Le mate, à la première eau, bien mousseux
Comme
j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises dans ces
colonnes, la notion de patrimoine national est tout juste en train de
prendre forme en Argentine. Dans tous les domaines, matériel,
historique et immatériel. Et cette prise de conscience qui
s'impose progressivement à la classe politique va de pair avec
le processus en cours d'élaboration de l'identité
nationale et de la nation elle-même.
Quand
il s'agit de produits alimentaires, l'Argentine envisage aujourd'hui
ses traditions sous l'angle des marques et la production est
organisée en vue de l'invariabilité du produit fini, ce
que je serais tentée de décrire comme le syndrome du
Lipton Yellow (il faut toujours qu'au même nom commercial soit
associé le même goût, quelles que soient les
circonstances externes). En Europe, et singulièrement en
France, ces mêmes productions sont organisées autour de
la notion de terroir (réel ou prétendu) et, pour
certains produits, notamment le vin, celle du millésime. La
variabilité du produit fini fait authentiquement partie de son
identité gustative et sa tradition gastronomique, quand bien
même la part croissante de l'industrie dans notre alimentation
quotidienne menacerait cet aspect constitutif de nos traditions
identitaires, avec les remous que l'on sait.
En
juillet, le Congrès argentin a voté deux lois pour
faire du vin la boisson nationale et du mate l'infusion nationale.
Ces lois, publiées hier au Bulletin Officiel, créent un
logotype pour chacun des deux produits et obligent l'Etat à
les intégrer dans les manifestations officielles, tant en
Argentine qu'à l'étranger à travers les
ambassades et les consulats. En ce qui concerne le vin, avec quelque
timidité mais il faut un début à tout, la loi
oriente le développement de la viti- et de la viniculture vers
la notion de terroir, là où le marché intérieur
suit donc la logique des marques déposées. Imaginez la
révolution que cela pourrait bien enclencher chez les
consommateurs à terme dans leur façon d'apprécier
et donc d'acheter leur vin. Sans parler de la réorganisation
des linéaires dans la grande distribution !
Pour
le vin, le Ministère de l'Agriculture se voit chargé de
mettre en œuvre un Plan de développement national à
l'horizon 2020, qui comporte l'établissement de normes de
qualité applicables à la production et des actions de
promotion commerciale pour développer l'identité et
l'activité des régions productrices. Bref, le
Gouvernement soutiendra la démarche des professionnels qui se
sont engagés, il y a quelques années, dans
l'amélioration qualitative mais l'ont fait d'abord et avant
tout au profit des marchés d'exportation, beaucoup plus
rentables que le marché intérieur. Pour ce dernier, ces
puissants acteurs économiques le laissent stagner dans un
choix limité de cépages et de techniques de
vinification et les progrès qualitatifs y sont beaucoup moins
sensibles qu'à l'étranger. La production dans son
ensemble est encore très standardisée, ce qui est
d'autant mieux accepté que le consommateur argentin lambda ne
peut en prendre conscience, les vins étrangers restant hors de
prix et donc inaccessibles pour lui. L'idée très
française, voire européenne, que le vigneron s'exprime
à travers son vin ne correspond pas à la réalité
nationale. Cet état de choses va-t-il changer avec cette loi ?
Le secteur choisira-t-il de s'appuyer dessus pour développer
les deux marchés de manière équvalente ?
Pour
le mate, la loi est plus succinte encore et donc plus inopérante.
Elle
se contente de définir le mate comme une boisson faite à
base de yerba mate et d'eau chaude et d'en réclamer l'usage
dans les manifestations officielles à domicile et à
l'étranger. Pas question encore d'envisager des notions de
terroir (et pourtant) ni des normes de production, encore moins
l'établissement à terme de labels, comme il en existe
tant en Europe. On reste dans le syndrome quantitatif du Lipton
Yellow avec une production standard qui applique des cahiers des
charges privés liés aux marques déposées,
très nombreuses, qui se partagent le marché à
travers un nombre limité de grands groupes, lesquels forment
un oligopole et ne laissent guère de place à la
production individuelle et artisanale.
Carlos Gardel dans un coin de faubourg, buvant le mate avec quelques amis
Clarín salue la publication de ces deux lois au Bulletin Officiel de trois brefs articles, un papier général et deux entrefilets, qui relèvent, l'un et l'autre, du publi-rédactionnel. La note sur le vin est signée d'un œnologue travaillant pour la marque Norton (l'un des leaders des gondoles de la grande distribution). Son pendant sur le mate est d'une agronome conseil de la marque CBsé (occupant elle aussi une place respectable dans les rayonnages des supermarchés). Inimaginable en Europe dans la presse d'information générale !
Pour aller plus loin : lire l'article général de Clarín, de la correspondante à Mendoza, capitale vinicole du pays au pied des Andes (la ville dont San Martín avait fait sa capitale en 1814 et dont il développa le vignoble, en mettant lui-même la main au cep) lire l'entrefilet sur le vin (vantant les produits Norton, allez savoir pourquoi !) lire l'entrefilet sur le mate. Consulter le texte de la loi 28.870 sur le vin et celui de la loi 28.871 sur le mate.
Pour une traduction en français de ces documents, vous pouvez vous appuyer sur le service en ligne Reverso, dont le lien se trouve dans la rubrique Cambalache (casí ordenado), dans la partie basse de la Colonne de droite. Un peu plus haut dans cette même colonne, vous disposez d'un site français de vente en ligne de produits argentins, vins et yerba mate, presque toutes les marques, www.yerba-mate.fr.