Ci-dessous article paru dans libération.fr
Objectif mère
Guillemette Faure. Cette journaliste de 41 ans refuse de subordonner son désir de maternité aux atermoiements masculins. Son attitude, originale en France, détonne.
Chez elle, il n’y a pas encore de chambre de bébé. Pas de jouets emballés, pas de doudou qui attende un destinataire. D’ailleurs, il faudrait qu’elle déménage. Pour plus grand. Elle n’est pas enceinte. Et elle est toujours célibataire. Mais c’est une femme habitée par un désir d’enfant à l’heure du tic-tac de l’horloge biologique. Comme beaucoup. Sauf qu’elle en parle sans complexes, en bousculant les certitudes et les prudences de la société française. Il y a peu, Guillemette Faure a réalisé qu’elle préférait un enfant sans mec qu’un mec sans enfant. A l’aube de ses 40 ans, elle s’est lancée : elle ferait un bébé toute seule. Pour l’instant, elle a accouché d’un livre.
Guillemette a vécu douze ans à New York où elle était journaliste. Une ville sans vieux, sans enfants, où les couples ne durent pas et où les célibataires sont à la fête. «C’est facile d’y vivre sans se rendre compte qu’on n’est pas dans la norme, et sans véritable manque, dit-elle. S’il n’y avait pas les anniversaires, j’aurais pu rester longtemps comme ça. Et puis tout d’un coup, on se dit : "Oh! lala! je n’ai pas encore d’enfant. Si j’en veux, ça va être serré".»
Guillemette pensait que la maternité était une étape naturelle «entre le bac et les cheveux blancs». «Avant de réaliser à 35, 36 ou 38 ans qu’on a tout simplement oublié d’avoir des enfants», écrit elle. Dans ce cas, il vaut mieux habiter dans l’East Village à New York où «l’adoption en "single" est possible, où les enfants des couples gays font peu de vagues», plutôt qu’en France où le «regard est plus conservateur sur la famille, qu’on imagine toujours façon Ricoré».
Aux Etats-Unis, Guillemette a parlé de son projet avec ses copains plus facilement qu’elle ne s’est confiée à ses amis français. Elle s’est inscrite dans un groupe de parole et d’entraide, «Single Mothers by Choice» (mères célibataires par choix) où chacune porte une étiquette : thinkers (celles qui y pensent), tryers (celles qui essayent), etc. Quand elle a débarqué, qu’a-t-elle vu ? «Pas des décérébrées de 20 ans, pas des femmes très âgées, des filles de 35-40 ans.» Des filles comme elle, quoi. Pas d’ambitieuses wonderwomen avides de monter en grade plutôt que de grimper aux rideaux.
Guillemette aime les voyages, les livres de cuisine, le jogging (elle a couru quatre fois le marathon de New York). Elle se vante plus facilement d’avoir dormi dans 48 des 50 Etats d’Amérique que d’avoir sorti un scoop fracassant. Définitivement plus papillon que talons aiguilles. En France, son désir d’avoir un enfant seule a soulevé pas mal de «réprobation morale». On lui a dit que c’était une manière de «se foutre des pères». Et que son comportement était «égoïste». Elle s’énerve :«Faut relativiser, ceux qui font un enfant en couple, ce n’est pas non plus pour sauver le monde.» Pas faux. Et pour que ce soit bien clair, elle ajoute, avec un regard franc : «Je ne demande pas la permission.»
Aux Etats-Unis, Guillemette a bénéficié de cet avantage : la procréation assistée (relevant du secteur privé) n’est «pas seulement une réponse médicale à une demande médicale».En France, au contraire, l’insémination est réservée aux couples (hétérosexuels) confrontés à des problèmes d’infertilité.
Guillemette n’a pas toujours été célibataire. Mais son dernier fiancé, américain, ne voulait pas d’enfant. «Quand il envisageait son avenir, il se voyait plutôt aller à vélo de la Turquie au Vietnam. Du coup, j’avais du mal à prendre notre couple au sérieux», explique-t-elle. Ils se sont séparés quand elle avait 35 ans. Le type est parti trois ans à Bagdad.
A New York, elle cherche d’abord un «KD» (known donor, donneur identifié). Pourquoi pas Pierre, un copain qu’elle héberge alors ? Un soir, elle se sert une vodka-cranberry et se lance. «Je lui ai demandé s’il voyait un inconvénient à me faire un enfant comme je lui aurais demandé de m’aider à remettre la chaîne d’un vélo», raconte-t-elle sans pathos. Refus. «J’aurais fait pareil», avoue-t-elle aujourd’hui. A Paris, elle entend de délicieux conseils d’amis. Genre : «Mais pourquoi tu ne te trouves pas un bon gars ?» «Comme si c’était un poste à pourvoir», souffle-t-elle. Un médecin évoque la possibilité «de se faire sauter au Club Med». Elle s’étonne : «Comme si, moralement, c’était plus glorieux de rouler quelqu’un dans la farine.» Guillemette a le pragmatisme des Américains. «Si on cherche un donneur, mieux vaut des gens qui signent des contrats pour cela.»
A Manhattan, elle se décide pour une banque de sperme, «à trois minutes à vélo» de chez elle. Elle s’attend à un entretien avec un médecin ou avec un psychologue. La seule question vient de la standardiste : «Quel donneur voulez-vous?» Guillemette consulte le catalogue. On y trouve la race, la couleur des cheveux, des yeux, la taille, mais aussi les diplômes et si le don a déjà donné lieu à une grossesse. «Ça peut sembler grotesque mais il faut quand même se décider sur un critère, c’est difficile de faire comme si on n’avait pas les infos.» Elle a «mauvaise conscience de choisir», mais opte pour le numéro 305. «Dans ses quelques lignes de présentation, il écrivait qu’il fumait des pétards. Je me suis dit : "Au moins, celui-là, il est honnête".» Elle revient le jour de son ovulation. Cela lui coûte 500 dollars (320 euros). Certaine que ça va marcher, elle se sent «comme un bibelot en porcelaine» dans le taxi qui la ramène. Elle se retient d’éternuer, ne boit plus une goutte d’alcool pendant un mois. Puis recommence le cycle d’après. Quatre, cinq fois. Elle est discrète sur les échecs. Rien n’est lacrymal dans son récit. On devine les déceptions. Elle préfère dire qu’«entre stimulation hormonale et surveillance du calendrier, c’est présent à l’esprit, tout le temps». Avoue juste qu’il est «difficile» de décider quand s’arrêter. Elle a même fait une FIV (fécondation in vitro) en Belgique avant de s’installer à Paris. «Comme ça, j’ai fait tout ce que j’ai pu.»
Après ces essais infructueux, elle a engagé une procédure d’adoption. Elle vient d’obtenir l’agrément. C’est même exactement pour ça qu’elle a quitté New York, car c’est en France qu’elle s’imagine élever un enfant. Même si, d’ici, elle continue de se passionner pour les primaires, et pour son favori, Obama. Ses parents étaient au courant de sa demande d’adoption en solo. Mais elle ne s’est pas étendue sur l’intégralité de ses démarches alors qu’ils sont très liés. La famille a vécu en banlieue parisienne, à Detroit, dans les Vosges, à Chartres, pour suivre un père ingénieur chez Chrysler. Ils étaient trois enfants. Elle parle avec nostalgie des voyages dans la camionnette «jaune citron et vert bouteille» . Elle n’a «jamais passé un seul jour en colo». Ses parents ont huit et dix frères et sœurs. Imaginez les étés pleins de mômes. «J’ai adoré ça. C’est là qu’on apprend que rien n’est linéaire. Qu’il y a les gays, les divorcés, les remariés. On ne peut pas se fier aux apparences, ça rend vachement indulgent.»
Elle parle longuement, sans s’arrêter. Elle a réfléchi à tout. Seul moment de trouble et de silence : quand on lui demande si elle imagine que, peut-être, elle n’aura pas d’enfant. Réponse : «Non.»
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