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My Dark Angel – Chapitre 30

Par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete
Elijah

La nuit était tombée depuis longtemps déjà. Je consultai pour la dixième fois en moins de cinq minutes ma montre et lançai un regard noir en direction de son téléphone que cette écervelée avait oublié sur la table basse du salon. J’avais passé la journée à organiser notre futur départ et à m’acquitter de ma promesse de veiller à l’avenir de Charlène. J’avais  ouvert à la serveuse un compte en banque conséquent et trouvé un appartement loin de son quartier. Il ne restait plus qu’à convaincre le gérant d’un restaurant ou un bar de la nécessité d’engager une autre employée et Angel n’aurait plus à s’inquiéter pour son amie. Delanay avait également respecté ses engagements. Un policier ne quittait pas la porte de la chambre de la jeune femme. De telles précautions ne manquèrent pas de m’étonner compte tenu du peu de crédit que l’on apporte généralement à ce genre d’affaire. Le lieutenant faisait manifestement preuve d’un zèle tout particulier. Sans doute espérait-il encore me faire changer d’avis concernant ce vampire qui avait tué sa femme. Bien qu’ayant reçu de la part de Derek la confirmation de ses dires, je ne comptais pas y donner suite. Ma priorité était dorénavant tout autre. Et d’ailleurs ma priorité qui aurait dû être rentrée depuis des heures de l’hôpital se faisait sérieusement attendre.

J’avais consenti à la laisser seule auprès de Charlène sous la protection de l’agent de police en faction et avait « convaincu » ce dernier de la raccompagner jusqu’à un taxi en fin d’après-midi. De toute évidence, elle en avait décidé autrement une fois de plus. Je voguai quelque part entre une vive exaspération et une inquiétude grandissante au fur et à mesure que les minutes s’égrenaient.  Le cliquetis de ses clés se fit à peine entendre derrière la porte que j’ouvris cette dernière avant qu’elle n’ait eu le temps d’en tourner la poignée. Elle sursauta et lâcha les sacs qui l’encombraient et entravaient ses mouvements.

— Où étais-tu passée ? lui hurlai-je dessus avant qu’elle n’ait eu le temps de se remettre de sa surprise.

Elle ramassa ses paquets avec des gestes d’impatience et me jeta un regard furibond.

— J’ai à nouveau une furieuse envie de t’appeler « papa » tout d’un coup. Tu te rends compte à quel point c’est perturbant ? m’acheva-t-elle en me bousculant pour rentrer.

Je grimaçai et ravalai aussitôt les «  Tu te rends compte de l’heure qu’il est ? » et autres phrases du même acabit qui me démangeaient et qui auraient fini de m’enfoncer définitivement.

 — Je m’inquiétai, conclus-je finalement de manière posée et faussement détachée. Tu aurais dû rentrer depuis longtemps.

— J’avais des choses à faire et je ne voulais pas t’avoir dans les pattes, me lança-t-elle dans son dos alors qu’elle se dirigeait à grands pas vers la chambre. Je la suivis, intrigué et, il fallait bien l’avouer, passablement inquiet.

Et j’avais raison.

Je me figeai sur le seuil. Elle brandissait fièrement d’une main un jean, qui de toute évidence n’était pas pour elle, et de l’autre un pull à la coupe et à la couleur sans doute très tendance mais qu’il était hors de question que je porte un jour. J’avais complètement oublié cette soirée chez Derek. Manifestement, pas elle.

— Ni pense même pas, la rabrouai-je avant qu’elle n’ait eu temps d’ouvrir la bouche.

— Pourquoi ? geignit-elle en laissant retomber ses deux bras et les deux choses immondes qu’elle tenait.

Elle affichait une moue si dépitée que j’en manquai de perdre mon sérieux.

— Moi vivant, tu ne me feras jamais porter ce genre de chose.

— Tu es déjà mort, je te rappelle ! répliqua-t-elle vivement en jetant les vêtements sur le lit d’un geste d’exaspération.

— Raison de plus : j’ai une certaine image de marque à respecter. Je ne pourrais plus jamais intimider Derek si j’arrivais habillé de cette manière chez lui. Et de plus, je n’ai pas foncièrement envie de me rendre à cette soirée.

Une réelle expression de déception assombrit aussitôt son visage.

— Eh bien moi, j’en ai envie et j’irai avec ou sans toi.

Elle croisa les bras sur la poitrine d’air déterminé et attendit ma réponse sans ciller. Devant son obstination, je soupirai d’agacement.

— Très bien. Mais il est hors de question de porter ces choses, capitulai-je en désignant d’un geste vague les vêtements étalés sur le lit.

~*~

Nous arrivâmes à la soirée avec deux bonnes heures de retard. A peine avions-nous mis le pied hors du taxi que la musique beaucoup trop forte qui s’échappait du loft de Derek m’agressa les oreilles. Avant même d’être parvenu à son étage, j’avais une furieuse envie de faire demi-tour. Ce que j’aurais sans doute fait si Angel ne s’était pas accrochée à mon bras, devinant sans doute, mes projets de fuite imminente.

— Il te va très bien, décréta-t-elle avec sourire enjôleur.

 Elle me flatta le torse et le pull que j’avais finalement consenti à mettre après d’âpres négociations qui avaient fini en odieux chantage. Lorsqu’elle était sortie de la salle de bain avec une robe totalement indécente qu’elle menaçait de porter si je ne faisais aucune concession, j’avais fini par céder. Deux fois dans la même soirée : mon ego en avait pris pour son grade.

Le monte-charge qui tenait lieu d’ascenseur s’arrêta dans un bruit métallique assourdissant qui masqua le grognement de contrariété que je n’avais pu réprimer. Il aurait pu couvrir également son ricanement victorieux si mon ouïe fine ne l’avait pas perçu malgré tout. Je préférai faire comme si de rien n’était. Je trouverais bien une vengeance adéquate à un moment ou un autre. Comme je l’avais craint, l’endroit grouillait de monde. Les invités se pressaient même jusque sur le palier qui donnait sur une coursive extérieure sur laquelle ils s’alignaient verre à la main et cigarette à la bouche. Nous dûmes nous faufiler parmi une foule compacte qui parlait horriblement fort pour couvrir ce qui tenait lieu de musique, mais qui à mon humble avis devait être une torture infligée aux âmes perdues dans l’antichambre de l’enfer que nous tentions de franchir.

— Quel est l’adjectif que tu as employé déjà pour qualifier les soirées de Derek ? me hurla Angel pour se faire entendre alors que je la tirai par la main pour atteindre la porte d’entrée.

— «  Légèrement excessives », lui rappelai-je.

Je l’entendis éclater de rire. Un doux son à mes oreilles au milieu de cette cacophonie. Cela valait finalement quelques misérables concessions.

Dans la grande et haute salle du loft, l’impression de multitude s’estompa quelque peu. Nous cherchâmes en vain le maître des lieux du regard parmi les invités qui se trémoussaient sur une piste de danse improvisée au milieu de la pièce ou qui s’étaient  regroupés autour de petites tables rondes et hautes disposées ça et là pour l’occasion. Derek avait littéralement transformé son appartement en boite de nuit. Un bar avait été monté et  occupait une grande partie d’un pan de mur devant une vaste bibliothèque dont les étagères étaient remplies d’une impressionnante collection de disques vinyle héritée de son père. La chaleur qui régnait dans l’endroit était étouffante et les fenêtres largement ouvertes malgré le froid qui régnait  dehors.

— Tu veux boire quelque chose ? lui proposai-je en attendant de mettre la main sur Derek.

Elle acquiesça et je l’entraînai jusqu’au bar en zigzaguant entre les groupes qui conversaient dans ce périmètre stratégique. J’hélai l’un des serveurs afféré à déboucher les bouteilles de champagne qui se vidaient à un rythme vertigineux. Lorsque le jeune homme blond se tourna vers nous, une exclamation de surprise échappa à Angel.

— Brian ? Qu’est-ce que tu fais ici ?

Le barman du Cheetah’s Club lui adressa un large sourire et se contenta de m’adresser un signe de tête pour simple salut.

— Tu es la dernière personne que je m’attendais à voir dans un endroit pareil ! Le club est fermé aujourd’hui, tu le sais bien. J’en profite pour faire un petit extra, lui expliqua-il en posant deux coupes devant nous pour les remplir du vin pétillant.

Il s’accouda au bar et avança le buste pour s’approcher d’elle.

— Je suis allé voir Charlène cet après-midi. Ils ne savent toujours pas quand ils vont la sortir de ce coma artificiel, reprit-t-il en haussant la voix pour couvrir l’improbable morceau de danse music que le DJ engagé pour l’occasion venait de lancer.

— Comment se fait-il que vous ne vous êtes pas croisés? m’étonnai-je.

— On a dû se manquer, répliqua Angel dans un haussement d’épaules indifférent.

— J’ai appris que Tony était allé la voir. Ce type n’a vraiment aucune honte ! J’espère qu’un jour ou l’autre quelqu’un finira par faire payer ce salopard ! s’indigna le barman.

Angel me lança un coup d’œil à la dérobée avant de porter son attention vers l’autre extrémité du bar.

— Derek est là, me fit-elle en désignant l’avocat qui venait de s’installer.

Derek était nonchalamment accoudé sur le comptoir en plein discussion avec une jeune femme brune au décolleté provocateur dans lequel son regard lorgnait sans vergogne à intervalles réguliers. Entre deux plongées, celui-ci finit par se poser sur nous. Il prit aussitôt congés pour venir notre rencontre avec un sourire éclatant de provocation.

—Tu as réussi à ce qu’il abandonne la cravate pour une soirée. Bien joué ma belle ! félicita-t-il Angel en me toisant de la tête aux pieds avec une expression sarcastique des plus horripilantes.

Il ignora mon regard sciemment impassible pour la saluer de manière démonstrative. Je fus quelque peu surpris de voir qu’elle se laissait étreindre avec aussi peu de retenue sans se rebiffer.

— Tu es superbe, la complimenta-t-il en écartant ses bras pour admirer  la robe noire qu’elle avait finalement choisi de mettre et qui épousait des courbes douces qui s’étaient dessinées au fil des semaines chassant sa maigreur presque maladive des premiers temps.

Ses joues s’empourprèrent légèrement sous le compliment. Je ne pus m’empêcher de repenser à ce vernissage quelques mois plus tôt au cours duquel ce genre de remarque avait provoqué chez elle une réaction des plus renfrognées. La jeune femme constamment sur la défensive et mal dans sa peau paraissait bien loin maintenant. Elle eut un peu rire enjoué et laissa le regard de l’avocat l’admirer sous toutes les coutures lorsqu’il la fit tournoyer sur elle-même.  Le portrait que Derek avait brossé d’elle quelques jours auparavant ne m’avait jusqu’alors jamais paru aussi vrai. Elle s’était épanouie au fil des semaines. Sans ces fardeaux qui l’accablaient depuis si longtemps, elle avait retrouvé une assurance et un aplomb  désarmants qui ne la rendait que plus désirable et avaient finalement vaincu mes dernières barrières morales.  Mon avocat n’était de toute évidence pas non plus insensible à son charme. Il la détailla en connaisseur et ne tarda pas à me planter là pour l’entraîner sur la piste de danse sans me demander mon avis. Elle protesta quelques secondes, prétextant qu’elle ne savait pas danser puis se laissa convaincre.

Elle fut ainsi accaparée une bonne partie de la soirée, dansant, s’entretenant avec les autres invités, riant aux plaisanteries des jeunes gens travaillant pour le cabinet d’avocats de Derek. J’en aurais sans doute pris ombrage si elle n’avait eu de cesse de me chercher du regard, tentant de capter le mien lorsque je me laissais finalement aller à quelques conversations avec certains des invités. Au fil des heures, l’ambiance se fit plus intime. Beaucoup des convives étaient partis. Il ne restait plus que quelques groupes épars discutant près du bar ou des fenêtres largement ouvertes pour rafraîchir l’atmosphère moite et surchargée d’odeurs et de parfums de toutes sortes. Enfin débarrassé d’une discussion assommante avec une femme qui s’était mise en tête de m’expliquer les subtilités du code civil américain, je m’adossai à la rambarde de fer de l’escalier  pour  observer Angel entre les quelques irréductibles danseurs qui se mouvaient nonchalamment sur un air de blues lancinant. Elle était assise dans un coin et conversait avec une jeune femme que j’avais à plusieurs reprises croisée dans les couloirs du cabinet d’avocats de Derek. Un verre à la main, les deux femmes riaient de bon cœur comme si elles se connaissaient depuis longtemps.

— Elle a fait la conquête de pas mal de mes collaborateurs ce soir, constata Derek en s’approchant de moi dans mon dos.

— Effectivement, pour quelqu’un qui fuyait le monde comme la peste, c’est un véritable exploit.

Derek se contenta d’acquiescer. Il porta sa coupe de champagne à ses lèvres sans quitter les deux femmes des yeux.

— Je lui ai proposé la place de réceptionniste qui va bientôt se libérer au cabinet. Ce n’est peut-être pas le métier de ses rêves mais je pensais que ce serait une bonne chose pour elle de changer de milieu professionnel et de repartir sur de bonnes bases, loin de ce bouge dans lequel elle a bossé, proposa-t-il de manière inattendue.

Je dévisageai son profil d’un air dubitatif.

— C’est inutile. Je ne compte pas m’éterniser dans cette ville. Dès que son amie sera rétablie, je l’emmène loin d’ici, répliquai-je.

— C’est aussi ce qu’elle m’a dit.

Ses paupières s’abaissèrent légèrement et je le vis prendre une profonde inspiration.

— J’ai l’impression que je ne suis pas celui qui te manquera le plus, le provoquai-je sans doute de manière moins détachée que je l’aurais voulu.

Il me toisa avec un air outré.

— Je l’apprécie beaucoup. Vous n’allez pas me le reprocher tout de même ?

— Bien sûr que non et je ne te remercierai jamais assez pour tout ce que tu as fait, répondis-je pour tempérer ma réaction trop vive.

Il chassa ma remarque d’un revers de main et vida sa coupe d’un trait.  Un bruit de bris de verres attira notre attention vers le bar derrière lequel Brian commençait à remballer les cadavres de bouteilles. Le jeune homme nous jeta un coup d’œil à la dérobée tout en ramassant les tessons des coupes qui lui avaient échappés.

— Tu savais que tu avais engagé le barman du club ? demandai-je à Derek en désignant l’homme d’un geste du menton.

— Non, je l’ignorai. Je fais toujours appel à la même boîte pour organiser mes soirées mais le personnel change sans arrêt. Quel est le problème avec lui ?

— Probablement aucun mais je trouve simplement la coïncidence étrange. C’est lui qui est venu avertir Angel pour Charlène. Il s’est même déplacé en personne alors que je ne pense pas qu’Angel se soit risqué à donner sa nouvelle adresse aux employés du bar.

— Vous croyez qu’il a voulu l’attirer là-bas ? Pourquoi ?

Je me passai une main exaspérée sur la nuque.

— Je ne sais pas. Angel me certifie que personne n’est venu voir Charlène en dehors de Brian et elle. Cet après-midi quand je l’ai accompagnée à l’hôpital, nous avons cherché son téléphone dans son sac mais nous ne l’avons pas trouvé. Je n’imagine pas cet abruti de Tony s’emparer du portable de Charlène après l’avoir agressée en projetant de s’en servir pour attirer Angel à l’hôpital en mon absence. Cela me semble un peu trop….

— …subtil pour lui ? acheva Derek.

— Oui, voilà. Cela ne colle pas avec le personnage.

— Si le barman est ici, c’est que le club est fermé ce soir, non ?

— A quoi est-ce que tu penses ?

—Vous ne pouvez pas pénétrer chez eux mais vous pouvez toujours aller faire petite inspection du bar. Et puis si à tout hasard, ce fumier de Tony s’y trouvait, peut-être lui rappeler quelques règles élémentaires de courtoisie. En évitant de le tuer bien sûr parce qu’on ne serait pas la merde sinon.

— Crois-moi ce n’est pas l’envie qui me manque mais je dois me montrer prudent. Je ne sais pas si Delanay me fait toujours suivre. Ce n’est pas le moment de…

— Qu’est-ce que vous complotez ? nous interrompit Angel que nous n’avions pas vu s’approcher.

—J’essayais de convaincre le vieux d’aller se coucher et de te laisser ici pour que je puisse te séduire en tout impunité mais j’ai bien peur d’avoir manqué de subtilité sur ce coup et il se doute de quelque chose, répliqua Derek avec un sens de la répartie incongrue dont il avait le secret.

Je hochai la tête de consternation. Quant à Angel, que les pitreries de l’avocat amusaient visiblement plus que moi, elle imprima sur son visage une expression faussement compatissante digne de celle que l’on adresse aux malades atteints d’un mal incurable.

— Il est effectivement tard et nous allons rentrer, décrétai-je pour mettre fin à ce moment de complicité qui m’exaspérait quelque peu.

Nous prîmes difficilement congés de notre incorrigible hôte qui nous saoula de paroles jusqu’à ce que les portes du monte-charge ne se referment sur nous.

~*~

Dans le taxi qui nous ramenait, Angel resta silencieuse. Blottie contre moi et le nez niché dans mon cou, je sentais sa respiration calme et régulière. Notre arrivée devant l’immeuble la tira du sommeil dans lequel elle avait sombré peu à peu.  Elle ne protesta pas quand, dans le hall de l’immeuble, je passais un bras sous ses jambes pour la porter jusqu’à l’appartement. Dans ce qui était désormais notre chambre, elle me laissa la dévêtir, indolente, les paupières mi-closes, attentive à chacun de mes gestes. Un sourire malicieux se dessina sur ses lèvres pleines lorsqu’elle fut presque nue à l’exception de ses sous-vêtements en dentelle. Je tâchai d’en faire abstraction pour ne pas prendre de vue mes projets de la nuit. Ses projets à elle en revanche devinrent subitement très clairs quand elle saisit le col de mon pull pour m’attirer brusquement à elle. J’esquivai sa bouche tentatrice et la soulevai de terre pour la porter sur le lit. Je rejetai d’un geste les couvertures pour les rabattre aussitôt sur elle. Elle se redressa vivement en essayant de se dépêtrer de cette barrière que je maintenais entre nous.

— Qu’est-ce que tu fais ?! s’agaça-t-elle d’être bordée comme une enfant.

— Je dois sortir.

Elle fronça les sourcils à la fois vexée et surprise.

— Maintenant ?

— Je n’en ai pas pour longtemps, la rassurai-je en déposant un baiser sur son front.

Elle se laissa retomber sur l’oreiller et me tourna ostensiblement le dos en poussant un grommellement de contrariété qui m’arracha un sourire. J’éteignis la lumière du plafonnier et restai un instant sur le seuil à la contempler. Sa peau blanche et ses cheveux clairs ressortaient dans la pénombre de la chambre. Il me tardait de plus en plus de l’emmener loin de New-York et de lui offrir une vie parsemée de soirées aussi insouciantes que celle de ce soir et de lui faire découvrir un monde où il y a tant à voir et à apprendre. Mais il y avait encore quelques points à régler avant cela.

J’évitai comme chaque nuit l’entrée principale de l’immeuble et usai de la vitesse que me conféraient mes pouvoirs pour échapper à la vigilance des hommes de Delanay. Sachant ce que j’étais, je me demandais encore pourquoi ce dernier s’était obstiné à me faire surveiller de la sorte. Il devait bien se douter que je pouvais déjouer quand bon me semblait cette minable surveillance. J’arrivai aux abords du Cheetah’s Club peu après. Il était près de quatre du matin déjà. L’enseigne vulgaire n’éclairait pas la sombre façade à la vitrine peinte de noir. En revanche, la lumière bleue des gyrophares de police balayait cette dernière et illuminait la façade de l’établissement. Les cordons de sécurité empêchaient les quelques rares passants présents à cette heure de s’approcher. Quelques SDF réveillés par l’arrivée des nombreux véhicules et des voisins curieux descendus  voir de quoi il en retournait se pressaient aux abords de la zone en grelottant de froid sous un crachin désagréable.

Je m’approchai tout en restant suffisamment en retrait. Les agents de la police scientifique effectuaient un ballet incessant entre l’intérieur et l’extérieur de l’établissement. Je tentai de capter des brides de conversations pour comprendre ce qui était en train de se dérouler sous mes yeux. Ce furent les propos qu’échangèrent deux inspecteurs de police qui m’apportèrent la confirmation de ce que je régnais. Les deux hommes, calepin à la main, faisaient le point sur les informations récoltées.

— D’après le médecin légiste, le type aurait été tué dans l’après-midi de deux balles dans la poitrine avec sa propre arme, un 45 Smith&Wesson que l’on a retrouvé sur place.  Pas de témoins ou d’effraction visible. La porte de la sortie de secours donnant sur l’arrière de l’établissement était restée entrouverte. C’est une des danseuses du club qui a trouvé le corps un peu avant minuit, expliqua l’un d’eux en désignant du menton une jeune femme blonde un peu à l’écart qui resserrait contre elle les pans de son manteau pour dissimuler sa tenue légère.

— Qu’est-ce qu’elle foutait là  si le club était fermé ce soir ? s’interrogea l’autre.

— Le patron avait des activités annexes qui ne connaissent pas les jours de congés, ironisa le premier avec sourire goguenard.

— On a autre chose ?

— On va commencer par chercher parmi les employés. Il y a fort à parier que beaucoup voulait sa peau. Delanay m’a parlé d’une autre piste : un suspect dans une autre affaire qu’il faisait surveiller et qui se serait retrouvé dans le coin cet après-midi. Il est reparti au poste pour vérifier.

La mention de Delanay me crispa aussitôt. Mais certainement moins que ce doute qui venait subitement de m’assaillir. Un suspect ?


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