Leopoldo María Panero, né en 1948, appartient bien à la gent
irritable des poètes, à celle que la folie des autres gagne et ronge, mais ne
contamine point, celle dont la folie est résister de front à l’ordre établi,
tyrannique, franquiste, qui dérange, au point qu’il fut emprisonné, et interné
sur demande de sa propre famille. Panero vit, et écrit, en hôpital psychiatrique
depuis 1980. Si une œuvre ne s’explique pas uniquement par la vie de son
auteur, force est de constater que le poids familial n’est pas un moindre faix
sur la conscience du poète : fils d’un poète, Leopoldo Astorga Panero, devenu
poète officiel du régime phalangiste. La tuaison dudit père est, en ces poèmes,
permanente. Outre la prison, l’hôpital psychiatrique, Panero connut la
tentation et tentative de la privation de soi par le suicide ; voici donc
moult ingrédients de vie qui inciteraient le lecteur à le comparer à un poète
de la lignée maudite de ces suicidés de la société. La biographie de l’auteur
se déploie dans sa pensée ontologique, son sentiment du monde. La famille, chez
Panero, étouffante, mais détournée de son biographisme, devient la métaphore de
sa lutte anti-fasciste, un nœud gordien, une lutte désespérée, éperdue et
perdue, qui fera peser sur lui l’ombre de la mort, comme seul régime de
liberté,
«Père, je m’en vais :
je vais
jouer dans la mort,
père
je m’en vais. »
Il s’en va, s’enfonce dans le poème, la mort dans l’âme, la mort chevillée dans
l’âme, car s’il a tué le père, il y fait de même ses adieux à l’enfance…
« Dis à l’enfant qui rit là-bas,
je ne sais de quoi, peut-être de la vie,
mon nom, rien que mon nom
range bien mes jouets
l’ours avec l’ours, et range le chien,
près de l’oiseau, quant au canard
laisse-le seul, le canard :
père je m’en
vais : je vais jouer avec la mort. »
Le mythe du paradis de l’enfance définitivement réglé, que reste-t-il, sinon
l’éternel départ ; il peut s’aller, au plus loin, au plus profond du
dégoût du vivre, n’enfourcher point Pégase, symbole de l’envol, de la poésie,
de l’inspiration (ô combien Panero massacre l’idée-poème), mais enfourcher le
crapaud, motif récurrent dans ses poèmes, considéré comme symbole de la
laideur, des enfers, absorbant la lumière, qui l’indiffère :
« Les crapauds comme les oiseaux
ne croient pas en l’avenir.
Ils marchent sur les tombes
en y laissant leur bave. »
Ses poèmes s’évertuent au rabaissement, au bas excrémentiel des prétendues
belles choses, les fleurs, la vie, le poème lui-même, tout est immonde, n’est
que puanteur, peur atroce d’exister ; ainsi quoi, les poèmes sont d’une
violence froide et répétitive, s’auto-pastichent par dérision d’appuyer sur
l’inanité d’être, sinon d’écrire, mais ô paradoxe, c’est dans l’acte d’écrire
que le poète puise son énergie du désespoir, se nourrit ; autotélique, « le
poème est un acte cannibalesque » ; se dévore pour danser sa danse
macabre au son de « la lyre atroce ». Destruction, disais-je, sinon
une « mécanique de la souffrance » menant à une apocalypse
personnelle, ce à quoi nous assistons, forcément impuissant, mais
fasciné ; mais aussi, ce semble, à une révolution, à celle qui n’a pas eu
lieu dans son pays, assavoir la révolution du cycle du haut vers le bas, du bas
vers le haut, de l’esprit vivant vers le vide excrémentiel, du vide excrémentiel
vers l’esprit haut de penser ; une dynamique du poème, ou un nihilisme en
lutte contre lui-même.
[Jean-Pascal Dubost]
Leopoldo María Panero, Bonne
nouvelle du désastre & autres poèmes (1982-2004), traduit de l’espagnol par Victor Martinez & Cédric Demangeot, Éditions Fissiles, 240 pages, 20 €.