Il est des albums comme ça, qu’on associe à un certain changement d’humeur. Une espèce de fluide, un peu grotesque, qui vous enveloppe depuis la première piste jusqu’à la dernière. Des albums comme ça, lorsque les premiers accords d’un piano doucereux viennent se frotter à vos tympans, vous savez que vous allez aimer ça, mais vous ne réussirez jamais à vous l’expliquer. AlunaGeorge, duo saltimbanque en provenance de l’autre côté de la Manche, vient tout juste d’en pondre un.
Alors bien sûr, AlunaGeorge hantait nos enceintes bien avant la sortie de Body Music, le 26 juillet dernier. Aluna Francis, plus précisément, hantait nos enceintes, et peut-être même plus. Une brune foncée, sombre, impressionnante, à la voix plus claire qu’une gosse des bons quartiers de Londres. Une adorable garce squelettique, véritable féline anorexique, qui ne pourrait probablement pas se permettre d’être tant anti-stéréotypée sans être aux côtés de George Reid, petit blanc-bec catapulté des quartiers de l’Est londonien sur le fronton du panthéon des révolutionnaires de genres musicaux. Car Body Music est définitivement d’un genre nouveau. Trop électro pour être R&B. Trop Hip-Hop pour être électro. Trop intéressant pour être écouté avec détachement. Trop décalé pour être écouté sans mécontentement.
Sans surprise, on retrouve les pierres qui ont forgé l’édifice AlunaGeorge. You Know You Like It, définitivement la pierre angulaire de ce R&B coulant, sans oublier Attracting Flies et autres Your Drums, You Love se cachent au milieu des 14 pistes de l’album. Peut-être méritent-ils une écoute, par respect, une seule, pas plus, parce qu’on les connait trop bien. Peut-être occupent-ils une place toute particulière, voyant leur valeur musicale remise en contexte, celle de l’album, celle d’une transition entre un commencement calme et une fin flamboyante ? Celle d’un tremplin menant à un crescendo de 14 morceaux. Peu importe, après tout, la place occupée par ces pierres fondatrices. Peu importe, il y a Outlines, la première chanson de l’album, véritable allégorie sonore de la créature AlunaGeorge. Quatre accords, une voix enfantine et des allures d’une de ces pâles copies engendrées par AlunaGeorge eux-mêmes. Il en ressort une voix langoureusement sexy, allongée sur un lit de douceur, en train de déguster un smoothie, goût mélancolie avec supplément crème R&B. Pur génie. Pure contradiction.
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Aluna George – Outlines
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Aluna George – I Know You Like It
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Pure contradiction que représente AlunaGeorge. Pure contradiction que représente Body Music. La musique du corps, littéralement, représentée à son paroxysme par le morceau éponyme de l’album, Body Music. Des synthés sautillants, toujours lents, toujours coulants, presque fragiles, qui épousent une voix sous LSD, celle-là même qui épouse votre corps. Your body is like music, I wanna play it again. En effet, on se laisserait facilement tenter par un plan à trois, Aluna allongée au-dessus en train de susurrer à l’oreille « you know you like it », tandis que George serait en-dessous, occupé à trouver votre point G avec ses platines.
Puis c’est la douche froide, la fin de Body Music. Sans transition, on tombe sur Friends to Lovers, probablement la piste la plus niaise de tout l’album, si ce n’est pire. La touche funky du morceau, à l’inverse de celle d’un Snakehips par exemple, qui seul sait mélanger à la perfection Hip-Hop et Funk, se trouve ici inutile et risible. On ne parlera pas des paroles, on constatera simplement que l’amour est une source d’inspiration définitivement – et malheureusement – inépuisable.
Douche froide de courte durée. This is how we do it, quatorzième et dernière piste de cet album (reprise du tube R&B de Montell Jordan), vous réchauffe quelque peu, ou du moins vous accroche un peu plus l’oreille grâce à ses mélanges de ragga-commercial-uk-garage-dubstep à frôler le Die Antwood (à vérifier). Des titres certainement à des milliers de kilomètres du très lourd Just a Touch, pourtant aussi niais que Friends to Lovers, ou de l’extravagant Lost & Found, ou encore du très électrique Kaleidoscope Love. A n’y plus rien comprendre. Mais c’est peut-être ça, le fluide d’AlunaGeorge : une contradiction kaléidoscopique, blanche et noire, lente et rapide, fondatrice et destructrice, sophistiquée et niaise à la fois. Un mélange parfait, en somme.
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Aluna George – Kaleidoscope Love