"Le pire ce sont les w.-c. Et même avec des gants ça reste insupportable. Franchir le territoire privé, l'intérieur méprisable. Dans la cuvette l'eau est glacée à travers le latex. Je tends les bras, je frotte, vite, sans m'attarder, je m'empêche de penser à ce que je suis en train de faire, à la tâche indigne, à ce trou où chaque jour se déversent avec une régularité terrifiante excréments et urine chaude. Je ne sais plus pourquoi ni comment j'ai pu en arriver là. Mais il ne faut pas penser, ne jamais laisser vagabonder son esprit. Si tout à coup je me mettais à réfléchir à ce que je suis en train de faire, la lucidité me boufferait le cerveau."
Elle était comédienne et maintenant elle fait des ménages. Il n'y avait plus que ça pour qu'ils s'en sortent. Elle fait ça pour son compagnon, pour son fils, pour eux, mais y perd peu à peu son âme. Elle voudrait ne pas perdre la mémoire de "l'odeur des planches", pourtant c'est l'image de sa mère qui prend toute la place. Tout en astiquant la saleté des autres, elle convoque les souvenirs, ceux d'une famille d'immigrés algérien débarquant un jour dans le port de Marseille, chargés d'espoir. Comme une revanche sur le passé, la comédienne avait enfin réussi à passer de l'ombre à la lumière, sur la scène. Le présent ouvre de nouveau la porte à la honte, et à l'invisibilité...
Je suis partagée sur cette lecture que j'ai trouvé d'un côté pleine d'émotion et de l'autre légère sur la forme et le fond.
Il est premièrement difficile de ne pas se sentir touchée par cette destruction progressive de soi que la narratrice évoque. L'empathie était pour moi au rendez-vous. Et puis, le style de l'écriture est très bon.
Mais le procédé du parrallèle avec le passé, le fantôme de la mère, la présence évanescente du père, m'a semblé factice. Cela dit, ce récit étant un témoignage, et un premier roman, je pense que l'explication était là, dans la volonté de la démonstration.
Et j'ai pensé également - un peu trop peut-être - à toutes ces femmes dont faire le ménage chez les autres est le métier et le quotidien, et qui le vivent différemment, avec fierté parfois. J'en ai connu. Elles ne méritent pas d'être l'ombre et les comédiennes, elles, la lumière.
Une lecture qui donne à réfléchir cependant sur la condition de ceux qui ressentent leur travail comme un avilissement.
Editions Du Rouergue - 16€ - Mars 2013
A découvrir absolument pour Cathulu la tentatrice ! - Clara était très enthousiaste aussi !!