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Responsabilité hospitalière : retour sur trois arrêts du Conseil d'Etat relatifs à l'obligation d'information du patient

Publié le 28 juillet 2013 par Arnaudgossement

sans-titre (3).pngLe dernier rapport du Conseil d'Etat sur l'activité juridictionnelle 2012 propose un focus sur trois arrêts qui ont marqué un progrés du devoir d'information du patient, dont la méconaissance engage la responsabilité du service public hospitalier. Analyse.


Le patient a-t-il eu la "possibilité raisonnable" de refuser l'acte médical ?

Le premier de ces trois arrêts (n°339285) a été rendu le 24 septembre 2012 et peut être consulté ici.

Dans cette affaire, la requérante, Mlle F.  avait subi, en 2002, une "opération de résection costale destinée à soulager le syndrome de la traversée thoraco-brachiale dont elle était atteinte". Cette opération a été suivie de complications neurologiques, sensitives et motrices et la patiente a "été contrainte d'abandonner son métier de coiffeuse". Elle a donc exercé un recours indemnitaire "contre les Hospices civils de Lyon, au titre d'un manquement à l'obligation d'information sur les risques des interventions chirurgicales, et contre l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), au titre de la réparation des aléas thérapeutiques".

Son recours a été rejeté par le tribunal administratif de Lyon puis par la cour administrative d'appel de Lyon dont l'arrêt a été frappé d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat.

L'arrêt rendu le 24 septembre 2012 rappelle tout d'abord le principe de l'obligation d'information du patient :

"2. Considérant que, lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que, si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les médecins de leur obligation". 

L'obligation d'information du patient vaut ainsi pour des risques fréquents ou non. Ce qui met à la charge du service public hospitalier et de ses praticiens un devoir d'excellence médicale. Ce devoir d"information, ainsi défini a pour objet de conserver au patient son droit de citoyen au consentement éclairé tout lui fixant des limites liées aux circonstances médicales : urgence, impossibilité ou refus du patient d'être informé.

Conséquence d'un manquement à ce devoir d'information :  

"3. Considérant qu'un manquement des médecins à leur obligation d'information engage la responsabilité de l'hôpital dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée ; que c'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent nier l'existence d'une perte de chance ;"

Précision importante pour évaluer la réalité du refus du patient : ce dernier peut demander l'indemnisation d'une "perte de chance" sauf dans un cas, celui "où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent nier l'existence d'une perte de chance". Il appartient donc aux juges d'étudier cette "possibilité raisonnable de refus".

Au cas présent, l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé par le Conseil d'Etat : La cour n'a en effet pas recherché si la patiente avait bénéficié d'une possibilité raisonnable de refus mais quelle aurait sa décision si elle avait été informée. En d'autres termes, la Cour a tenté de se mettre à la place de la patiente, ce qu'elle ne peut faire :

"4. Considérant qu'après avoir constaté que les médecins de l'hôpital Edouard-Herriot n'avaient pas informé la patiente des complications susceptibles de survenir à la suite de l'intervention qui lui était proposée, la cour administrative d'appel de Lyon a estimé qu'eu égard à la gêne fonctionnelle croissante qu'entraînait pour elle le syndrome du défilé thoraco-brachial et à l'absence d'alternative thérapeutique moins risquée, " il ne résultait pas de l'instruction que Mlle F...aurait renoncé à l'intervention si elle avait été pleinement informée " ; qu'en écartant pour ce motif la responsabilité des Hospices civils de Lyon, alors qu'il lui appartenait, non de déterminer quelle aurait été la décision de l'intéressée si elle avait été informée des risques de l'opération, mais de dire si elle disposait d'une possibilité raisonnable de refus et, dans l'affirmative, d'évaluer cette possibilité et de fixer en conséquence l'étendue de la perte de chance, la cour a commis une erreur de droit ;"

Le droit du patient à l'indemnisation du préjudie lié aux "complications survenues"

Le deuxième arrêt (n°336223) rendu par le Conseil l'a été également le 24 septembre 2012. Il est particulièrement intéressant. Opéré pour un problème gastrique, le patient ne l'a cependant pas été selon la technique à laquelle il s'attendait. Son droit à l'information a donc été méconnu ici aussi. Surtout, le Conseil d'Etat précise que le patient, en raison de cette méconnaissance de l'obligation d'information, ouvre droit à réparation, tant de son préjudice moral que "de toute autre conséquence dommageable de l'intervention" :

"2. Considérant, qu'hors les cas d'urgence ou d'impossibilité de consentir, la réalisation d'une intervention à laquelle le patient n'a pas consenti oblige l'établissement responsable à réparer tant le préjudice moral subi de ce fait par l'intéressé que, le cas échéant, toute autre conséquence dommageable de l'intervention ;"

Ce principe étant ainsi rappelé, l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Lyon, objet du pourvoi, est anulé, au motif que la Cour a limité l'indemnisation du patient aux "contraintes spécifiques liées à la technique utilisée" en excluant les "complications survenues" :

"3. Considérant que l'arrêt attaqué relève, au vu d'un document signé par l'intéressé le 7 juillet 1998 et du rapport d'expertise, que M. B a donné son consentement à la pose d'un anneau péri-gastrique modulable, permettant un ajustement de la restriction alimentaire, et que le centre hospitalier universitaire de Nice a pratiqué une intervention de gastroplastie verticale consistant à scinder l'estomac en deux compartiments, technique qui ne permet aucun ajustement ultérieur, qui impose le respect de contraintes hygiéno-diététiques particulières et qui, sans être totalement irréversible, rend difficile la réfection de l'estomac ; que la cour n'a pas tiré les conséquences nécessaires de ces constatations, dont il ressortait que le patient n'avait pas donné son consentement à l'intervention réalisée par le chirurgien mais à une intervention substantiellement différente, en limitant le droit à réparation de M. B aux contraintes spécifiques liées à la technique utilisée et en ne lui reconnaissant pas le droit d'être indemnisé des complications survenues ; que le requérant est dès lors fondé à soutenir que l'arrêt attaqué est, sur ce point, entaché d'erreur de droit ;"

Le droit du patient à réparation des troubles subis "du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité"

Le troisième arrêt (n°350426) du Conseil d'Etat ici étudié, a été rendu le 10 octobre 2012. La Haute juridiction étend ici la liste des troubles subis par le patient, susceptubles d'ouvrir droit à réparation :  

"5. Considérant qu'indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a pu subir du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité, notamment en prenant certaines dispositions personnelles ; que, toutefois, devant les juges du fond, M. B...n'a pas invoqué un tel préjudice, dont il lui aurait appartenu d'établir la réalité et l'ampleur ; que, contrairement à ce qu'il soutient, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en ne déduisant pas de la seule circonstance que son droit d'être informé des risques de l'intervention avait été méconnu, l'existence d'un préjudice lui ouvrant droit à réparation ;"

La Cour administrative d'appel n'a donc pas commis d'erreur de droit dés lorsque le requérant n'a pas fait état d'un trouble lié à son impossibilité de se préparer aux conséquences de la réalisation d'un risque à la suite d'une intervention. Le droit à réparation de ce trouble est, lui, ici consacré.

Arnaud Gossement

Avocat - Selarl Gossement avocats


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