Magazine Culture

My Dark Angel – Chapitre 37

Par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete
Angel

Leurs visages ensanglantés et leurs regards vitreux m’apparaissaient avec une netteté troublante. Je pouvais même sentir cette odeur de mort qui s’en dégageait et flottait autour d’eux. Je me voyais courir pour échapper à ces hommes, tous morts en quelques semaines pour avoir osé s’en prendre à moi. Malgré mes efforts, ils se rapprochaient inexorablement. Je débouchai à bout de souffle dans cette ruelle sombre où Delanay s’était ôté la vie. Il m’y attendait lui-aussi. Lui, et Derek également, la gorge barrée d’une plaie béante.

Je m’éveillai en sursaut et ouvris brutalement les yeux pour les refermer aussitôt. La lumière crue des néons qui me surplombaient m’aveuglèrent. Je tentai de me redresser mais une vive douleur à l’épaule me cloua à nouveau sur le lit. J’étouffai une plainte derrière mes lèvres closes et aussi sèches que du papier de verre.

— Restez tranquille ! m’intima doucement une voix féminine inconnue en replaçant l’oreiller derrière ma tête. Votre opération s’est bien passée mais vous devez vous tenir tranquille et arrêter de vous agiter.

J’entrouvris les paupières pour distinguer mon interlocutrice. La jeune infirmière s’activait autour de mon lit avec une énergie qui laissait deviner son empressement d’en finir avec moi et de rentrer chez elle. Les yeux cernés et les traits tirés qu’elle me présenta en s’approchant de moi pour replacer le tensiomètre autour de mon bras valide témoignaient de la longue garde qu’elle avait effectuée.

— Quelle heure est-il ? demandai-je quelque peu désorientée et perdue.

Après l’arrivée de Derek dans la ruelle, ma blessure avait eu raison du peu de forces dont je disposais encore. J’avais perdu beaucoup de sang. J’avais bientôt sombré dans un brouillard au travers duquel j’avais entendu confusément la voix de Derek qui s’excusait en boucle en attendant les secours. J’ignorai même dans quel hôpital on m’avait conduite, ni depuis combien de temps j’étais là.

— Il est six heures du matin. Des inspecteurs de police sont déjà venus pour vous interroger mais le médecin les a renvoyés. En revanche, on n’a pas réussi à déloger votre ami de la salle d’attente.

— Mon ami ?! m’exclamai-je avec l’espoir un peu vain qu’Elijah soit déjà de retour.

— Celui qui vous a accompagnée jusqu’ici. Le brun aux yeux bleus.

Je grimaçai de contrariété. Je me demandais bien ce que cet imbécile fichait encore là, à attendre de se faire tuer au lieu de disparaître au plus vite. J’étais tellement furieuse contre lui que je me serais bien chargée de cette tâche moi-même.

— Je peux le voir ?

— Les visites sont interdites le matin.

Son ton était sans appel mais j’insistai malgré tout.

— Je vous en prie c’est important. Quelques minutes seulement.

Devant mon air suppliant, elle considéra un instant ma demande en jetant des regards à la dérobée vers la porte de la chambre comme si elle craignait d’être surprise au moment où elle m’accorderait cette faveur.

— Pas longtemps alors, me chuchota-t-elle.

Je la remerciai d’un sourire. Elle disparut de la chambre et je restai seule un moment le regard perdu par la fenêtre sur laquelle dévalait toujours la pluie. Les effets de l’anesthésie commençaient à se dissiper. Mon bras, maintenu par une écharpe, me faisait souffrir et un martèlement incessant me résonnait dans les tempes. Il m’empêchait de réfléchir à tout ce qui était arrivé et ce n’était pas plus mal. Les cauchemars qui allaient me hanter se chargeraient à merveille de me rappeler à la réalité.

J’ignorais encore comment réagir face à Derek. Une part de moi était furieuse contre lui et me poussais à le chasser définitivement de ma vie dès qu’il franchirait cette porte tandis que l’autre ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter du sort que le vampire lui réserverait s’il l’apprenait. Mentir à l’homme que j’aimais pour protéger celui qui avait failli mourir en me venant en aide ou le laisser assumer les conséquences de sa stupidité, j’étais en pleine indécision lorsqu’il pénétra dans la chambre avec l’air penaud et embarrassé d’un adolescent rentré trop tard d’une soirée et qui s’attend à une remontée de bretelles. Si j’avais pu lui balancer quoi que ce fût à la figure à ce moment-là, je l’aurais fait.

Il se planta devant le lit, ses yeux clairs et cernés baissés sur mes pieds. Il avait perdu de sa superbe en quelques heures. Il n’avait manifestement pas quitté l’hôpital. Ses vêtements, trempés par la pluie, n’étaient pas entièrement secs et étaient froissés. Il fourragea une main dans ses cheveux sombres en bataille et se racla la gorge avant de m’interroger d’une voix mal assurée.

—  Comment te sens-tu ?

— Trahie. Et j’ai mal aussi, répondis-je froidement.

— Je suis vraiment dé…

— Derek ! Si tu t’excuses encore une fois, je ne réponds plus de rien ! l’avertis-je excédée par cette litanie qu’il me servait depuis des heures.

Je n’avais que faire de ses excuses. Je voulais des explications.

— Comment as-tu pu faire une chose pareille ?

Il inspira difficilement comme si un poids lui comprimait la poitrine.

— Delanay est venu à New-York quelques semaines avant le retour d’Elijah. Il savait qu’il revenait chaque année. Il m’a exposé son plan. Il a fait pression sur moi en me menaçant d’un contrôle fiscal et de dénoncer certaines de mes affaires pas très nettes. Quand Elijah est arrivé, j’ai lâchement joué sur les deux tableaux : j’envoyais des renseignements à Delanay et en même temps j’essayai de faire comprendre à Elijah qu’il fallait qu’il parte au plus vite mais il n’a rien voulu savoir. Et puis Delanay est arrivé et c’était trop tard.

— Tu aurais pu lui la vérité. C’était ton ami, il te faisait confiance !

Il releva brusquement le nez comme si je venais de le gifler.

— Tu es sérieuse ? Tu trouves vraiment que cela ressemble à une amitié ? Nous n’avons jamais été amis ! Il ordonne et j’obéis: cela n’a jamais été rien d’autre, s’indigna-t-il la mâchoire crispée.

Il se mit à arpenter nerveusement la chambre, ses deux mains croisées à l’arrière de son crâne avant de se planter devant la fenêtre. Il faisait encore nuit noire dehors et je pouvais apercevoir son reflet dans la vitre. Il était tendu. Ses lèvres pincées tremblaient légèrement, s’entrouvraient pour se refermer aussitôt. Il cherchait ses mots, hésitait. Pour l’avocat loquace qu’il était, c’était assez inhabituel.

— Tu te rappelles le soir de Noël quand je t’ai raconté que je l’avais haï pendant longtemps ?

— Je me rappelle aussi que tu voulais me convaincre que c’était un type bien à qui tu devais tout.

— C’est exact. Et c’est bien cela le problème.

Il s’interrompit assez longtemps pour échauffer un peu plus mon impatience.

— Explique-toi bordel ! lui intimai-je après de longues secondes d’un silence contemplatif des plus exaspérants.

— Je le connais depuis mes dix ans mais je n’ai vraiment su ce qu’il était que lorsque ma mère est morte. Il n’était alors pour moi qu’un ami de mon père ; un type froid et distant qui venait chaque année toujours à la même période et disparaissait presque aussitôt.

Il se retourna brièvement vers moi avec un discret sourire.

— Maintenant, je sais pourquoi, enchaîna-t-il en interrompant le fil de son récit.

— Continue, l’encourageai-je.

— Quand ma mère s’est tuée dans un accident de la route, mon père était dévasté. Il est resté prostré pendant des semaines, n’avait plus le goût à rien et se fichait bien de savoir ce que je pouvais ressentir ou faire tant que je lui fichais la paix. J’avais alors 14 ans et une totale liberté. Je faisais ce que je voulais, rentrais quand bon me semblait et fréquentais qui je voulais. Tu te doutes bien que ce ne sont pas les premiers de la classe que j’ai pris pour modèles.

Il lâcha un ricanement sans joie.

— Et puis un jour il est revenu de manière tout à fait prévisible.  Il a secoué les puces de mon père et a entrepris de restaurer quelques règles de base comme instaurer un couvre-feu et bannir le « va te faire foutre » de mon langage.

Il gratta machinalement sa joue mangée par une barbe naissante et je surpris la grimace qu’il contint difficilement à ce souvenir.

— Il est resté plusieurs mois à New-York cette fois-là : jusqu’à ce que mon père se reprenne en main et que je retrouve un semblant d’équilibre. Mais cela ne durait jamais très longtemps malheureusement. Dès qu’il repartait, je me remettais à faire n’importe quoi, et ce, jusqu’à ce qu’il revienne encore et me saoule à coup de leçons de morale. Mais quand mon père est mort, il s’est lassé des discours et à opter pour un procédé plus radical. Il m’a flanqué une correction mémorable avec son flegme habituel, sans se presser et avec méthode. Rien qui puisse me blesser gravement mais suffisamment efficace pour je me retrouve cloué au sol, incapable de pouvoir me relever tant chacun de mes membres me faisaient souffrir. Il m’a laissé dans cet état toute une nuit. Ce salopard s’est tranquillement assis et a attendu sans un mot. Il voulait que je ravale ma fierté et que je le supplie de me soigner. J’ai commencé par le traiter de tous les noms possibles et imaginables. Je me suis entêté pendant des heures mais, terrassé par la douleur, j’ai fini par céder. Comme j’ai cédé sur tout le reste après cela. Je l’ai laissé prendre la direction de ma vie. Il me disait quoi faire, comment et quand le faire et j’obtempérais sans rien dire. Et le pire dans tout cela, c’est que pendant longtemps j’ai trouvé cela….

—….rassurant, achevai-je.

Il ne fut même pas surpris de mon interruption. Il se contenta de me sourire à nouveau. Un sourire complice et plein de mansuétude.

— C’est horrible lorsqu’un beau matin, on se réveille et on se rend compte que toute notre vie a été bâtie par un autre même si cela partait d’une bonne intention de sa part.

— Tu as tout ce dont on peut rêver Derek…

— Oui mais dès qu’il a le dos tourné, je m’empresse d’aller me jeter dans des plans tordus qui m’ont fait perdre une fortune. Sans son argent, le cabinet de mon père n’existerait plus depuis longtemps.

— Tu détournes son argent ?! m’exclamai-je outrée.

— Je n’en suis pas fier, crois-mo. Je sais qu’il est au courant mais il ne dit rien. Il se contente de me donner un salaire complètement invraisemblable pour un travail que je ne fais pas comme s’il payait une pute pendant un mois pour ne s’en servir qu’une demi d’heure.

— Et le tuer t’aurait aidé à te sentir mieux, tu crois ? ironisai-je d’une voix étranglée.

— Je ne supporte plus de dépendre de lui. Et puis, on ne peut pas le tuer. Je voulais juste me libérer de son emprise et…

— Et te jeter dans les emmerdes à corps perdu sans qu’on te fasse la morale ? intervins-je brutalement.

Ma remarque le piqua au vif. Il me foudroya du regard et s’approcha du lit pour venir asseoir sur le bord.

— Ne me juge pas : tu es très mal placée pour le faire. Qui est retournée se jeter dans les pattes d’un proxénète dès qu’Elijah avait le dos tourné ?

Je fronçai le nez d’agacement qu’il ait le culot de me mettre face à mes propres erreurs et détournai la tête.

— En imaginant que tu arrives un jour à accepter ce qu’il est, combien de temps te faudra-t-il pour ressentir ce que j’éprouve aujourd’hui ? On se ressemble plus que tu ne le crois Angel, continua-t-il en passant une main sous mon menton pour que je le regarde à nouveau.

Je me dégageai vivement de ce contact.

—  Je me fous de ce qu’il est ou de ce que l’avenir nous réservera. Je l’aime, lui assénai-je de manière abrupte pour le dissuader de poursuivre sur une voie qui commençait à me mettre mal à l’aise.

Une ombre de contrariété plissa son front. Il se leva et reprit place à l’extrémité du lit, le visage fermé.

— J’ai raconté à la police que Delanay et Brian étaient mêlés aux trafics de Tony, que Charlène et toi l’aviez découvert et que vous m’en aviez fait part. La police a arrêté Brian il y a une heure pour agression et trafic de stupéfiants. Delanay va passer pour un flic ripoux mentalement dérangé. Je suis resté assez vague et je n’ai pas parlé d’Elijah. Je vais détruire tous les documents que m’avaient remis Delanay et qui le relient aux meurtres de Tom et de Greg. Maintenant, libre à toi de confirmer ou non ma version des faits. Je n’en ai, de toute manière, plus rien à foutre, conclut-il en se dirigeant vers la porte.

J’ignorais si ce fut cette résignation soudaine que je lus dans son regard avant qu’il ne me tourne le dos ou de constater qu’il continuait malgré tout à couvrir les arrières de cet homme qu’il prétendait haïr, toujours est-il que je pris à ce moment-là une décision que j’allais probablement regretter tôt ou tard.

— Je ne lui dirai rien, lui assurai-je alors qu’il allait franchir le seuil de la porte.

Il se figea et tourna vers moi un visage surpris.

— Tu n’es qu’un crétin mais je préfère avoir un mensonge sur la conscience plutôt que ta mort.

— C’est inutile. Je vais l’appeler et tout lui dire.

Je portai une main lasse à mon front. J’avais l’impression que ma tête allait exploser.

— Tu l’as manipulé pendant des semaines et trahi. Tu penses vraiment que tu vas t’en sortir avec un coup de pied au cul et une leçon de morale cette fois ?

Il exhala brusquement et porta lui-aussi ses deux paumes à ses tempes et enserra sa tête. Il était en pleine confusion, aussi perdu que je pouvais l’être.

— On partira de New-York dès qu’il reviendra. Ne dis rien et j’en ferai autant.

— Et s’il l’apprend ? Et s’il se rend compte que tu lui as menti ?

— Je m’en sortirai avec un coup de pied au cul et une leçon de morale. Quant à toi, tu n’auras plus qu’à courir très vite, répondis-je avec une désinvolture de pure façade.

En réalité, tout cela m’angoissait et me répugnait plus que tout. Je n’étais pas certaine de pouvoir maîtriser mes émotions pour qu’il ne soupçonne rien ni cacher cette culpabilité qui me nouait déjà la gorge rien qu’à l’idée de lui mentir.

— Fous le champ maintenant ! Je ne veux plus te revoir ! le congédiai-je sans ménagement avant de me mettre à douter et de changer d’avis.

Il me remercia du bout des lèvres et disparut dans le couloir sans un mot de plus.

Dehors, la pluie avait cessé son martèlement incessant sur les vitres. Je devinai les premières lueurs de l’aube, diffuses, derrière les sillons de l’eau qui coulaient sur la surface lisse. Je tendis mon bras valide vers la table de chevet pour atteindre le téléphone et composai son numéro. Il décrocha après plusieurs sonneries mais ne prononça pas un mot. Peut-être me croyait-il morte lui-aussi ?

— Elijah ? murmurai-je.

Je l’entendis expirer bruyamment.

— Dépêche-toi de revenir, le suppliai-je avant de fondre en larmes.

Jamais je ne m’étais sentie aussi épuisée et accablée qu’à cette minute. Je n’aspirai plus qu’à l’avoir auprès de moi, me réfugier dans ses bras et qu’il me fasse oublier ces derniers jours. Oublier Delanay, Derek, Tom, Greg pour ne garder que le souvenir de nos étreintes, de nous deux. Uniquement nous. Je me laissai bercer par le son grave et bouleversé de sa voix à l’autre bout du fil. Il me pressait de questions auxquelles je ne parvenais à répondre que par bribes de phrases. L’infirmière entra et me sermonna. Elle me prit le combiné des mains. Je l’entendis lui donner quelques informations sur mon état et je sombrai dans un état comateux.

~*~

Au cours de la matinée, mon état empira soudain. Terrassée par la fièvre, je ne parvenais même pas à garder les yeux ouverts. La nuit succéda à nouveau à une journée morne et sombre et il n’était toujours pas là. L’obscurité avait envahi peu à peu ma chambre. Les antibiotiques qu’ils m’avaient administrés pour traiter l’infection avaient fait légèrement baisser la fièvre. Je sommeillai à moitié lorsque je sentis le matelas s’affaisser légèrement à mes côtés. Ses mains glacées vinrent se poser sur mes joues brûlantes. L’effet en fut si saisissant que j’en eus le souffle coupé.

— Je suis là, murmura-t-il tout près de ma bouche avant d’y déposer ses lèvres.

Un baiser bref, à peine un effleurement, qui m’arracha une plainte de frustration. Je n’arrivais pas à distinguer ses traits dans la pénombre. Il était une ombre penchée sur moi et que je mourrais d’envie d’étreindre si seulement j’en avais eu la force. J’agrippai le col de son manteau pour l’attirer à nouveau à moi.

— Fais-moi sortir d’ici ! Je veux qu’on s’en aille !

— Angel, tu n’es pas en état de sortir d’ici, me répondit-il en posant une main sur mon front.

Il essuya du plat de la main cette sueur froide et désagréable qui perlait le long de mes tempes et dont mon corps entier était recouvert depuis des heures.

— S’il te plait ! Je ne veux pas rester dans cet hôpital!

Je l’entendis soupirer. Je devinais sa réticence à me faire sortir de cet endroit alors que je n’étais même pas censée tenir sur mes jambes. Il se redressa quelques secondes. Je perçus ses mouvements dans le noir puis je le sentis à nouveau tout contre moi. Son pouce humide caressa mes lèvres craquelées avant d’en forcer doucement l’entrée. Le goût familier de son sang se répandit dans ma bouche. Je le lapai jusqu’à la dernière goutte. Il ne tarda pas à faire son œuvre. La douleur qui me vrillait l’épaule et la tête s’estompa. Quand elle eut totalement disparu, je me redressai comme un diable de sa boîte et me débarrassai avec des gestes impatients de cette attelle qui entravait mon bras.  Enfin libérée, je me jetai à son cou et le serrai contre moi à l’en étouffer. Maintenant qu’il était là, je voulais absolument croire que tout était fini, que, là, dans ses bras je ne risquais plus rien.


Retour à La Une de Logo Paperblog