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[note de lecture] Anne-Marie Albiach, "Celui des "lames"", par René Noël

Par Florence Trocmé

L'écart et la nudité 

Albiach
La division (menace) du temps pour l'origine -  /  désir démultiplié qui prend les respirations de court  -   dérision du récit - vertical et parallèle -  /  instant trahi (1),  la coupe abrupte du ciel vers la terre, du nombril à la glotte, l'air tournant les lèvres de la bouche vers l'extérieur, donne ici sur une fixité de l'image, la pupille étrécie centrée sur l'axe vertical, fil de l'horizon debout, risque une double perte, celle de l'observateur et de l'étendue, les bruits féconds, les enfantements du monde s'exilent, hors-champ, invisibles, indistincts. La voix s'efface   /   l'interrogation nocturne, les envers de la durée, (2) va de l'extinction mortelle à ce qui l'incarne, plage, marée ascendante et descendante, le plan latéral, horizontal confirme par une alternance des moyens depuis la face cachée des rêves actifs dans la lumière du jour, les éclats, coupe transversale du réel exemplaire de BLANCHEUR ET SEDIMENTS (3). 
L'espace s'adonne fugitivement à la nudité blanche de la lettre (4) et s'interrompt, blanc sur blanc, tons du silence et l'écho des lettres nocturnes concrétisent des rythmes qui intègrent les hauteurs aux tonalités endurées. La page écrit l'épopée de ces instants, leurs venues ne relèvent d'aucune systématique, édictent la liberté du poète en même temps que la permanence de l'espace. Du blanc vient de la nuque au bras, s'unit et rayonne à travers la main du poète sur la page. Une légende tardive, née après les mythes, elle-même perdue, s'incarne dans les mots, l'écrit la porte en amont des échos et des rumeurs mythiques - parmi lesquels Homère a choisi ses héros et ses dieux - lieux où elle élabore les données (5). Inédite, familière, obstinément matérielle. égarement dans les sentiers adjoints   /   qui mènent à la mer (6) 
Ni éclipse, ni retrait hors du temps. "à genoux" disait-elle - il élaborait le discours (7) Albiach crée le vers distributif, au plus près de tous les chaos, soubresauts de notre époque. cela dit dans la disparition du sujet - / en dépit - (8) condition optimale d'une restitution de chaque humanité intransitive - la suspension de soi révélant en retour, par l'attention portée au monde, le caractère unique de toute personne dont la situation, les positions sur le globe terrestre et parmi les générations, évoluent dans la dépendance d'autrui et des dehors multiples. Dans ce mouvement d'anonymat requis, une prise d'élan en vue de franchir l'obstacle des apparences, un mouvement de retrait à la fois physique, - réflexif, a-logique - et abstrait expose le désir irréductible de chacun, condition de complicités, causes communes. Le poème naît de ces confrontations, matières et souffles humains, n'a pas d'autres dehors ou dedans. A défaut de s'écrire à plusieurs, la poésie, aux yeux d'Albiach est sans objets, hors sujets.  
le chiffre trois celui des "lames" (9) le chiffre trois semble prévaloir à toute éventualité -  
 
3 
(10) trois fois, elle se refuse - répercussion dans le temps - (11) le poème s'aventure, choisit ses instruments  de  navigation,  l'eau  donne ses embruns (12), lames  des vagues,  rythmes  ternaires,  
formules des augures (13) animent, mobilisent le Désir. Le propre du Désir serait de s'évincer - et dans cette soustraction qui lui est inhérente, on peut envisager le phénomène d'entropie (14)  à travers lequel le monde concret s'établit. Réel fait de mots dont les lettres figurent les mesures rapportées à leurs excès, l'indéfini de l'espace blanc tantôt confiant envers le poète, tantôt déroutant les prévisions de ce dernier. Vent, gouvernail, livre de consignes et de bord (15), chaque lettre et mot entrent à corps perdu dans l'inconnu, voie d'accès à l'obscur    /   Forces dénommées au   /   détour du sommeil -   /   Ce n'était pas un corps qui se donnait mais   /   l'image (16).  
elle précise l'écart   /   il parle de nudité - (17) La description native des genres grammaticaux et des physiologies mâle et femelle distincts écrite précocement dans Flammigère (18) devient - en regard de l'urgence manifestée dans ce premier poème - anecdotique, la poésie d'Albiach relevant les positions créatrices et critiques des uns et des autres, poètes amis dont elle pèse les mots, les rapports humains, en même temps qu'elle écrit, déplacements nocturnes, elle évalue les écarts - (19). La Mise à nu de l'écart (20) concrétise le désir d'exploration inhérent à sa poésie, l'étonnement gagnant sans artifices la lassitude à sa cause, elle déviait incessamment l'enjeu   /   point neuf - (21). Le rythme des images, ils craignaient l'harmonie - le désordre surgit  (22) somme conductrice des traversées du rêve à la mémoire, de la nuit au jour, de la mort à la vie, de la fatigue, le désir épuisé, illisible la marque des géométries pulsionnelles (23), au poème, lie les séparations, efface leurs isolements sans les nier, ajoute à toutes finitudes l'espace blanc de l'infini. un espace émancipe l'esquisse première (24) la voix du poète redevable et distributrice de l'oubli mémoriel où les éléments déjouent et construisent les éléments de la nature. Avec toutes les péripéties où le tragique et l'enthousiasme s'exacerbent, transgressent leurs oppositions, ne résistant pas à une métamorphose initiée par le désir qui les contamine. Mus par cette soif de création et de connaissance du passé et de l'avenir, gagnés par les expérimentations et intuitions du poète où ils s'initient sans discontinuer. 
[René Noël] 

Anne-Marie Albiach, Celui des "lames", éd. Eric Pesty, 2013 
  
1 Celui des " lames " p. 7 
2 Ibid., p. 5 
3 Figurations de l'image, p. 47 
4 Etat p. 31 
5 Celui des " lames " p. 5 -  " elle s'ignore, elle s'éblouit face aux données " , Figurations de l'image, éd. Flammarion, 2006, p. 17 
6 Figurations de l'image, p. 43 
7 Celui des " lames " p. 7  
8 Ibid., p. 8 
9 Ibid., p. 19 
10 Ibid., p. 5 
11 Ibid., p. 7 
12 Ibid., p 11 - : les objets   /   affluent sur la table à marée basse , Figuations de l'Image, p. 38   les sentiers adjoints  /   qui mènent à la mer ,  Ibid., p. 43 
13 lame de tarot, la troisième, figurant l'Impératrice 
14 Anne-Marie Albiach, Amastra-N-Gallar, N? 12, Lalin (Pontevedra), 2006, p. 4 
15 Figurations de l'Image, Blancheur et sediments, p. 47 
16 Celui des "lames", p. 6 
17 Ibid., p. 19 
18 Flammigère, Siècle à mains, 1967 
19 Celui des "lames", p. 5 
20 Celui des "lames", p. 19 
21 Ibid., p. 20 
22 Ibid. p. 21 
23 Ibid. p. 5 - à quoi correspondrait cette convulsion aveugle des   /   réels lorsque le sang tiède qui parcourt les vaisseaux (et la mer...) émet un bruissement plus insistant   -   mais le corps de mémoire   /   recherche le corps de Celui ;   Les mots qu'il prononçait mezza voce dans un   /   élan de draps incestueux qu'il fuyait, faisaient   /  
   qu'elle entendait comme paralysée par un   /   enchantement.
Figure Vocative, éd. Fourbis, 1991, respectivement p. 24, p. 30 

24 Ibid. p. 16 
 


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