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Quel effet ça fait… de fumer un joint à Christiania

Publié le 26 juillet 2013 par Wtfru @romain_wtfru

Amsterdam est célèbre pour ses coffee shop’s, Copenhague l’est au moins autant pour Christiania. Tout fumeur de joint qui se respecte, et à plus forte raison, tout amoureux des années 70 et du mouvement Hippie se doit de faire un arrêt par la case Christiania.

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De passage pour trois jours dans la capitale du Danemark en compagnie d’un ami, nous avions vaguement entendu parler de cet endroit avant notre arrivée. Une fois déchargés de nos sacs dans notre auberge de jeunesse, nous avons eu droit à un Free Tour, c’est-à-dire une visite accompagnée de la ville, à pied, pendant trois heures – largement suffisant, la ville est très petite. Et pendant ces trois heures, bien que très intéressantes, à aucun moment notre guide n’a abordé l’histoire, ni même évoqué l’existence de Christiania, comme si l’endroit n’existait pas. Il faut dire que le quartier a connu une histoire plutôt mouvementée.

En 1971, des habitants de Copenhague, embrigadés dans le mouvement hippie naissant, cherchent un espace « vert », un terrain où se droguer tranquillement en écoutant du rock psychédélique et où les enfants pourront jouer à leur aise sans trop s’écorcher les pieds sur le béton – mais sur les seringues, oui. Au début de l’année, un article paraît dans un magazine alternatif, qui relate l’existence d’un campement militaire abandonné, le Bådsmandsstræde Barracks (ne comptez pas sur moi pour prononcer ce truc), dans le fameux quartier de Christianshavn, au sud-est de la capitale. Ni une, ni deux, des centaines de personnes, pour la plupart venues du Danemark, décident d’investir les lieux. S’en suivent quarante ans de guerre plus ou moins violente avec le gouvernement danois, les habitants de Christiania étant tantôt considérés comme les cobayes d’une « expérimentation sociale », tantôt comme des squatteurs illégaux. A plusieurs reprises, le gouvernement a tenté de reprendre droit sur ses terres, sans jamais y parvenir. Le 19 mai 2007, le premier ministre libéral conservateur Anders Fogh Rasmussen ordonne la destruction du « cas » Christiania, accusé de favoriser le trafic de drogue. A la première maison détruite, les Christianias se rebiffent et partent manifester. 59 arrestations, un changement de gouvernement et une crise économique mondiale plus tard, le 21 juin 2011, le millier d’habitants officiels de Christiania est autorisé à racheter son quartier à l’Etat, devenant ainsi, pour quelque 71 millions de couronnes, maître de ses terres.

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Voilà pour la petite histoire. Mais aujourd’hui, qu’en est-il de Christiania ?  Le quartier est plutôt facile à trouver. A 10 minutes à pied du centre-ville, on trouve son chemin en suivant les groupes de néo-punks aux yeux rouges qui défilent en sens inverse. Quand les premiers tags et une végétation hors de contrôle commencent à apparaître, vous êtes devant l’entrée. Ce qui est probablement le plus saisissant, c’est le nombre de touristes – enfants, parents, adolescents – qui se promènent dans les allées du quartier. Selon le site VisitCopenhagen, près d’un million de touristes passent les portes de la cité chaque année. On passe devant un stand de fruits, des jardins qui semblent abandonnés remplis de tout un tas de choses plus ou moins utiles. On croise des mecs un peu bizarres, des punks aux cheveux longs, produits dérivés de la génération hippie en milieu urbain. Et puis on tombe devant un panneau orné de trois feuilles de marijuana : « you are now entering the Green Light District ». Suivi de tout un tas de recommandations et d’interdictions écrites en danois et en anglais (tourisme oblige). Ainsi, dans le Green Light District de Christiania, il est interdit de porter des armes, de conduire une voiture ou de prendre des photos. Plus original, il est interdit de courir, parce que ça stresse les gens.

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Les effluves de cannabis abondent l’air. Pour en acheter, rien de plus simple : de nombreux stands peuplent le Green Light District. Tellement nombreux qu’il est un peu difficile de faire un choix. Mon ami et moi-même avons décidé de nous arrêter devant ce qui nous semble être un stand correct – avec large choix de pâte de cannabis (du shit, quoi) et de fleurs de cannabis (de la beuh), exposé à l’air libre, sur fond de ragamuffin bien lourd. Des petits tubes en forme de cônes ont attiré notre regard. Pour 50 couronnes danoises, vous pouvez acheter un pétard déjà roulé. 50 couronnes danoises, c’est environ sept euros. Nous en avons pris deux, remplis vraisemblablement de « Skunk », et sommes partis à la recherche d’un endroit où les fumer tranquillement.

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Après être passé devant un bar où les serveurs étaient probablement plus défoncés que les clients, nous avons trouvé un lac, dont les berges étaient aussi propres que les quais du Rhône un vendredi matin. Un lac probablement relié à la mer, puisque nous avons eu l’effrayante surprise d’y croiser des méduses. Nous avons fumé un premier joint sous un soleil de plomb, ce qui peut expliquer notre état après être parvenus – difficilement – au bout. Pour être francs, nous avons été défoncés toute l’après-midi, et une bonne partie de la soirée. Le deuxième joint attendra le lendemain. Après avoir longtemps débattu sur la situation des canards au Danemark sur fond de crises de rire inexpliquées, nous avons pris la décision de traverser Christiania et de nous perdre dans la ville pour regagner notre auberge.

C’est une sensation étrange. Avoir le sentiment d’être dans l’illégalité au milieu de mères de famille qui fument des joints plus gros que l’enfant qu’elles trimbalent, et de dealers qui doivent certainement être plus riches que vous et moi réunis. C’est une sensation étrange. Des dealers, pit-bull à la main et bandana au front, au look plus proche de celui des mecs de nos chères banlieues que des hippies aux pantalons pattes d’ef’ qu’on voyait se rouler dans la boue de Woodstock. Syndrome d’une microsociété où l’emprise des drogues dures a laissé de profondes cicatrices. Ainsi, en dépit de la patte blanche apparente (si j’ose dire), à l’image des nombreux panneaux « say NO to hard drug » qui peuplent l’endroit, les fusillades entre gangs rivaux pour le contrôle du trafic sont encore présents dans tous les esprits.  Les descentes du RAID danois dans la cité se font de plus en plus rares, voire inexistantes – crise économique oblige, le gouvernement a d’autres chats à fouetter — mais ont, un temps, reflétés les stigmates de la lutte avec le gouvernement pour promouvoir un endroit sain et hors de tout trafic, qu’il soit de drogues dures ou douces. Promotion pas forcément légitime. Un trafic omniprésent, et qui ne trompe personne. Un article de la BBC relatait en 2011 la crainte de certains habitants de Christiania de voir leur société ronger par le trafic. Qu’en est-il aujourd’hui ? Rien ne semble avoir changé. Si l’on s’éloigne de l’agitation du Green Light District et que l’on se plonge dans le cœur historique de Christiania, on croise quelques rares personnes, des êtres qu’on peut facilement assimiler aux « vrais » Christianias, barbe longue et blanche, se déplaçant difficilement, pieds nus, devant leur baraque défraîchie. Sont-ils encore heureux ? L’ont-ils déjà été ? Nul ne le sait vraiment.


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