumentaliser). La stratégie mise en œuvre par Ben Gourion et poursuivie par d’autres dont Netanyahou est une stratégie coloniale, afin de priver les palestiniens de leur droit sur leurs terres.
Le développement de colonies illégales dans les territoires pourtant sous contrôle palestinien est impressionnant. Des grues sont à l’œuvre partout autour de Jérusalem et des villes palestiniennes. 8 lignes de Tramway sont prévues pour relier toutes les colonies entre elles et avec Jérusalem. Rendant par là-même impossible, physiquement, l’existence d’un futur Etat palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale.

Contrôle d'identité

Des lois scélérates sont votées. La dernière en date, connue sous le nom de Plan Prawer-Begin, vise à contraindre plusieurs dizaines de milliers de bédouins du Néguev (Palestiniens d’Israël) à quitter leurs terres et leurs villages pour les regrouper dans des villes et quartiers qui leur seraient assignés.
La politique sécuritaire de l’Etat d’Israël a conduit à une situation inouïe : les incursions nocturnes des soldats israéliens dans les territoires palestiniens pour y arrêter arbitrairement des adultes et des enfants, une justice disproportionnée (un jet de pierres est puni de 20 ans d’emprisonnement, un enfant est jugé  comme adulte dès 15 ans), des prisonniers politiques retenus dans des conditions dignes de Guantanamo et où la torture est courante (20 % des Palestiniens sont passés par cette case !).
Concernant les arabes israéliens (1,6 millions de personnes), une vrai politique discriminatoire est menée envers eux. Par exemple, de plus en plus d’employeurs mettent comme condition préalable à l’embauche, le service militaire. L’Etat d’Israël refusant de les recenser pour les inscrire sur les registres des appelés, ils sont de fait écartés d’un nombre grandissant d’emplois. De la même manière, la loi leur interdit de louer ou acheter des terres, les mêmes qui ont été confisquées à leurs ancêtres en 1948.

Guerre des slogans

Les discussions de paix entre Palestiniens et Israéliens semblent au point mort. A ton retour, as-tu l’impression qu’une issue soit possible ?

Cela fait 20 ans que nous parlons de processus de paix. En réalité il n’y a pas de processus de paix ! Il y a un processus de colonisation déguisé sous un soi-disant processus de paix, qui n’a jamais existé. Alors que des conditions sont toujours rajoutées aux obligations des autorités palestiniennes, jamais les mêmes préalables n’ont été demandés à Israël. Les résolutions de l’ONU ne sont toujours pas appliquées : retour des réfugiés, démantèlement et arrêt des colonies, respect des frontières de 1967. Pire : Israël s’est assise dessus, viole la législation internationale humanitaire, bafoue la justice internationale, sans que la communauté internationale ne s’en émeuve ou ne menace de suspendre ses coopérations avec Israël.
Avec ce voyage j’ai acquis 2 certitudes. L’Etat palestinien ne verra jamais le jour. Il est trop tard. Comment démanteler des colonies qui ne cessent de se développer (+179 % en un an) et dans lesquelles vivent 700 000 colons ? A fortiori quand Israël bénéficie de l’impunité la plus totale sur la scène internationale. Israël n’acceptera jamais un Etat binational et laïc qui remettrait en cause leur plan d’occupation. Les arabes étant bien plus nombreux.

Jérusalem

Quel rôle la France et le camp progressiste, singulièrement, peuvent jouer dans le processus de paix s’il est encore sauvable ?

Je crois que malheureusement les Palestiniens n’ont rien à attendre de la France, complètement alignée sur la politique atlantiste des Etats-Unis. Cela doit inciter les partis politiques qui prétendent accéder au pouvoir à s’engager à reconnaître la Palestine comme un Etat à part entière.
Par contre les militants que nous sommes peuvent se rendre utiles de plusieurs manières. Nous pouvons relayer les campagne de boycott de BDS. Ne pas acheter de produits manufacturés en Israël  mais aussi boycotter les entreprises qui collaborent ou soutiennent le régime israélien. Nous devons aussi faire pression sur le gouvernement pour obliger l’étiquetage des produits fabriqués dans les colonies.

Palestine

Le deuxième axe consiste à mener les campagnes de soutien aux prisonniers politiques palestiniens. Plus de 4 000 d’entre eux croupissent dans les prisons israéliennes. Organiser des parrainages de prisonniers dans les mairies, écrire aux prisonniers sont des gestes qui paraissent dérisoires, mais qui sont importants pour montrer aux autorités qu’un soutien international existe. D’anciens prisonniers (dont Salah Hamouri) en font une priorité.
Enfin, nous devons multiplier les délégations officielles d’élu-e-s, de partis politiques, d’associations… pour voir, et raconter.

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Mounia Benaili se recueille sur la tombe de Yasser Arafat

Pour en savoir plus sur le même sujet :

Les Chroniques du tocard de Nadir Dendoune ;

Gaza, sur le blog de Madjid Messaoudene ;

Intensifier le mouvement de solidarité en France et en Europe avec le peuple palestinien, communiqué du PCF.

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Bonus vidéo : Dalida « Helwa Ya Baladi »


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