Les Damnés: La Malédiction des Petrova – Chapitre XXXIV

Noura fut brutalement tirée de son engourdissement lorsque Neklan retira le pieu et  la releva sans ménagement pour chercher à capter son regard.

- Où est Anya ? demanda-t-il en maintenant fermement le menton de la jeune femme qui tentait de se dérober en vain du regard de l’originel.

- Allez au diable ! souffla-t-elle en comprenant que son pouvoir d’hypnose semblait être inefficace.

Le vampire lâcha  prise, contrarié par la résistance de la jeune femme.

- Pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas ? interrogea Véra.

- La verveine que le conseil lui a administrée doit encore faire effet. C’est très ennuyeux… Enfin surtout pour vous, Noura, parce que si vous vous obstinez à être aussi peu coopérative, je vais être obligé d’employer d’autres moyens …disons plus douloureux, menaça-t-il.

Noura grimaça et retint sa respiration en sentant à nouveau la pointe du pieu s’enfoncer dans son flanc droit. Elle sentit alors monter en elle une irrépressible colère qu’elle ne tenta plus de dominer. Elle n’aurait su dire lesquels de ses pouvoirs, de vampire ou de sorcière, prirent le dessus. Toujours est-il que l’originel fut violemment projeté contre la rambarde de l’escalier qui céda dans un grand fracas sous l’impact.  Noura ignora le grognement de rage de Neklan et ses invectives pour se concentrer sur la faible plainte étouffée qui provenait de l’une des chambres et qui parvenait alors à ses oreilles.  En reconnaissant les pleurs de Maïa, sa colère fit place à une vive inquiétude. Elle se précipita vers les escaliers au milieu desquels Neklan se dressait, furieux, avec l’idée de l’en  faire bouger aussi facilement qu’elle l’avait fait quelques minutes plus tôt. Mais avant qu’elle n’ait pu mettre un pied sur la première marche, une douleur fulgurante lui transperça le crâne au point de la faire vaciller et s’effondrer sur les marches.

- Quelle ironie tout de même… Vos pouvoirs de vampire sont aussi votre plus grande faiblesse, ricana Véra en la maintenant sous son emprise plus longtemps que nécessaire.

Lorsque la douleur s’estompa enfin, Noura leva les yeux vers le vampire qui descendait lentement les marches. Arrivé à sa hauteur, il s’accroupit devant elle pour la fixer avec une détermination qui ne laissait aucun doute sur ce que le vampire avait alors en tête :

- Je crois que finalement nous allons nous passer de vos services, souffla-t-il en la saisissant brutalement par la gorge pour la relever.

 Ses doigts s’enfonçaient inexorablement dans sa chair et lui arrachèrent un gémissement qui n’ébranla pas le vampire. Malgré ses vaines tentatives pour s’en faire, ce dernier accentua un peu plus la pression sur le cou délicat de la jeune femme.

Alors que  Neklan s’apprêtait à en finir, il relâcha subitement Noura qui s’effondra au bas de l’escalier. Le souffle coupé, elle resta agenouillée au sol en toussant. Le vampire, les sens aux aguets, se tourna vers la porte d’entrée qui s’ouvrit au même moment. La silhouette imposante d’un homme apparut dans l’embrasure de la porte, à moitié dissimulée par l’obscurité qui s’était soudainement abattue au dehors à cause de l’orage imminent.

En  voyant pénétrer l’intrus dans la salle, confiant et sans la moindre hésitation, Véra esquissa un mouvement que Neklan interrompit d’un geste autoritaire. La main posée sur son cou endolori, Noura se redressa péniblement  et regarda le nouveau venu avec une réelle consternation. Elle leva les yeux au ciel comme pour implorer une quelconque explication divine à un tel acharnement du destin.

- Je suis étonné de te voir ici. Je pensais que tu ne voulais pas te mêler de tout cela, commença Neklan en direction de son frère qui referma tranquillement la porte derrière lui avant de répondre.

- J’ai changé d’avis après ton départ. Je suis venu prêter main forte, répondit Stanislas en s’approchant lentement pour s’arrêter à la hauteur de Véra qu’il dévisagea froidement.

 - C’est une alliée, expliqua Neklan en surprenant le regard hostile de son frère ainé sur la sorcière.

Le cadet baissa les yeux et reporta à nouveau son attention sur Noura qui cherchait désespérément une échappatoire à ce bourbier. Elle renonça très vite à l’idée d’utiliser ses pouvoirs qui, bien que supérieurs à ceux de Véra, étaient également incontrôlables dans l’état d’esprit dans lequel elle se trouvait et risquaient de mettre les enfants en danger.

-  Je suppose qu’après ce qu’elle t’a fait, tu vas vouloir t’en charger toi-même ? demanda-t-il en descendant les quelques marches qui le séparaient d’elle.

Noura recula instinctivement. Mais cernée de toute part, elle se retrouva rapidement à portée de main de Neklan qui la saisit violemment par la nuque et la poussa sans ménagement en direction de son frère ainé.

La jeune femme se retrouva nez à nez avec le vampire. Elle le défia du regard en tâchant de dissimuler au mieux l’angoisse qui lui nouait la gorge face à ce visage impassible qui ne laissait paraître aucune émotion.

- Finissons-en, s’impatienta Véra en s’approchant des deux vampires pour rompre le face à face silencieux.

Stanislas lui jeta un bref coup d’œil indifférent avant de reporter à nouveau son attention sur Noura :

- Oui finissons-en. Je me suis toujours demandé quel effet cela faisait d’arracher le cœur d’une sorcière.

Joignant le geste à la parole, l’originel, avec une rapidité telle que Noura ne put ne serait-ce qu’esquisser un seul geste, enfonça brutalement la main dans la poitrine de la sorcière. Il l’en ressortit tout aussi rapidement, l’organe sanguinolent dans sa paume….

Quelques minutes auparavant dans la cour de l’auberge…

Lorsqu’Elijah arriva dans l’enceinte de l’auberge, l’orage qui s’était abattu sur le château quelques heures plus tôt menaçait de se déchaîner à nouveau au dessus du village. Il s’arrêta au milieu de la cour, les sens aux aguets, essayant de percer l’obscurité et de comprendre la cause du malaise qui venait de le saisir devant le silence oppressant qui régnait dans ce lieu. Un léger bruissement attira soudain son attention sur l’abri à bois qui jouxtait le bâtiment. Sortant de l’ombre, une silhouette s’avançait rapidement vers lui. En reconnaissant son frère aîné, Elijah se figea. Sur ses gardes, il dévisagea Stanislas lorsque ce dernier arriva à sa hauteur.

-Que fais-tu là ? demanda-t-il soupçonneux et inquiet de sa présence en ces lieux, compte tenu de ce qu’il avait tenté contre les enfants quelques jours plus tôt.

Elìjah avait, certes, essayé de  convaincre ce frère, dont il n’avait jamais réussi à être proche mais dont il reconnaissait le bon  sens et la probité, de renoncer à faire aboutir les projets paternels. Mais il connaissait également l’influence que Viktor exerçait sur ses frères et il redoutait plus que tout, à ce moment là, que ce dernier soit une fois de plus parvenu à s’assurer à nouveau  les services de son fils aîné pour accomplir ses basses besognes.

- Neklan et une sorcière sont à l’intérieur.

Elijah serra les dents et se passa une main sur le bas du visage pour tâcher de contenir sa colère et son inquiétude.

- Notre père leur a donné l’ordre de les tuer. Si ce n’est pas déjà fait, cela ne saurait tarder, continua-t-il.

Elijah repoussa d’un geste impatient son aîné qui s’était planté devant lui et lui barrait le chemin. Mais Stanislas le retint fermement par le bras et l’empêcha de se précipiter à l’intérieur de l’auberge.

- Qu’est-ce que tu fais ? Si tu rentres là dedans de cette manière, c’en est fini d’elle ou des enfants. Laisse-moi t’aider, tenta-t-il de le raisonner.

Elijah se dégagea vivement et approcha son visage de celui de son frère pour scruter ses expressions :

- Comment être sûr de pouvoir te faire confiance après ce que tu as essayé de faire ?

- Tu n’as pas le choix.  Ils ont enfermé les enfants et leur père à l’étage, expliqua-t-il. Noura est coincée au rez de chaussée si elle utilise ses pouvoirs ou si tu débarques de manière inconsidérée, il ne leur faudra pas longtemps, à eux deux, pour s’en prendre aux enfants. Si c’est moi qui entre, ils ne se méfieront pas. Toi, pendant ce temps, passe par derrière et introduis-toi dans la chambre où ils les ont enfermés.

Indécis, Elijah prit un moment pour considérer la proposition. Il se mordit la lèvre avant de répondre :

- Donne –moi ta parole que tu ne t’en prends à Noura malgré ce qu’elle t’a fait.

- Je te la donne. J’aurais fait la même chose à sa place, admit Stanislas. Allons-y maintenant avant qu’il ne soit trop tard.

 Sans plus attendre, Elijah contourna le bâtiment et scruta avec attention chacune des fenêtres de l’étage. Derrière l’une d’entre elle, il vit briller une faible lueur. D’un bond, il sauta sur l’appentis dont la base épousait le rebord des fenêtres de chaque chambre. D’un geste bref, il en fit céder les montants de bois et écarta les deux pans avant de pénétrer à pas de loup dans la chambre plongée dans une semi-obscurité.

Il se figea en voyant, à quelques mètres devant lui, le corps inerte de Milan face contre le sol. Le vampire se précipita  et retourna précautionneusement le jeune homme en priant pour que ce dernier ne soit qu’inconscient. En entendant, un faible gémissement s’échapper de ses lèvres blêmes, Elijah poussa un soupir de soulagement. Il balaya la pièce du regard à la recherche d’Yvan et Maïa mais aucun mouvement ni bruit ne trahissaient leur présence.

De l’autre côté de la porte, un énorme fracas fit résonner les murs. Elijah se fit violence pour ne pas se précipiter hors de la pièce. Sa main posée sur la poignée  de la porte arrêta subitement son mouvement lorsqu’une légère plainte se fit entendre derrière lui. Le vampire tendit l’oreille et tenta de déterminer  l’origine de ces gémissements étouffés. Il  s’arrêta devant une grande malle installée au pied du lit, s’agenouilla devant et lentement en ouvrit le lourd couvercle.

En voyant le visage penché sur elle, Maïa poussa un cri que son frère étouffa aussitôt de sa main en reconnaissant le vampire. Elijah plaqua un doigt sur ses lèvres pour intimer le silence aux enfants avant de prendre la fillette à bout de bras pour la sortir de leur cachette de fortune.

-Papa ? hasarda Yvan en enjambant le rebord de la malle et posant son regard sur Milan qui reprenait peu à peu conscience.

- Il va bien. Ne t’inquiète pas, rassura Elijah en aidant le jeune homme à relever.

Encore abasourdi, Milan se retint volontiers au bras qui le soutenait avant de manquer de perdre l’équilibre lorsque les deux enfants se précipitèrent dans ses jambes.

- Où sont-ils ? demanda le jeune homme en jetant un regard inquiet vers la porte close.

- En bas…

Au même moment au rez de chaussée, Stanislas laissait négligemment tomber au sol le cœur sanglant  qu’il venait d’arracher de la poitrine de Véra.

- Mais qu’est-ce que tu as fait ? hurla Neklan hors de lui.

Abasourdie, Noura contemplait avec effarement la plaie béante qui ornait la poitrine de la sorcière dont le corps sans vie s’était effondré à ses pieds. Elle leva vers le vampire un regard empli d’incompréhension. Elle fut sortie de sa stupeur par une voix familière provenant de l’étage :

- C’est terminé Neklan, décréta Elijah.

Elle se retourna vivement et leva les yeux  vers  le haut des marches, le cœur battant. Elle se sentit soudain soulagée d’un poids énorme et expira longuement avant de concentrer sur Neklan qui s’avançait vers les marches, l’air menaçant:

- Tôt ou tard, père te fera regretter d’avoir pris le parti de Klaus, Elijah, menaça-t-il. Surtout quand il lui se sera occupé lui et que tu devras lui rendre des comp…

Ses dernières paroles se transformèrent en hurlement de douleur en sentant chacun de ses os se briser les uns après les autres.  Les craquements lugubres  firent grimacer Stanislas à qui cette scène rappelait de mauvais et douloureux souvenirs. Le vampire s’écroula au sol et leva vers la sorcière un regard effaré en la voyant se saisir d’un des barreaux brisés de la rambarde.

- Cela ne me fera rien, lâcha-t-il la mâchoire crispée par la douleur.

- Non… mais à moi ça me fera bien fou, décréta-t-elle en enfonçant le pieu improvisé dans la poitrine du vampire.

- Tu n’aurais pas dû  faire ça aussi vite. Maintenant, il va falloir attendre qu’il se réveille pour savoir où se trouve Viktor, regretta Elijah en la rejoignant au bas des marches.

- Je sais où il est.

Le couple se tourna dans un même mouvement vers Stanislas resté en retrait pendant que Noura exprimait sa rancœur envers son frère cadet.

- Il est parti avec la dague de Waleda … chez Klaus.

Noura se figea et agrippa instinctivement le bras d’Elijah :

- Anya… articula-t-elle le souffle court.

- Reste ici avec pour protéger Milan et les enfants. Je retourne là-bas, reprit le vampire qui ne parvenait pas à dissimuler l’angoisse qui l’avait envahi.

Noura acquiesça de la tête avant de jeter farouchement ses bras autour de son cou du jeune homme.

- Promets-moi de me ramener ma sœur saine et sauve,  lui chuchota-t-elle à l’oreille avant de s’écarter.

Devant le  regard suppliant qu’elle lui lançait, Elijah se troubla. Incapable de répondre, il caressa doucement la joue de la jeune femme sur laquelle perlait une larme unique avant de disparaître sans attendre.