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Les timbrés de la république française

Publié le 15 juillet 2013 par Edgar @edgarpoe

Notre bon président a choisi le nouveau timbre courant. L'occasion de republier ce billet d'avril 2009 consacré à la version - sarkozyenne - précédente, un timbre assez génial sur les rapports franco-européens. Le nouveau timbre a l'air assez fort lui aussi, dans le genre confusion des sentiments. J'ai donc ajouté pour finir un nouveau paragraphe (je n'ai, en revanche, rien touché au billet initial).

Barthes aurait-il pu faire de ce petit sujet l'une de ses Mythologies ? Avec conscience de ne disposer que d'une truelle là où le maître disposait d'incomparables ressources, j'avais envie depuis longtemps de jeter quelques lignes sur le nouveau timbre Marianne dont nous a dotés la Poste l'an dernier.
Quelques recherches m'ont conduit plus loin que les quatre à cinq lignes initialement imaginées, notamment quand j'ai découvert que les timbres courants sont choisis par le Président de la république, rien de moins, et ce depuis au moins 1945.
Ca ne m'a pas ennuyé. J'ai longtemps collectionné les timbres et c'est une occasion d'apprendre qui en vaut une autre. Par ailleurs, avec Marianne, on est au coeur des symboles républicains. Commençons donc...

*


Ce timbre prend donc la suite d'une série d'une trentaine de timbres usuels, commencée en 1849.
Ces timbres usuels reflètent d'une certaine façon l'histoire de France. Ce n'est pas un hasard, leur dessin est souvent choisi par le Président de la république, ou par le ministre des postes, qui entend ainsi faire passer un message, faire circuler un symbole.
Pour citer quelques exemples dans cette série, commençons par la Marianne de Gandon, en 1945, belle et grave. L'heure est à la reconstruction. C'est de Gaulle qui choisit ce dessin à la Libération.

Marianne a rencontré l'Europe - juillet 2013 elle s'en débarrasse

En 1959, la cinquième république fait ses débuts, Marianne prend un nouveau départ.
Marianne a rencontré l'Europe - juillet 2013 elle s'en débarrasse

Voir aussi, sur une page du site de l'Assemblée nationale, les timbres suivants de la république gaullienne, une Marianne de Cocteau assez réussie et un coq triomphant.
La Marianne giscardienne, en 1977, est un peu empâtée. Elle est révélatrice. C'est un choix de VGE, qui a retenu une Sabine, de celles qui arrêtèrent le combat entre les Sabins et les Romains, tel qu'illustré par un tableau de David en 1799, les Sabines. Il s'agit pour lui de signifier une volonté de réconciliation nationale (entre soixante huitards et dirigeants, entre droite et gauche, entre capital et travail ou entre pétainistes et gaullistes ? C'est sans doute un vrai sujet). Il faut noter, comme le relève le site de l'Assemblée nationale cité auparavant, que le timbre ne porte plus la mention "République française", mais un simple "France" - conformément à une recommandation de l'Union Postale Universelle. C'est la première fois depuis Vichy.
Par ailleurs, la Marianne n'a pas de bonnet, et c'est assez normal puisqu'il ne s'agit pas d'une Marianne mais d'Hersilie. Jusqu'ici les Marianne modérées avaient été laurées - ceintes d'une couronne de lauriers - alors que les Marianne républicaines et engagées étaient coiffées d'un bonnet phrygien.

Marianne a rencontré l'Europe - juillet 2013 elle s'en débarrasse
Marianne a rencontré l'Europe - juillet 2013 elle s'en débarrasse
 
Marianne a rencontré l'Europe - juillet 2013 elle s'en débarrasse

 Marianne de Muller, 1955, laurée
 La Marianne de Giscard
 Hersilie, détail du tableau de David

Marianne a rencontré l'Europe - juillet 2013 elle s'en débarrasse
David, Les Sabines


En 1982, nouveau choix classique, simple et efficace, la Marianne de François Mitterrand reprend le tableau de Delacroix, la Liberté guidant le peuple. Le timbre reprend la formule "République française".

Marianne a rencontré l'Europe - juillet 2013 elle s'en débarrasse

La première Marianne de Chirac comporte déjà des étoiles censées symboliser la construction européenne, assorties de la mention RF et de la devise républicaine.
Marianne a rencontré l'Europe - juillet 2013 elle s'en débarrasse

En 2005, sous le deuxième mandat de Chirac, la Marianne doit rencontrer le thème de l'environnement, dans le cadre d'un concours. Elle se transforme en plante verte, et retrouve l'intitulé France, abandonnant pour la deuxième fois depuis Vichy, l'intitulé "République française". Plus d'étoiles européennes cependant.
Marianne a rencontré l'Europe - juillet 2013 elle s'en débarrasse

Nous voilà sous Sarkozy, et un nouveau concours est organisé. Le thème en est - guess what ? - Marianne et l'Europe.
Voici donc le timbre choisi par Nicolas Sarkozy :
Marianne a rencontré l'Europe - juillet 2013 elle s'en débarrasse

Comme sous Chirac et Giscard, la République française est laissée de côté, au profit de la mention France.
Comme nous l'indique la Poste "Avec son visage entouré d’étoiles elle nous rappelle qu’elle n’est plus seulement Française mais aussi Européenne. [...] En cette année qui voit la France présider l’Union européenne à partir du 1er juillet, Marianne se devait de devenir européenne."
Un exemple de plus de logomachie européenne, qui pose un réel problème sur ce qu'est l'Europe. Nous aurions dû être vigilants : la citoyenneté européenne que l'on nous a refilée n'était pas gratuite, à terme elle remplacera la citoyenneté française et républicaine. C'est ainsi que Marianne deviendra pleinement européenne. Reste à voir si cette fusion est possible sans résistance...
Revenons au timbre. Le portrait de Marianne, en lui-même, est plutôt réussi, un menton un peu carré, mais c'est un beau timbre, rien à voir avec l'échec du timbre de 1971, où Marianne se cachait dans un coin - ci-dessous.
Marianne a rencontré l'Europe - juillet 2013 elle s'en débarrasse

Le problème de ce timbre réside évidemment dans les étoiles censées figurer l'Europe.
Dans une bande dessinée, un personnage qui vient de se prendre une porte n'aurait pas été représenté autrement (cf. les deux images ci-dessous, extraites du très sympathique site d'un amateur consacré à la narration en BD)

Marianne a rencontré l'Europe - juillet 2013 elle s'en débarrasse
Les Psys (c) Dupuis

Marianne a rencontré l'Europe - juillet 2013 elle s'en débarrasse
Le secret de la licorne (c) Casterman


Le dessinateur de la Marianne de 2008, Yves Beaujard, a précisé qu'une étoile est venue se placer devant la cocarde républicaine. Peut-être est-ce pour cela que Marianne a finalement l'air plus embrumée que vraiment  désireuse de se coltiner un avenir européen.


Par ailleurs, cette Marianne fait partie de la série des Marianne qui regardent vers la gauche, ce qui, graphiquement, symbolise plus le passé que l'avenir. Marianne a-t-elle peur ? Veut-elle vraiment y aller dans son avenir européen ? Il y a un vrai doute.
Bref, je ne sais pas s'il s'agit d'un choix conscient de la part de Sarkozy, mais le message qu'il fait circuler sur nos courriers (deux à trois milliards de ce timbre sont imprimés chaque année tout de même) est très ambigu. La rencontre de Marianne et de l'Union européenne n'a pas l'air de s'être bien passée, et Marianne semble plus d'une victime d'une tournante, encore choquée, que d'une personne qui a rencontré l'inspiration...
En tout cas, on peut trouver, au final, assez admirable que la République française, consciemment ou non, fasse circuler par millions une vignette qui est un véritable tract anti-européen à lui tout seul.


Pour ce qui est de Nicolas Sarkozy, en matière de message symbolique raté, il y avait déjà sa photo officielle, commentée brillamment par André Gunthert. On ne peut donc exclure qu'il n'ait même pas fait attention à ce qu'il faisait.

Marianne a rencontré l'Europe - juillet 2013 elle s'en débarrasse

 Je retiens quelques lignes d'André Gunthert, dont le blog est plus que recommandable :
La vraie nouveauté du traitement de ce portrait est son caractère expéditif: un photographe choisi parce qu'on l'avait sous la main, vingt minutes de pose, des accessoires disposés sans réflexion – tout indique que cet acte symbolique a été négligé. A la différence d'une opération de communication bien menée, un portrait officiel est une obligation qui ne peut produire aucun bénéfice politique immédiat. Il agit sur un autre registre, celui de la représentation. Cette dimension n'est pas familière au nouveau président, distancé sur ce terrain par ses prédécesseurs. Pourtant, le travail de la représentation, comme l'explique Louis Marin, est consubstantiel à l'exercice du pouvoir, qui est la transformation de la force en signes.

Portrait de drapeaux avec président plutôt que portrait de président avec drapeaux, la photo est ratée. Sarkozy pense probablement que c'est sans gravité. C'est faux. Maintenant qu'elle existe, cette photographie est plus forte que lui. Personne ne peut plus rien y changer. Telle est la puissance des signes du pouvoir, avec laquelle on ne plaisante pas. Maîtriser la représentation – et non seulement la com' – fait partie du travail d'un chef de l'Etat. La photo de Warrin montre que Nicolas Sarkozy ne sait pas encore manipuler les emblèmes de sa fonction. Ce faisant, il nous révèle qu'au plus secret de lui-même, il n'est pas (encore) président. Il y a des jouets qu'il ne faut pas mettre entre toutes les mains.



Pour excuser Nicolas Sarkozy, il faut tout de même signaler l'extrême difficulté qu'il y a à mélanger une symbolique républicaine à une symbolique européenne. La symbolique européenne est en effet entièrement catholique, allemande et mercantile, difficilement compatible avec des symboles républicains et laïques.
Histoire à suivre.
On peut s'interroger en attendant pour savoir si le prochain timbre usuel sera :
1. Une Marianne ou autre chose ?
2. Une Marianne laurée ou à bonnet phrygien ?
3. avec la mention République française, France (ou Union européenne) ?
Comme il a toutes les chances de sortir d'une entreprise privée, ce sera peut-être décidé par un conseil d'administration, après forces tests quali, sondages et positionnement marketing sophistiqué (un footballeur, l'Abbé Pierre ?)
Les paris sont ouverts.


Post(e) scriptum :
Merci à un commentateur qui m'a donné l'adresse, que j'avais cherchée en vain, des autres projets "Marianne et l'Europe". Ils sont donc là : http://www.blog-philatelie.com/2008/06/marianne-de-sarkozy-meilleures-photos.html
Pour ma part, j'aurais choisi l'un des trois projets qui n'ont pas essayé de mêler trop maladroitement les symboles français et européens (par ailleurs, je n'aurais évidemment pas choisi le thème Marianne et l'Europe...) :

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 Un peu trop énigmatique sans doute ; fait penser à Folon.
 Peut-être le meilleur dans le contexte imposé. On pouvait même penser que Marianne se débarassait des étoiles...
 J'aime bien cette Marianne vivante et  taquine face à ce qui reste un simple bout de tissu, comme tout drapeau, européen ou pas...

Juillet 2013 : sortie du timbre hollandien. L'avantage d'avoir rédigé ce texte il y a quatre ans, c'est que je vais pouvoir éviter d'évoquer les femen directement et situer ce timbre par rapport aux précédents.

Le timbre hollandien d'abord, admirons le :

timbre.jpg

Graphiquement, il est pas mal. C'est une question de goût mais j'aime bien.

Je reprends les interrogations formulées en fin de mon billet antérieur :

On peut s'interroger en attendant pour savoir si le prochain timbre usuel sera :
1. Une Marianne ou autre chose ?
2. Une Marianne laurée ou à bonnet phrygien ?
3. avec la mention République française, France (ou Union européenne) ?

Comme il a toutes les chances de sortir d'une entreprise privée, ce sera peut-être décidé par un conseil d'administration, après forces tests quali, sondages et positionnement marketingsophistiqué (un footballeur, l'Abbé Pierre ?)

C'est donc une Marianne déjà. Ensuite elle est à bonnet, plutôt républicaine. J'avais oublié de mettre cela en question mais c'est une variable heureuse : elle regarde à droite, donc pas en arrière.

Enfin, elle porte la mention France. Jusqu'ici il n'y avait que des gouvernements de droite qui avaient respecté les recommandations de l'Union Postale Universelle, qui souhaite "France" plutôt que "République Française".

Surprise surtout, la Marianne s'est débarrassée de ses étoiles européennes.

Bon débarras.

J'aime bien les enfants qui jouent, ça a un petit côté Léo Lagrange, et l'arbre va bien avec le tarif écolo.

On pourrait donc estimer que dans l'ensemble, Hollande s'est pas mal sorti de l'exercice, n'était l'abandon de la mention "République Française".

Mais voilà que, patatras, le scandale femen vient jeter l'opprobre sur ce timbre prometteur. Le modèle de la Marianne n'est donc, de l'avis du graphiste, ni un footballeur, ni l'abbé Pierre, mais Inna Shevchenko, fondatrice des Femen.

2984437_femen-marianne_640x280.jpg

A mon sens, pas vraiment de quoi fouetter un chat mais plutôt l'occasion de rappeler le mal qu'a Hollande, comme l'avait Sarkozy, à incarner sa fonction, jusque dans les symboles.

holl2.jpg

A propos de la photo officielle de Hollande cette fois-ci , André Gunthert évoquait "un portrait amateur pour président normal". Et sa conclusion sur la photo est valable pour le timbre, il suffit de remplacer "portrait de président" par "timbre courant" : "En tant que portrait officiel de président de la république, le cliché risque de susciter la déception, voire les quolibets".

Gagné pour le timbre aussi, timbre amateur pour président normal - amateur parce que si Hollande avait entendu faire preuve d'ouverture et d'internationalisme en choisissant une Marianne ukrainienne, il aurait fallu l'annoncer, pas laisser l'auteur dévoiler son inspiration sur tweeter.

*

Les présidents de la République qui acceptent l'Europe et le jeu européen sont condamnés à faire les pitres. Il est logique que, sur le registre symbolique, ils n'arrivent pas à incarner quoi que ce soit de fort, ni dans leur portrait personnel, ni dans le timbre censé donner figure à la République.

De quoi donner raison à Mitterrand : "Je suis le dernier des grands présidents... Enfin, je veux dire, le dernier dans la lignée de De Gaulle. Après moi, il n'y en aura plus d'autres en France... A cause de l'Europe... A cause de la mondialisation... A cause de l'évolution nécessaire des institutions..."

Il convient d'ajouter qu'il n'a été grand que par l'erreur qu'il fît en confiant les clés de la maison à une construction politique abracadabrantesque.


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