Magazine Culture
Catharsis In Crisis, réinventé par François Matton.
(La pochette d'origine est un dessin d'Arrington de Dionyso)
Arrington de Dionyso. Non je n'étais pas en Grèce avec Cyril, mais avec Arrington et son groupe Old Time Relijun l'après-midi précédant leur concert à Saint-Ouen (j'y reviendrai
peut-être). Cyril en fait, je ne le connais que par ses textes sur ce blog et, pourtant, un lien quasi tangible m'unit à lui. Oui, lui, moi et tous les autres volontiers pris dans les filets de
cette toile consacrée à la pop ne nous connaissons pas forcément pour autant. Je me rappelle à l'origine de l'aventure les mots de Sylvain : « Pour l'instant je suis le seul à entrevoir
notre personnalité collective, étant le seul à connaître chacun: cette inégalité ne durera pas». Dehors les marronniers libèrent leur pollen, j'ai le rhume des foins et un peu de fièvre
il est vrai. J'espère ne pas divaguer.
Olympia, Washington. Evidemment, quand on s'appelle Arrington de Dionyso et qu'on finit par habiter un temps une ville nommée Olympia, on ne rêve pas forcément de devenir courtier en
assurances. Petit déjà, à cinq ans, Arrington cherchait à imiter la voix des monstres, des dinosaures (il utilise désormais la sienne comme une guimbarde et maîtrise le chant de gorge que l'on
peut entendre sur les hauts plateaux de l'Altaï). A douze, il s'émerveille devant un vieux chanteur de rue qui improvise des 1$ songs aux passants, puis s'enregistre chaque soir après
l'école sur son radiocassette. Aujourd'hui, Arrington boit du maté (le thé des jésuites) toute la journée, fait des étirements, vocalise un peu et exerce des motifs bien ergonomiques sur sa
guitare avant de se muer sur scène en une créature transpirante et habitée, et d'entraîner son groupe, dont il se fait le sherpa, au travers de zones d'ombres et de ténèbres.
Rien de pop a priori chez Old Time Relijun mis à part le label K Records sur lequel ses disques sont édités. Leur musique apparaît d'avantage hard pop, difficile d'accès
semble-t-il aux deux premières écoutes, si je me fie aux réactions hostiles de mon entourage, et finit par devenir étonnamment familière à la troisième, si je me fie aux réactions hospitalières
de ce même entourage. Ça n'est pas donc twee (mignon, gentillet) c'est sûr, mais primal, brut, sauvage, moite, magique et amazonial, exactement comme la chanson directement inspirée de
J-L Borges, The Circular Ruins, sur l'album Catharsis In Crisis, dernier volet de la trilogie Lost Light. Sur les dessins d'Arrington qui ornent en nombre la pochette,
on peut voir des rites païens, des créatures hybrides, des femmes aux pieds de batraciens, des corps d'hommes à tête de félin, d'oiseau ou de truite tenant en leur main des faces humaines
fraîchement décapitées.
Lorsque j'interrogeais Arrington dans notre langue, car il la parle bien, à la terrasse d'un traiteur asiatique du marché aux Puces désert, à propos de ses chansons et de leur éventuel rapport à
Borges, il s'animait comme un diable et profitait de ce plat d'avance sur ses congénères , un riz au curry et un jus de coco: « je voudrais que mes chansons soient comme les
histoires de Borgès, un petit miroir dans lequel se reflète l'infinité du monde ». Je le revois tentant de m'exprimer par le geste le mot thread pour me signifier le fil à
coudre, le fil conducteur plus certainement. Oui, toutes les chansons de sa trilogie de lumière perdue, il les a voulues unies les unes aux autres, enchevêtrées comme les voies d'un labyrinthe,
avec des fausses pistes, des raccourcis, des impasses. Et le nom de son groupe, il l'emprunte à Captain Beefheart dans Trout Mask Replica :
Moonlight on Vermont
Gimme dat ole time religion
Gimme dat ole time religion
Don't gimme no affliction
Dat ole time religion is good enough for me
Un accès toujours sera possible. Autrement dit des correspondances, une géographie imaginaire - je ne vis plus que pour ça - des passerelles à foison pour qui voudra bien se perdre dans
ce religo d'un autre âge, dans ces hyperliens. Le parallèle entre eux et nous devient prétexte à tout : quelque chose est traqué, poursuivi (the pursuit of
happiness ou sadness c'est selon) jusque dans les moindres détails, jusqu'aux soubassements des commentaires, jusqu'à la clairière où souffler un peu, jusqu'à la face B, jusqu'au
Pirée. Les récents conseils de Sylvain tissent ma conscience, « Il ne s'agit pas d'imiter une mosaïque, il faut souder les morceaux de la mosaïque ». En même temps, je crains
de ne pas tout saisir, d'être moi-même dépassé, agi. Et me mets à rêver aux deux P qui encadrent le O, aux deux portes d'entrée du palindrome : oui ce mot POP va me réconforter
longtemps. Sur la dédicace laissée par Arrington en première page des Fictions du fameux écrivain argentin, un mot m'échappe toutefois, indéchiffrable lui, le plus important
peut-être :
Through these stories
????? comes in and out of focus,
Each time revealing more and more
In the details and in the wild angle
Merci
Arrington
de Dionyso