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Interview rone «le problème n’est pas l’inspiration, mais l’expiration»

Publié le 11 juillet 2013 par Acrossthedays @AcrossTheDays

Lyon, début mai, il fait chaud, la ville bout : les Nuits Sonores battent leur plein. Après avoir écumé la ville à la recherche du lieu secret où se tenait la Boiler Room (et harceler tous mes contacts que je pouvais supposer en possession de la précieuse information), sans succès; je pénètre tôt dans l’antre nocturne du beau festival lyonnais : les Anciennes Usines Brossette. Après avoir assisté aux balances de Rone, je le retrouve un peu plus loin pour une interview où le néo-Berlinois, bien qu’un peu fatigué, se montrera bavard.

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ATD. On te l’a sûrement posée des milliard de fois, cette question… Ça vient d’où, Rone ?

Rone. Vu que mon vrai prénom c’est Erwann, donc c’est un jeu de mot à la con… Quand j’étais adolescent, mon blase j’écrivais R.one (donc phonétiquement air-wane, NDLR), et ma première soirée un peu officielle où je jouais avec un flyer, le graphiste avait oublié de mettre le point… Au début j’étais un peu vénère, et au final j’ai trouvé ça rigolo et je l’ai gardé ; mais à la base c’est un accident.

ATD. Tu préfères boire un litre de l’eau du Rhône ou un litre de rhum ?

Rone. Clairement, un bon rhum !

  »Plus j’intellectualise, moins je fais de musique. »

ATD. Sur ton dernier album, il y a beaucoup de titres de chansons qui évoquent quelque chose d’un peu brut (Bye Bye Macadam, Tohu Bohu) alors que les chansons sont plus délicates. Le paradoxe est voulu ?

Rone. En fait c’est pas vraiment voulu, parce que tout ça c’est pas vraiment réfléchi. Je fais de la musique de manière très instinctive, spontanée, j’essaie d’intellectualiser la chose la moins le possible. Après le premier album, quand il a fallu préparer le deuxième, j’ai eu un blocage justement parce que je réfléchissais trop, j’étais en train de me demander «Qu’est-ce je veux faire comme musique ? Quel est mon message ?» : plus j’y pensais, moins je faisais de musique, je me suis dit qu’il fallait arrêter d’intellectualiser et juste rentrer en studio enregistrer des sons.

Je réfléchis pas aux titres ou aux messages, c’est un peu comme le jeu des surréalistes qui faisaient de la poésie automatique, tu balances des mots, et donc c’est des trucs assez spontanés ; même si inconsciemment il y a toujours une histoire. Bye Bye Macadam c’est parce que j’avais quitté Paris et j’avais l’impression en allant à Berlin de me retrouver au vertTohu Bohu, le truc dont tu parles, le côté brut, j’ai appelé ça comme ça en me rendant compte que c’est ce qui se passait en studio : je branche mes machines, je fais du son sans vraiment savoir où je vais, et y a des grosses phases de bordel, de bruit, de chaos, qu’il faut arriver à maîtriser. Mon travail c’est donc de contrôler ce tohu bohu pour en faire un truc cohérent, un beau disque. C’est comme un sculpteur, sauf qu’au lieu de travailler dans la glaise, je travaille dans le son : je taille quelque chose.

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© Timothy Saccenti

ATD. À quel moment tu sais qu’une chanson est finie, prête à sortir ?

Rone. Ah ouais, ça c’est hyper dur… C’est très facile de commencer un morceau, ce qui est dur c’est d’arriver à aller au bout d’une idée. J’ai souvent perdu du temps avec ça à force de toujours vouloir aller plus loin, et à force d’aller loin je finissais par perdre l’idée originale, qui était intéressante. Du coup j’ai trouvé mon astuce : pour terminer un morceau, je me suis dit qu’il fallait pas avoir peur de se dire qu’il était fini, parce que le morceau à beau être gravé sur un disque, je peux toujours le réinventer en live, et de savoir que je pourrais le jouer différemment sur scène, ça m’aide à terminer un morceau en studio.

« Mon live est un work in progress permanent »

ATD. Comment travailles-tu sur le live, justement ?

Rone. Ca aussi c’est un problème, heureusement un peu maîtrisé : au départ, je voulais absolument jouer tous les morceaux de l’album, comme le live d’un groupe de rock qui jouerait ses tubes en quelque sorte. Et à chaque fois, j’ai envie de les jouer différemment. On reconnaît toujours des gimmicks, des mélodies, mais je tiens toujours à emmener les morceaux ailleurs. Les gens qui connaissent bien le disque retrouvent forcément quelque chose mais risquent de se retrouver un petit peu surpris. Il y a aussi la partie visuelle qui s’est ajoutée, c’est assez récent. On a vraiment pensé la lumière en fonction des sons, et beaucoup de vidéo aussi. Ca a commencé avec un pote qui a filmé deux trois trucs pour mon live, puis un deuxième, et maintenant on est cinq, ça donne une grosse collaboration. Ca permet une évolution, d’éviter d’avoir toujours les mêmes images : les trucs qu’on aime beaucoup on les garde, mais d’autres disparaissent, au profit d’autres… Je sais pas jusqu’où ça va aller ! C’est pour ça qu’on a appelé ça Module, parce qu’effectivement c’est vraiment modulable. Je change les sons, ils changent les images : c’est un work in progress permanent. A chaque fois on veut proposer des choses différentes, et ça évolue de date en date.

ATD. Tu as fait des études de cinéma, c’est quelque chose que tu as complètement abandonné où tu penses y revenir un jour ?

Rone. Pour l’instant je suis vraiment à 100% dans la musique, donc j’y pense pas vraiment, même si j’ai l’impression de réussir à garder un pied là-dedans… Là je viens de faire la musique d’un film, et j’adore ça ! C’est le film d’un pote, Vladimir Mavounia-Kouka : j’avais déjà fait la musique de son premier film, un court-métrage diffusé sur Arte et en festivals, et là il fait un deuxième court-métrage, et c’est hyper spécial. C’est un film d’animation en noir et blanc, limite porno, et ça m’oblige à essayer des trucs, musicalement, que je ne ferais pas tout seul. C’est hyper intéressant. Avec ce genre de projets, j’ai l’impression de réussir à garder un doigt de pied dans le cinéma. Donc oui, même si pour l’instant j’adore confier mes clips à des réalisateurs, je me dis qu’un jour ce serait drôle de le réaliser moi même.

« La musique était juste une récréation pour moi »

ATD. À quel moment tu as quitté le cinéma pour partir vers la musique ?

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Rone. C’est marrant parce que ça c’est fait sans que je m’en rende compte. Je faisais de la musique depuis très longtemps, et j’avais aucune ambition là-dedans, je pensais pas en vivre un jour, c’était juste une récréation, même si je prenais ça très au sérieux. Je pensais que le cinéma allait me faire vivre. Et en fait c’est le label Infiné qui m’a encouragé à sortir un premier disque. Après, j’ai pensé que ça s’arrêterait là, mais en fait non, ils m’ont poussé à faire un premier live, puis un deuxième, et j’ai sorti un autre album, et ça a pris le dessus sur tout le reste : ça s’est imposé tout seul, et naturellement.

ATD. Comment elle s’est faite cette signature chez Infiné ?

Rone. J’avais trop de complexes et trop de respect pour la musique et les musiciens pour oser faire des démarches, j’en ai juste fait une, une fois, parce qu’autour de moi j’avais des potes qui commençaient à sortir des disques et qui m’ont dit que je devrais envoyer mes morceaux. Ils m’ont dit «Tu regardes les labels sur lesquels sont sortis des artistes que tu aimes et tu leur proposes quelque chose» ; j’avais choisi trois labels auxquels j’ai envoyé trois démos. Le lendemain, c’était déjà oublié. Et en fait j’ai eu trois réponses positives… Je me suis retrouvé à devoir choisir entre trois labels, et c’est avec Infiné que le feeling a été le meilleur.

ATD. À quoi ressemble ton futur musical ? Si tu sais vers où tu veux aller…

Rone. Justement, j’aime bien l’idée de pas trop savoir même si j’ai des idées assez précises. J’aimerais bien juste expérimenter des choses, peut-être avec des collaborations, ou tout seul. Mon premier album je l’ai fait tout seul, avec un petit ordi et deux pauvres enceintes… et là je me retrouve dans un beau studio avec plein de machines. J’étais halluciné il y a quelques années quand je voyais les studios fous, remplis de partout, et je réalise que ce sont des choses qui se construisent en plusieurs années. Donc je veux juste expérimenter des trucs, faire des choses un peu différentes, on verra !

« J’aime la techno, mais j’aime encore plus l’idée qu’il n’y ait pas de barrières. »

ATD. Tu parles de collaborations…avec qui ?

Rone. Y en a dont je peux pas encore parler parce que c’est en cours… (depuis, ça a été annoncé, donc je peux le dire, NDLR) Par exemple, tu vois The National ? C’est fou parce que c’est un groupe qui n’est pas du tout de mon univers musical, mais ils m’ont contacté quand ils étaient à Berlin dans un hôtel, à enregistrer leur album, et ils m’ont proposé de travailler sur leur disque. C’est un travail très subtil, j’ai juste légèrement posé ma patte. Mais ça m’a vachement plu, de travailler avec des matières comme une voix, un piano, des trucs comme ça. J’adore la techno mais j’aime encore plus l’idée qu’il n’y ait pas de barrières, qu’on me réduise pas à un artiste techno ou électro. J’ai envie de faire des choses avec mon pote Gaspar, et de continuer aussi à fond dans les machines analogiques ou électroniques pures, et de créer des choses. Du moment qu’il se passe un petit truc, quelle que soit la musique, je veux le faire !

ATD. Ton inspiration, elle vient d’où ?

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Rone. C’est difficile à dire, parce qu’elle est un peu partout… Il y a une phrase que j’adore, de mon copain Alain Damasio (et qu’on entend sur Bora), qui dit «Y a pas de problème d’inspiration, le vrai problème c’est l’expiration.» et je suis complètement d’accord avec lui. On vit tous plein de choses, on est tous remplis d’expériences variées, on manque jamais d’inspiration : le problème, c’est d’arriver à l’exprimer, sortir tout ça. Ca vient des rencontres que je fais, des films que je vois, les actualités, c’est hyper vaste…de tout quoi ! Même mes inspirations purement musicales, j’arrive pas à les cerner. Je suis une espèce d’éponge, et à un moment c’est comme si on me pressait, et je ressors tout ce que j’ai absorbé.

ATD. Quelle drogue pourrait être associée à ta musique ?

Rone. (rires) C’est dur ça ! (un temps passe) C’est marrant, j’étais en train d’y réfléchir, je me disais un joint, de la mdma, hmm… J’aimerais bien que ce soit une drogue qui existe pas encore et qui n’a pas une descente trop affreuse. Un truc un peu doux, qu’un chimiste un peu fou inventerait en écoutant l’album.

ATD. Quel artiste méconnu mériterait plus de succès selon toi ?

Rone. Y a un mec qui s’appelle Vophoniq, il commence à être un peu connu : il fait une musique électronique très belle. Il m’envoie régulièrement ses nouveaux morceaux, et je suis assez touché par sa musique, il est doué !

« J’aime créer un sentiment d’intimité avec mille personnes »

ATD. T’as vu qu’un des visuels des Nuits Sonores était généré à partir de Bye Bye Macadam ? Est-ce que tu penses que c’est une bonne représentation de la chanson ?

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Le visuel des Nuits Sonores généré à partir de Bye Bye Macadam

Rone. Quand j’ai vu ça, j’ai trouvé ça génial ! J’y comprends rien, mais j’adore l’idée. Ca me fait rire parce que je sais même pas lire une partition de musique, et là on dirait un peu une partition de musique électronique.

 ATD. Dans quelle salle ou festival rêverais-tu de jouer ?

Rone. (silence, malaise, puis rire gêné) Merde, j’allais faire une boulette… Y a une salle où… Rah, je peux pas le dire. Désolé, c’est bas de le dire comme ça : Y a une salle où c’est un rêve de jouer pour tout musicien… Je peux pas dire laquelle parce que c’est pas encore annoncé.

ATD. Ouais, tu joues L’Olympia quoi.

Rone. (encore plus gêné) Ouais, voilà, non c’est pas ça, je peux pas dire laquelle c’est, bon, voilà quoi.

(Si si c’est ça, ça a été annoncé depuis, ce sera le 31 octobre. On vous donne même l’enregistrement audio de ce passage merveilleux.)

Rone. Et niveau festival, je m’y connais pas très bien, j’arrive complètement en touriste et je découvre tout. L’année dernière, avant de faire Dour, je savais pas ce que c’était. J’ai halluciné. Donc je les découvre comme ça, en y allant.

ATD. Est-ce que tu joues différemment selon le public qui est devant toi ?

Rone. Finalement, pas tant que ça ! Peut-être, forcément, quand il y a 8000 personnes (comme aux Nuits Sonores, où a lieu l’interview), c’est un sacré truc. C’est comme si tu conduisais un tout petit coucou devant 50 personnes et devant 8000 personnes, un gros Boeing avec plein de boutons partout ! Mais au final, tu fais le même trajet. Je mets peut-être un peu plus d’énergie quand il y a beaucoup de monde, mais pas forcément, je peux aussi être complètement fou quand c’est très intimiste. C’est un peu la même chose, je crois… Dans les énormes salles, j’aime bien justement surprendre en faisant des passages très calmes, créer un sentiment d’intimité avec mille personnes.

Je remercie au passage Virginie et Gaetan de (l’excellent) label Infiné, Ambre des Nuits Sonores, et Erwan pour sa gentillesse et sa disponibilité malgré sa fatigue. Je vous laisse avec un extrait de Tohu Bonus, la version augmentée de Tohu Bohu : Pool est une collaboration avec John Stanier, batteur de Battles.


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