Légende Photo : Primo Lévy auteur de « Si c’est un homme » (Photo DR)
Beaucoup de premiers romans sont une autobiographie plus ou moins affichée. Les candidats à l’atelier annuel d’écriture ou à un coaching littéraire ont souvent cette demande : histoires familiales, mémoires, récits de vie personnels. J’ai beau dire aux stagiaires que parler de soi est l’exercice le plus difficile qui soit, qu’il est préférable, dans un premier temps de s’exercer sur une histoire plus neutre, il m’apparait impossible de dissuader un écrivain débutant de se jeter à corps perdu dans l’autobiographie avant toute autre chose.
Mes arguments sont pourtant de poids car j’ai moins même sacrifié au genre avec mon premier roman et je sais combien le chemin est douloureux et difficile. Le travail est double : on fait à la fois l’apprentissage du style tout en croisant le fer avec ses démons intérieurs. On s’égratigne aux souvenirs, on se casse la figure dans les caillasses du passé, on tombe, on se relève, et donc on s’épuise. Le temps de l’envoi du manuscrit aux maisons d’éditions est pire encore ; chaque fois que l’on reçoit une lettre de refus on se sent nié tout entier. Et si malheureusement le manuscrit devait demeurer au tiroir, ce qui n’est pas rare du tout, c’est toujours notre petite personne avec tous ses espoirs et ses compétences que l’on sent mise « au placard ». Autre aspect douloureux de l’affaire, que l’on affiche clairement son identité ou que l’on déguise sa vie sous des pseudonymes et noms d’emprunt : il faut s’attendre à des retours parfois brutaux de la part de notre entourage. Or, une des vaines quêtes de l’auteur qui se raconte est, hélas, d’être compris, accepté voire réparé par le regard bienveillant de ses contemporains. Si cela arrive parfois, préparez-vous aussi à de, tantôt cuisantes, tantôt stupides, réflexions tant sur votre style que sur votre « pauvre existence » ou vos choix de vie. Ceci vous donnera l’impression d’être un imprudent stripteaseur en fin de numéro devant un parterre moqueur qui le bombarde de tomates mûres et qui est dans l’impossibilité de se rhabiller car il a déjà jeté ses vêtements au quatre coins de la scène.
La culture française, terreau du genre autobiographique.
Notre nombrilisme culturel (« l’exception culturelle française » en étant le point d’orgue), un amour immodéré et déraisonnable de la psychanalyse, le célèbre et gluant doute cartésien, sont les trois routes de notre pays qui mènent le jeune auteur à ce carrefour dangereux que la vogue actuelle baptise « autofiction »(1). Tous les auteurs connus y sacrifient avec plus ou moins d’intérêt pour le lecteur. Je n’ai personnellement aucune espèce de goût ni d’indulgence pour, par exemple, les récits d’inceste de Christine Angot, si dramatique et digne d’attention que soit le sujet. Je ne parle même pas de ces universitaires ou oligarques intellectuels, dont notre nation a le secret de fabrication, qui racontent leur divorce, l’incendie de leur maison, la mort de leur chien et publieront peut-être un jour la liste de leurs courses sans faire sourciller les jurys de prix littéraires. Après tout, David Foenkinos a bien utilisé les codes d’accès de son immeuble pour étoffer « La délicatesse ».
Bref, entre le désir légitime d’exister et la tendance générale, le jeune auteur n’a plus qu’à se laisser glisser sur cette pente à risques, advienne que pourra.
La seule excuse valable : déposer ses valises.
Mis à part ces narcissiques chroniques dont la profession d’auteur est pourtant bien encombrée, le primipare autobiographe veut, la plupart du temps, avant tout se débarrasser de ce qui le gêne et l’alourdit pour pouvoir aller vers d’autres textes, plus joyeux, plus légers, plus tournés vers les autres. C’est à mon avis la seule bonne raison de se jeter dans pareille aventure. Panser ses plaies dans de longues phrases cotonneuses, déposer mot par mot ses douleurs comme des cailloux pour les perdre définitivement dans la forêt du petit Poucet, si c’est pour devenir ensuite un écrivain solide, solaire et flamboyant, alors je signe. Le chemin sera compliqué mais des plus passionnants : il donnera naissance à ce que j’appelle « le roman racine ». La genèse de toute la création ultérieure, si modeste soit-elle. Mais cela justifiera un autre billet.
(1)Brève définition de l’autofiction :
L’autofiction est le récit d’événements de la vie de l’auteur sous une forme plus ou moins romancée (l’emploi, dans certains cas, d’une narration à la troisième personne du singulier). Les noms des personnages ou des lieux peuvent être modifiés, la factualité mise au second plan au profit de l’économie du souvenir ou des choix narratifs de l’auteur. Affranchie des « censures intérieures »3, l’autofiction laisse une place prépondérante à l’expression de l’inconscient dans le récit de soi. C’est Serge Doubrovsky qui a baptisé ce genre (NDLR : en 1977) des textes d’autofiction existaient bien antérieurement. (source Wikipédia http://fr.wikipedia.org/wiki/Autofiction )