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Yves Montenay : Echos du monde musulman

Par Alaindependant
jeudi 11 juillet 2013

     Échos du monde musulman N° 193     9 juillet 2013

Depuis deux ans et demi que dure le « printemps arabe », les médias français se sont adaptés et suivent mieux les événements de cette partie du monde. L'objet de cette lettre évolue donc : au lieu de ne parler que de ce qui était ignoré par ces médias, je suis de plus en plus amené à faire une synthèse avec un éclairage historique. Cela peut bien sûr recouper tel ou tel article que tel ou tel d'entre vous aurait déjà lu. Mais pas tous !

Égypte : coup d'État, ou coup de pouce à la démocratie ?

Les commentaires sur la mise à l'écart du président Morsi par les militaires varient fortement selon les pays et les convictions politiques. Les « pro-Morsi » insistent sur le fait qu'il avait été démocratiquement élu. Les « anti » expliquent qu'il ne s'était pas démocratiquement comporté et avait lui-même fait un coup d'État en novembre 2012 en prenant tous les pouvoirs.

Je ne veux pas entrer ici dans la discussion juridique, car, derrière le droit, les causes profondes sont celles que vous connaissez : écroulement économique, multiplication des pénuries et crainte « de ne plus avoir de pain » (voir nos analyses sur les subventions dans les lettres précédentes), et enfin un comportement non démocratique en ce que les Frères tentaient d'imposer leur vision de la société à une partie de la population qui ne le souhaitait pas, et qu’ils noyautaient pour cela les rouages de l'État.

Que cette partie réfractaire de la population soit majoritaire ou minoritaire ne change pas le fait que cette contrainte n'est pas démocratique, et nous avons vu que c'est sur ce point que réside le « malentendu » : en démocratie la majorité n’a pas tous les pouvoirs, elle a même des devoirs. On se souvient d’ailleurs que les « anti-Morsi » avaient pris la précaution de recueillir sur une pétition plus de signatures que Morsi n'avait eu de votes pour contourner cette objection de la légitimité électorale.

Certes les Frères répètent qu'ils n’islamiseront la société que progressivement au fur et à mesure qu'elle sera convaincue que c'est la bonne voie (contrairement aux salafistes qui veulent le faire immédiatement et brutalement si nécessaire), mais le fait même qu'ils affichent la conviction que c'est eux qui savent ce qui est bon pour les autres heurte aussi bien les Coptes qu'une bonne part des musulmans, comme l'a illustré la présence des dignitaires de ces deux religions aux côtés du général Al Sissi. Putschiste selon les uns, sauveur de la démocratie selon les autres, c’est par ailleurs un musulman pieux et nassérien (nationaliste étatiste). Et pour compliquer encore rappelons que les « anti-Morsi » ne rassemblaient pas seulement des démocrates, des laïques, des Coptes et des musulmans «normaux», mais aussi les salafistes dont les idées sont totalement opposées à ces courants, dont le parti avait fait un tabac aux législatives et qui reprochent surtout aux Frères de noyauter les mosquées. C'est pourquoi j'écris « rassemblaient », car, Morsi parti, les divergences sont apparues et les salafistes, après avoir bloqué la nomination d'un premier ministre trop laïque à leur goût, ont  claqué la porte.

Et maintenant le problème précédent peut se poser en sens inverse : une majorité « anti Frères » (du moins si un scrutin la confirme) n'a pas à brimer ce courant peut-être devenu minoritaire. Des cyniques pensent même que ce coup d'arrêt est venu trop tôt, et qu'il valait mieux laisser les Frères s'enfoncer dans l'échec que de leur redonner une virginité en en faisant des victimes et en les faisant bénéficier d'une cure d'opposition. D'où l'idée d'une union nationale, notamment pour prendre les décisions désagréables en matière de subventions. Mais il serait dans l'intérêt des Frères de « bouder »  pour des raisons à la fois de principe (ne pas avaliser un coup d'État) et électorales (ne pas s'associer à des mesures d'austérité).

La Tunisie, le Maroc et l’Égypte

D'abord la correction d’un lapsus concernant la Tunisie. Dans notre dernière lettre, nous écrivions : «En attendant le pays s'enfonce et la DATAR vient de le dégrader, c'est-à-dire signale aux exportateurs français vers ce pays qu'il devient économiquement dangereux. ». Il fallait bien sûr comprendre la COFACE et non la  DATAR.

En Tunisie toujours, on se sent concerné par l’évolution égyptienne : Ennadha, parti au pouvoir cousin des Frères musulmans, est un peu dans la même situation, en moins grave, que celle des Frères il y a une semaine en Égypte (échec économique, inquiétude des démocrates et des « laïques », divorce avec les salafistes). Le président de ce parti islamiste proteste contre l'intervention de l'armée en Égypte, et proclame, ce qui est exact, que l'armée tunisienne est apolitique. Mais la réaction égyptienne est néanmoins un avertissement pour son parti et il proclame qu'il fera tout pour accélérer la transition et notamment déclencher enfin les élections : il vaut mieux les urnes que l'émeute. On se souvient qu'il semblait moins pressé avant les événements égyptiens.

Au Maroc, il y a également une certaine parenté de situation avec l’Égypte, mais encore moins nette qu'en Tunisie. L'arbitre suprême, le roi (et donc l'armée, mais on n'en est pas là) est solidement installé. Mais les islamistes (un peu) au pouvoir ne savent pas gérer les difficultés économiques, qui sont pressantes comme en Tunisie et en Égypte, même si elles sont moins aiguës, et la population est divisée en sensibilités très différentes, des plus laïques aux salafistes, des économiquement libéraux aux « gauchistes ».

L'Algérie ne veut pas du Maroc

La fermeture de la frontière entre les deux pays coûte cher à tout le monde, sauf aux contrebandiers locaux. Ont-ils des relais jusqu'au sommet du pouvoir en Algérie ? (d’ailleurs, où est actuellement « le pouvoir » dans ce pays ?). Toujours est-il que les espoirs d'ouverture ont été une fois de plus déçus, la question du Sahara en étant le prétexte. « Le Grand Maghreb arabe » reste très théorique.

La Malaisie championne du « bien être islamique »

Voici l'information brute donnée le 13 mai sur ajib.fr : l’Institut international des Etudes Islamiques avancées, à Kuala Lumpur, en Malaisie. vient de publier dans la revue Islam and Civilisational Renewal, que le pays musulman où l’indice du bien être islamique est le plus élevé est la Malaisie, le deuxième étant son voisin, l’Indonésie. L’indice repose sur deux principaux domaines : l’application de la religion (ibadah), et les interactions sociales (mu’amalah) (en gros, respectivement, le respect des rites et le « développement humain » : éducation, statut de la femme, inégalités etc. Que les puristes soient indulgents pour ma transposition de données religieuses en données factuelles, mais je suppose que les statisticiens de cet institut ont dû faire discrètement de même).

Le succès de ces deux pays, et le mauvais classement des autres s'explique par le fait que beaucoup de pays très respectueux des rites sont « mauvais » en  développement humain, et que beaucoup de pays musulmans riches ne sont pas pour autant « développés ». Par ailleurs je remarque, sans savoir s'il y a un lien avec ce classement, que l'Indonésie (plus grand pays musulman du monde) et la Malaisie ont en commun quelque caractéristiques originales dans le monde musulman : une culture malaise très spécifique et encore imprégnée d'un substrat bouddhiste et hindou, une cohabitation en gros pacifique avec ces deux religions et le christianisme (il y a quelques exceptions musclées), une islamisation pacifique par des commerçants missionnaires et, avis très personnel, une langue officielle « artificielle » (que les linguistes excusent ce raccourci audacieux), donc simple à enseigner et néanmoins proche des langues parlées. Et par ailleurs en caractères latins ce qui facilite l'apprentissage de beaucoup de langues étrangères, et notamment de l'anglais très présent en Malaisie, avec, inévitablement, un peu d'interculturel.

Les uns en tireront des conclusions optimistes quant au non-blocage du développement par l'islam, d'autres seront plus réservés en remarquant les données propres à ces pays. En tant qu’analyste, je n’ai pas à avoir d’opinion sur une question trop générale pour donner lieu à approche scientifique, et me borne à penser que « l'islam est ce que les musulmans en font ».

Appel au peuple !!

Cette lettre est gratuite et entend le rester. Toutefois elle demande à notre association, l’ICEG, des efforts financiers qui, bien que modestes, commencent à la dépasser.

De petits dons seraient donc les bienvenus (chèques à l'ordre de ICEG, 12 rue Abel 75012). J’ai remercié les abonnés qui y ont pensé depuis longtemps, et ceux qui viennent de le faire en leur envoyant un petit recueil de témoignages sur la situation du français dans les pays arabes … et bien sûr un reçu fiscal pour diminuer leur impôt (écrire à [email protected]) .

Ceux qui ont reçu ce cadeau l’an dernier en auront un nouveau cette année, approprié à ce que je sais d’eux.


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