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Angoisse au bord de la piste

Publié le 01 août 2013 par Teamvivia56

« Problème sur la piste, annonça le speaker de l’épreuve. Sans doute une sortie de route. Nous attendons des informations. Je reprendrai le micro dès que nous en saurons plus. »   LAMBADA.jpg  Les hauts parleurs diffusèrent la Lambada, une musique festive, suggestive, composée pour faire la fête, danser et draguer, décalée après le coup de massue provoqué par l’annonce d’un probable accident. Un groupe de jeunes était installé au virage du transformateur, 400 mètres après le départ de la Course de côte du Mont-Dore – Chambon-sur-Lac. Leurs visages se tendirent. A cet instant précis, tous s’inquiétaient pour un proche en piste. D’autres spectateurs en profitèrent pour se rapprocher des buvettes. Le spectacle marquait une pause. Aucune voiture ne passait plus… Sauf une ambulance en route vers le lieu de l’accident.  

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En course de côte, les concurrents partent chacun leur tour, comme dans un contre la montre du Tour de France. Les temps réalisés déterminent le classement. Ce deuxième samedi d’août était consacré aux séances d’essais. Il était 13 heures. Les voitures partaient toute les 30 secondes, de telle sorte que 5 ou 6 pilotes se trouvaient en piste en même temps sur les 5 kilomètres du parcours. Les chronos de ces essais donneraient une première idée de la hiérarchie qui se dégagerait à la fin du week-end. Vers 16 heures 30, une seconde montée permettrait aux compétiteurs de parfaire leur approche des limites. Le dimanche, ce serait la vraie course sur deux montées. Le meilleur temps déterminerait le classement final. Enfin, pour ceux qui n’auraient pas été éliminés par une sortie de route ou un problème mécanique.

David allait sur ses 17 ans. Encore trop jeune pour piloter une voiture en compétition... Il s’y préparait pourtant. D’abord en se battant comme un lion sur les pistes de kart. Et depuis quelques mois, en naviguant son oncle et parrain Éric lors de rallyes dans l’Ouest de la France. Dans cette discipline, l’équipier ne prend pas le volant de telle sorte que les jeunes ont le droit de monter dans le baquet de droite dès seize ans.   

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  Dans trois semaines, David devait participer au Rallye des Volcans aux côtés d’Éric. Une épreuve importante. L’équipage disposerait d’une Vivia GT officielle. Une machine avec laquelle ils viseraient la victoire au classement général ! Le parcours emprunterait la route au bord de laquelle il jouait ce samedi le rôle de supporter d’Éric, celle qui part de la Vallée de Chaudefour et grimpe jusqu’au Col de la Croix Saint-Robert. Un site superbe offrant un panorama magnifique sur le Lac Chambon et le relief apaisant des montagnes d’Auvergne, mais un tracé délicat où seuls les meilleurs pilotes brillaient. La sortie de piste sanctionnait la moindre erreur. D’autant que la météo ne faisait pas de cadeaux aux concurrents. Un ciel lourd et sombre succédait au soleil de plomb qui avait noirci les peaux des touristes les jours précédents en même temps qu’il propulsait le chiffre d’affaires des marchands de glaces et de boissons fraiches. Si le bitume restait encore sec au départ, des gouttes de pluie synonymes de changement d’adhérence étaient annoncées à partir de la carrière, plus haut sur le parcours. L’orage grondait au loin et menaçait de s’inviter à la fête.  

David posa ses mains sur les épaules de son jeune cousin Arnaud. Le fils d’Éric avait neuf ans et manifestait déjà une grande passion pour tout ce qui va vite avec un moteur. Arnaud adorait David qui se comportait toujours avec lui comme un grand frère attentionné et protecteur.

- T’inquiète pas bonhomme, lança David. Ce n’est sans doute rien. Un tête à queue ou une légère touchette. Le branle-bas de la sécurité se met en route par précaution, comme d’hab.

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  Edmond, un garçon de l’âge de David, serrait la mâchoire, Son père, Thomas, participait à la course de côte au volant d’une BMW M3. Edmond imiterait bientôt David. Il naviguerait pour la première fois son père au Rallye des Volcans. Thomas et les siens exploitaient une ferme à quelques centaines de mètres du départ de la course. Ils y avaient ouvert des chambres d’hôtes et un camping à la ferme. Éric et son équipe séjournaient chez eux chaque fois qu’ils venaient au Mont-Dore. Tout comme Roland, un autre pilote breton dont Charles, le frère cadet, suivait le même parcours scolaire que David depuis la sixième. Charles, c’était un des costauds du lycée. Un gars solide qui pratiquait le judo en compétition et avait remporté plusieurs coupes.  

- Je fais comme Jean-Claude Andruet, expliquait-il quand David et Edmond l’incitaient à faire moins de judo et plus de kart. Andruet a brillé en judo avant de devenir rallyman. J’apprends à me donner à fond et à me maîtriser dans un sport de combat. Après, je deviendrai pilote.   

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  Aujourd’hui, Éric, Thomas et Roland couraient dans la même catégorie (pour les spécialistes, les voitures du groupe A de + de 2000 cm3). Le premier pilotait un Coupé Vivia 2.0 T, le second une BMW M3 et le troisième une Peugeot Turbo, Éric faisait partie des favoris de la catégorie, Thomas se plaçait en outsider et Roland espérait simplement un classement honorable. Sa voiture ne lui permettait pas de jouer les premiers rôles et il se savait moins performant que ses rivaux. Au moment de l’interruption des commentaires, ils se trouvaient tous les trois en piste. 
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  Clarisse, une charmante jeune fille aux longs cheveux clairs, rejoignit le groupe. C’était la sœur d’Edmond. Elle était née un an après lui. Clarisse ne partageait pas les passions de son frère pour la montagne et la course automobile. Elle aspirait à une vie sereine dans un cadre moins rude. Elle ne comprenait décidément pas le bonheur qu’éprouvaient les pilotes à flirter avec les limites sur des routes piégeuses. Pourquoi ne pouvaient-ils pas se contenter de déjeuners sur l’herbe dans les cadres apaisants des bords de lacs ? S’ils ne se chargeaient pas à l’adrénaline, ils n’infligeraient pas aux leurs des terreurs comme aujourd’hui, maugréait-elle silencieusement. Elle s’était d’abord installée 100 mètres avant le gauche du transformateur. En pleine ligne droite, là où rien ne peut se passer, en principe. A l’annonce d’un pépin sur la piste, elle venait chercher du réconfort auprès de son frère.  

- Les pilotes sont des égoïstes un peu fous, assénait habituellement Edmond quand elle lui confiait ses états d’âme. C’est ce qui fait leur charme. Si tu prives un pilote d’émotions fortes, tu en feras un homme normal, c’est-à-dire médiocre, sans intérêt, éteint, rondouillard avant l’âge… Rappelle t’en si tu sors un jour avec un pilote.

Pas question de formuler ce genre de considérations aujourd’hui. Edmond se contenta d’un banal « ça va aller » lorsqu’elle le rejoignit.

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  La sono continuait à diffuser les tubes de l’été. Attention les enfants danger (par Michel Sardou), puis Cœur de loup (Philippe Fontaine), succédèrent à La Lambada. Les hauts parleurs crachotèrent quelques secondes avant de se taire. Des informations étaient imminentes. David et Arnaud étaient persuadés que c’était Éric qui était sorti. Il jouait la gagne dans sa catégorie. Il devait attaquer et prendre des risques dès les essais. Une Sierra Cosworth passa devant à eux dans le sens de la descente. Elle était partie juste derrière Éric, Thomas et Roland. Le speaker annonça le chrono de la M3 qui s’était élancée avant eux. C’était donc obligatoirement un des proches des jeunes qui avait connu un problème. Des larmes coulèrent sur les joues de Clarisse. L’accidenté, c’était forcément son père. Il avait préféré louer une BMW M3 pour cette course parce qu’il ne voulait pas risquer un pépin avec sa Lotus avant le Rallye des Volcans. Il connaissait moins bien la BM que la Lotus. Il s’était fait piéger. Edmond culpabilisait. C’était pour être sûr de ne pas casser la Lotus et de disputer le prochain rallye avec lui que son père avait pris cette décision. Charles quant à lui se disait que son frère était un pilote bouillant qui ne possédait pas l’expérience d’Éric ni même celle de Thomas. Il était probablement parti à la faute sur le mouillé. Et depuis la veille, une peur sourde le torturait, la dérogation stupide au rite protecteur. Les larges épaules de Charles s’affaissaient sous les affres de l’attente. Les gorges devenaient de plus en plus sèches. Les cœurs battaient fort. Tous se sentaient gênés. La nouvelle qui soulagerait les uns risquait de s’abattre sur les autres avec la violence de la foudre. Arnaud ne quittait pas David d’une semelle. L’aîné des cousins s’efforçait de dissimuler sa propre inquiétude et répétait aux autres de ne pas s’en faire. Avec les arceaux dont étaient équipées les voitures, les harnais qui maintenaient le pilote dans son baquet et le casque intégral, rien ne pouvait arriver au pilote. Arnaud faisait semblant de le croire et rassemblait son courage afin de ne pas pleurer. Les autres membres du groupe approuvaient les propos de celui d’entre eux qui connaissait le mieux la compétition pour être déjà monté dans une voiture en course. David disait presque la vérité. Les accidents corporels sont devenus rares en compétition automobile. Cependant, la course comportera toujours une marge de risque. Ils le savaient tous, même le petit garçon de neuf ans.   

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  Le speaker reprit enfin la parole.  

- Les essais vont reprendre dans quelques minutes, annonça-t-il. Le temps de dégager complètement la piste et de permettre aux concurrents stoppés dans leur montée de revenir prendre leur place dans la file de départ. C’est la 505 T de Roland Calloc’h qui est sortie de la piste dans une enfilade peu après la carrière. Une sortie très spectaculaire mais sans dommage pour le pilote. Par contre, la 505 T est totalement détruite. Elle ne reprendra pas la piste ce week-end.

- Pas si grave, dit David en donnant une claque amicale dans le dos de Charles. Roland n’a rien. Une auto, ça se remonte. En plus, ton frère est garagiste. Il y arrivera rapidement.

- Tant qu’il n’y a que de la tôle, enchaîna Edmond. Un jour ou l’autre, tout pilote rentre avec une voiture cassée sur le plateau.

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  - Je suis plutôt soulagé, confia Charles. Je savais que le week-end se passerait mal. J’ai craint le pire. Roland a un porte-bonheur qui l’aide en course. Un petit nounours blanc que lui a offert papy. Il s’appelle Stirling, comme Moss, le pilote préféré de notre grand-père. Entre les courses, mon frère range Stirling dans la première coupe qu’il a gagnée dans une course de côte régionale à Maure de Bretagne. Hier au moment de passer aux vérifications, il s’est rendu compte qu’il l’avait oublié à la maison. Il a prétendu que ce n’était pas grave mais je suis certain que ça l’a perturbé autant que moi. La force et la sérénité n’étaient plus avec lui.  

- Il faut faire attention à ses choses-là, approuva Clarisse.

- Elles servent à nous protéger, poursuivit Edmond. La course automobile est pleine d’aléas. Des compagnons comme Stirling concentrent l’amour de ceux qui nous aiment et ils nous aident à vaincre les influences négatives.

David n’ajouta rien. Il restait convaincu que les forces qui avaient trompé Roland étaient purement physiques et résultaient tout simplement d’une mauvaise appréciation de l’adhérence de ses pneus compte tenu de sa vitesse, de l’état du revêtement et de l’angle du virage dans lequel le contrôle de la 505 T lui avait échappé. Mais il ne voulait blesser ni ses hôtes auvergnats ni un de ses meilleurs amis de lycée. Libre à eux de chercher à se rassurer en sacrifiant à des rites et superstitions qui ne le convainquaient guère…   

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David ne se doutait pas que trois semaines plus tard, lors du Rallye des Volcans, il allait se trouver confronté à des événements stupéfiants, inquiétants, incompréhensibles, qui mettraient son esprit rationnel à rude épreuve avant de le sensibiliser aux superstitions qui hantent les paddocks depuis la naissance de la course automobile…  

Les sports mécaniques intègrent tous les ingrédients d’un bon roman : des personnages attachants auxquels s’identifier, du suspense, de l’angoisse, des temps forts… Ce Rallye des Volcans en Auvergne qui va faire douter David, je vais vous le raconter dans quelques jours, au fil des pages d’un livre dont la version électronique est sur le point de sortir (tout début septembre). Le roman est préfacé par un pilote que j’apprécie beaucoup et qui est une des valeurs sûres du rallye français après avoir débuté comme navigateur à l’âge de 16 ans ! Je vous en dirai plus très bientôt, c’est promis.

QUELQUES LIENS A SUIVRE

Une autre nouvelle, avec David au Rallye des Vins de Touraine, en ligne le samedi 3 août sur :

http://circuitmortel.hautetfort.com/

Au cœur de la course automobile dès l’adolescence, c’est ce qu’a vécu David. Un week-end agité au Grand-Prix d’Angleterre http://0z.fr/2zYDt

La course automobile, un monde de sensations forteshttp://bit.ly/P1Lz6J

La course automobile est violente

http://circuitmortel.hautetfort.com/archive/2012/08/28/la-course-automobile-est-violente.html

En piste avec Yoann Bonato, une des valeurs sûres de la discipline en France

http://circuitmortel.hautetfort.com/archive/2013/07/19/yoann-bonato-le-retour-5124960.html

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Thierry Le Bras  


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