Deuxième
TOURMENTE
Qui dans l’abîme gît, sous la mer qui se lève ?
Nous, Portugal : pouvoir être.
Quelle inquiétude nous soulève de ces fonds ?
Désirer pouvoir vouloir.
Mais le mystère aussi dont la nuit est le faste…
Or brusquement, là où rugit le vent,
L’éclair, phare de Dieu, brusque bouffée
Eclate et brille, alors gronde la mer ombreuse.
TORMENTA
Que jaz no abismo sob o mar
que se ergue?
Nós, Portugal, o poder ser.
Que inquietação do fundo nos soergue?
O desejar poder querer.
Isto, e o mistério de que a noite é o fausto...
Mas súbito, onde o vento ruge,
O relâmpago, farol de Deus, um hausto
Brilha e o mar ’scuro ’struge.
Troisième
ACCALMIE
Quel rivage est-ce donc que les vagues nous content
Et qui ne se peut rencontrer
Si nombreuses que soient les nefs gagnant la mer ?
Et qu’est-ce que cela que rencontrent les vagues
Mais qu’on ne voit jamais surgir ?
Et ce bruit de la mer déferlant sur la plage,
Où est-il frappé d’existence ?
Île à la fois proche et lointaine,
Qui à nos oreilles persiste,
Pour notre vue en rien elle n’existe.
Et quelle nef, quelle flotte, quelle armada,
Pourrait rencontrer le chemin
Qui conduit à la plage où la mer persévère,
Si à perte de vue la mer est solitaire ?
Existe-t-il des déchirures dans l’espace
Qui donnent sur l’autre côté,
Et permettent, si l’une est rencontrée,
Ici, où ne se trouvent que sargasses,
Le surgissement d’une île cachée,
La contrée fortunée
Qui préserve le Roi déporté
Dans sa vie enchantée ?
CALMA
Que costa é que as ondas contam
E se não pode encontrar
Por mais naus que haja no mar?
O que é que as ondas encontram
E nunca se vê surgindo?
Este som de o mar praiar
Onde é que está existindo?
Ilha próxima e remota,
Que nos ouvidos persiste,
Para a vista não existe.
Que nau, que armada, que frota
Pode encontrar o caminho
À praia onde o mar insiste,
Se à vista o mar é sozinho?
Haverá rasgões no espaço
Que dêem para outro lado,
E que, um deles encontrado,
Aqui, onde há só sargaço,
Surja uma ilha velada,
O país afortunado
Que guarda o Rei desterrado
Em sua vida encantada?
Fernando Pessoa, Message, in Œuvres poétiques, préface par Robert
Bréchon, édition établie par Patrick Quillier, Bibliothèque de la Pléiade,
Gallimard, 2001, p. 1269. (l’édition n’est pas bilingue).
Les poèmes de Message ont paru au tome
II de l’édition des œuvres de Fernando Pessoa, dans la traduction de Maria
Antonia Câmara Manuel, Michel Chandeigne et Patrick Quillier, Christian
Bourgois, 1988. Révision des traductions antérieures par Patrick Quillier, en
collaboration avec Maria Antonia Câmara Manuel, Christian Bourgois, 2001.