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Impressions de Richelieu : Dove ne vai, crudele – Ensemble Il Festino

Publié le 08 août 2013 par Jeanchristophepucek
Il Festino août 2013

Il Festino, 4 août 2013
Photographie de Nicolas Boyer

Le Festival de Musique de Richelieu est un festival de fidélités, ce qui explique sans doute en grande partie pourquoi on y revient chaque année avec un plaisir sans mélange. Je vois d'ici certains sourcils se soulever dédaigneusement en se disant que l'on va tenter de leur « vendre » une manifestation encore relativement méconnue se déroulant dans une partie de province un peu écartée et malaisément accessible — sur ce point, il est exact qu'un petit effort des pouvoirs publics serait le bienvenu. « Venez et voyez » (et surtout écoutez) ai-je envie de répondre à tous ces froncés, venez flâner sous les arbres du parc et goûter à une programmation éclectique et soignée qui, à côté de vedettes confirmées régulièrement invitées comme François-René Duchâble ou Jordi Savall, sait aussi donner sa chance à des talents prometteurs.

Il Festino, que l'on avait entendu en 2011 chanter les délices du vin et de l'amour dans un Dôme transformé un instant en taverne XVIIe, n'est plus à proprement parler l'ensemble encore en devenir qu'il était alors. Un premier disque très réussi et salué comme tel, des concerts accueillis avec enthousiasme par le public ont fait connaître son nom et l'ont imposé parmi ceux que distingue la qualité de leur travail sur le répertoire baroque. C'est d'ailleurs une grande partie du programme de leur premier enregistrement que les musiciens réunis autour de Manuel de Grange, les dirigeant du luth, du théorbe ou de la guitare, ont repris lors du concert qu'ils ont donné ce 4 août 2013 dans la superbe chapelle de Champigny-sur-Veude à un (fort) jet de pierre de la cité du Cardinal. Disons-le tout net, le seul bémol de cette prestation aura été le lieu où elle se déroulait, car s'il constitue en soi un écrin de rêve, son acoustique réverbérée n'est pas adaptée à un répertoire pensé pour des salons, si hauts de plafond soient-ils par ailleurs, et l'on espère vivement que les organisateurs du festival auront à cœur de proposer, à une échéance pas trop lointaine, des œuvres entrant plus naturellement en résonance avec cet édifice. Ceci posé, Il Festino a été à la hauteur de sa réputation et a offert un concert de toute beauté qui a permis de mesurer le chemin qu'il a parcouru en l'espace de deux ans. L'ensemble, dont le niveau de départ était déjà très bon, a progressé sur tous les plans, il a gagné en grain, en puissance, en liberté, en sensualité sans rien perdre de la finesse et du sérieux qui caractérisent ses interprétations. Les deux chanteurs se sont libérés et osent aujourd'hui une expressivité qui fait paraître les pièces gravées au disque presque timides ; la voix de Dagmar Saskova, déjà parée de bien des séductions, s'est épanouie et allie aujourd'hui idéalement puissance, couleurs et nuances, autant de qualités qui lui permettront, je l'espère, d'accéder à la reconnaissance qu'elle mérite, tandis que celle de Francisco Javier Mañalich, qui tient par ailleurs avec beaucoup d'engagement un des deux pupitres de viole de gambe, s'est affermie et a conquis la rondeur qui lui faisait jusqu'ici un peu défaut. Outre leur maîtrise technique, ce qui est apparu le plus évident chez les deux solistes est leur bonheur d'interpréter ces airs et leur volonté d'en faire vivre chaque inflexion, intention totalement partagée par le gambiste Ronald Martin Alonso, aux phrasés pleins d'élégance et à la sonorité chaleureuse, et, bien sûr, par Manuel de Grange, capable de tisser des atmosphères rêveuses au théorbe ou au luth mais aussi d'enflammer les débats dès qu'il se saisit de sa guitare, sans jamais, pour autant, perdre de vue la cohésion de l'ensemble qu'il dirige.

Qu'il explore des madrigaux ultramontains du tout début du Seicento (d'India, Luzzaschi), qu'il s'attache aux airs italiens composés par les Français Moulinié, Bataille et Boesset ou aux espagnolades de Gaspar Sanz ou de José Marín, Il Festino donne à entendre le XVIIe siècle que l'on aime, tour à tour festif et mélancolique, sensuel et décanté, précieux sans pédanterie, charnu et théâtral sans jamais forcer ses effets, un XVIIe plein d'un raffinement qui n'exclut pas le naturel et sonne juste, car il est cohérent avec ce que laissent voir ou lire les autres formes artistiques de la même époque. C'est sans doute pour toutes ces raisons qu'à l'instar du Festival de Richelieu, que l'on remercie d'avoir mis cet ensemble à l'honneur, on prendra toujours plaisir à revenir vers lui.

Festival de Musique de Richelieu 2013
Festival de musique de Richelieu, Champigny-sur-Veude, 4 août 2013

Dove ne vai, crudele, airs italiens sous Louis XIII : airs et madrigaux d'Étienne Mouliné, Antoine Boesset, Gabriel Bataille, Sigismondo d'India, Luzzasco Luzzaschi, José Marín. Pièces instrumentales de Girolamo Frescobaldi, Giovanni Kapsberger, Gaspar Sanz

Ensemble Il Festino
Manuel de Grange, luth, théorbe, guitare & direction

Rappel discographique :

moulinie boesset air italien louis XIII saskova il festino
L'air italien en France au temps de Louis XIII. 1 CD Musica Ficta MF8014 qui peut être acheté en suivant ce lien.

Extraits proposés :

1. Gaspar Sanz, Canarios

2. Étienne Moulinié, Orilla del claro Tajo


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