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Frédéric Vigne: L'ours

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

par Frédéric Vigne

photo Frédéric Vigne

L'ours a ceci de formidable, c'est qu'il n'est amical, ni bien élevé. Il n'a même pas pour lui cette sensualité ambiguë qu'ont les félins et qui met le rose aux joues à certaines femmes. Il incarne l'altérité la plus radicale, la nature la plus sauvage. Imprévisible, il ne se laisse plus dompter dès lors qu'il devient adulte.

On lui attribue une bonne partie des pêchés capitaux: la gloutonnerie, la paresse, la luxure, la colère. On lui colle des caractéristiques humaines car de par son apparence, il réveille en nous cet étrange écho primal que des siècles de contrition sociale et religieuse ont refoulé au plus profond de nos inconscients.

On disait jadis qu'il séduisait les pucelles et bien des enfants-ours peuplent les légendes de nos montagnes. Les guerriers prouvaient leur bravoure en se mesurant à lui en un duel singulier, certains montaient à l'assaut revêtus de sa peau ensanglantée. Il engage rarement le combat mais le mène jusqu'au bout, jusqu'à l'ultime tragédie. Il est cette force brutale qui sommeille en chacun de nous. Roi déchu de nos forêts, bouc émissaire de nos impuissances, on l'anthropomorphise pour mieux le stigmatiser.
Il ne sera jamais domestiqué, n'obéira jamais à nos règles. Sa solitude splendide en fait le négatif absolu de l'être social que nous sommes. Il mène seul ses combats, panse seul ses blessures, et c'est sans dire au revoir à personne qu'il meurt.
Il est le Juif des animaux, l'exclu par excellence, celui qu'on ne peut assimiler. On lui laisse le choix entre le zoo-ghetto ou la solution finale.
Il est impuissant face à l'acier ou le béton. Son monde a lui n'a pas la complexité du nôtre. Il n'est ni heureux, ni malheureux en liberté. Il est simplement vivant.
Il ne réclame ni amour ni compassion. Il ne cherche ni asile ni protection. Il ne consolera pas les pleurs d'un enfant comme un chien le ferait, il ne montera pas sur les genoux de la vieille sur son fauteuil tel un gros matou.
Il n'a que faire des légendes que l'on a tricotées en son nom et qui ne sont jamais que les reflets de nos propres fantasmes et de nos propres peurs. Il n'a que faire de nos débats sur la biodiversité. Il n'essaie pas de justifier sa présence au sein de la Création. Il n'est sur Terre ni pour tuer nos moutons, ni pour les épargner.
L'homme n'a qu'une chose à lui offrir qui lui soit vraiment précieuse: son absence. Même son respect, il s'en balance."
Frédéric Vigne
Free-lance photographer


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