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"Desperate Romantics" (BBC, 2009)

Par Alexandra Bourdin @bouteillemer

John-Everett Millais (Samuel Barnett), Dante-Gabriel Rossetti (Aidan Turner) et William Holman Hunt (Rafe Spall)

Desperate Romantics, mini-série BBC de 6 épisodes (60′) produite en 2009 avec Aidan Turner, Samuel Barnett, Rafe Spall, Sam Crane, Tom Hollander, Amy Manson, Zoe Tapper et Jennie Jacques.

Dante Gabriel Rossetti, La Ghirlandata (1871-1874)

La première fois que j’ai eu en main le travail envoûtant des Préraphaélites, et surtout celui de Dante Gabriel Rossetti, a dû coïncider avec ma lecture des romans de Jane Austen grâce aux couvertures 10/18 de toutes leurs éditions qui correspondent chacune à un tableau de Rossetti, notamment Raison & Sentiments avec La Ghirlandata  

Je n’ai jamais très bien saisi le lien entre Jane Austen et les Préraphaélites (et je crois honnêtement qu’il n’y en a pas) mais l’esthétisme de ces tableaux, entre réalisme et imagination, m’a toujours séduit et c’est donc tout naturellement que j’ai relevé le défi de regarder Desperate Romantics, un biopic sur la Pre-Raphaelite Brotherhood.

Dante Gabriel Rossetti (Aidan Turner)

D’emblée, le personnage de Rossetti, joué par Aidan Turner (un certain Kili dans The Hobbit, vous savez ce film où pour la première fois, les nains sont sexy ?), est au centre de Desperate Romantics surement pour son charisme, sa personnalité haute en couleur et joviale. Mais, même si lhistoire de Gabriel est nettement plus exploitée que celles des autres (peut-être parce qu’on sait plus de choses sur sa vie et qu’elle est beaucoup plus intimement liée à son oeuvre), Desperate Romantics est bien une mini-série sur la confrérie préraphaélite presque au complet, peintres et critiques, artistes, Muses et mécènes : les fondateurs "Johnny" Millais, "Maniac" Hunt et Gabriel Rossetti ; Lizzie Siddal, Annie Miller, Effie Ruskin et Jane Burden les quatre modèles "maîtresses" ou encore le grand John Ruskin qui va rendre célèbres et populaires la Pre-Raphaelite Brotherhood.

Lizzie Siddal (Amy Manson)

Après un très bel et très engageant opening credits avec des touches de peinture plus colorées les unes que les autres, on rencontre rapidement la première Muse des Préraphaélites, Lizzie Siddal (Amy Manson) dans une scène pour le moins envoûtante où elle sort de la boutique de chapeaux où elle travaille et où elle dénoue ses magnifiques cheveux roux.

John-Everett Millais, Ophelia (1852)

Si Lizzie est la muse presque exclusive de Rossetti, Elizabeth Siddal a surtout donné ses traits au tableau  préraphaélite le mieux connu (je l’espère), Ophelia de John-Everett Millais. Je ne connaissais pas l’histoire de sa production et le danger qu’a couru Lizzie pour poser ce magnifique tableau. Imaginez que ce tableau a été peint en plein hiver, dans l’atelier de Millais et que Lizzie a dû poser de longues heures toute habillée dans une baignoire remplie d’eau, seulement réchauffée par des bougies en dessous du tube. Desperate Romantics a forcément légèrement plus dramatisé cette scène mais absorbé par son travail (et par quelques rêveries mettant en scène la splendide Effie Ruskin dans la série), les bougies n’ont pu que s’éteindre sans qu’il s’en aperçoive et sans que Lizzie, en parfait modèle, ne se plaigne de quoi que ce soit. Dans la série, bien sûr, il a fallu rajouter une noyade avortée dans la baignoire mais Lizzie Siddal a vraiment gagné une bonne pneumonie, écourtant brièvement sa carrière de modèle.

Annie Miller (Jennie Jacques)

J’ai toujours été fascinée par les chevelures auburns des modèles préraphaélites et j’ai eu mon compte dans cette série de belles rousses non seulement Lizzie mais aussi Annie Miller (Jennie Jacques), une autre modèle, peut-être moins sympathique que Lizzie, mais dont l’histoire rocambolesque, coquine et artistique avec William Hunt a de quoi pimenter cette série ! Anciennement une simple serveuse dans l’auberge que fréquentent les trois peintres, elle va surtout poser pour Hunt qui va même lui enseigner quelques bonnes manières pour devenir sa femme. Mais, vu la demoiselle et l’impulsivité du peintre, rien ne dit que leur engagement va ou non aboutir…. Ce qui est sûr, c’est qu’Annie a de nombreuses cordes à son arc et qu’elle ne se laisse pas marcher sur les pieds, au point de gifler Hunt devant toute l’Académie  pour l’avoir vexée.

William Holman Hunt, The Awakening Conscience (1853)

Le tableau le plus représentatif de la relation entre Annie et Hunt est surement l’un des meilleurs de William Holman Hunt, The Awakening conscience sur le thème de la femme déchue, de la maîtresse (voire de la prostituée) qui aspire à une meilleure vie et cette seule aspiration transfigure le visage du personnage féminin qui, comme l’oiseau qui essaye de s’échapper par la fenêtre, regarde intensément le monde au-dehors à travers cette fenêtre qu’on voit se refléter dans un miroir, le miroir de sa propre conscience. Rien n’est idéalisé, tout est cosy et les moindres détails ramènent à la vie moderne la plus banale entre cette maîtresse et son protecteur qui la tient captive chez lui et dans ses bras.

Mais ce que Desperate Romantics nous aide à nous souvenir, c’est que les Préraphaélites n’ont pas seulement voulu révolutionner l’art conventionnel de leur époque mais aussi, grâce à de talents complets, ils ont marqué leur époque toute entière en poésie comme Gabriel Rossetti mais aussi en faveur des femmes non seulement en s’intéressant dans leur tableaux à la place de la femme mais aussi à leur sort dans la société, particulièrement les prostituées, chose qu’on retrouve dans la série avec le dispensaire créé par Charles Dickens et qu’Hunt participe à faire connaitre, quitte à se prendre quelques gifles de plus !

Mais ce qui m’a vraiment touché, c’est le talent de poète de Rossetti que je ne soupçonnais pas et quel honte qu’il ne soit pas assez connu en France, sans aucune bonne traduction digne de ce nom. Grâce à Virginia Woolf, j’avais déjà entendu parler de l’oeuvre poétique de sa soeur, Christina Rossetti, et j’ai pu d’autant plus savourer quelques pièces parmi l’oeuvre très productive de Gabriel, notamment "Sudden Light" parfaitement mis en scène et déclamé dans la série. Et quand on en lit, on a envie de tous les connaitre !

SUDDEN LIGHT

By D.G. Rossetti

 I HAVE been here before, 
              But when or how I cannot tell: 
          I know the grass beyond the door, 
              The sweet keen smell, 
    The sighing sound, the lights around the shore.

          You have been mine before,— 
              How long ago I may not know: 
          But just when at that swallow’s soar 
              Your neck turned so, 
    Some veil did fall,—I knew it all of yore.

          Has this been thus before? 
              And shall not thus time’s eddying flight 
          Still with our lives our love restore 
              In death’s despite, 
    And day and night yield one delight once more?

Effie Ruskin (Zoe Tapper)

Mais, à part le bonheur de ce bouillon de culture en regardant naïvement une bonne série, Desperate Romantics nous plonge parmi les meilleurs du XIXe siècle : John Ruskin (Tom Hollander, déjà apprécié dans Any Human Heart), l’homme de génie qui fait et défait les artistes à la point de sa plume mais aussi l’homme secret qui ne touchera jamais sa splendide femme, Effie (Zoe Tapper) pendant les cinq années de leur mariage, Charles Dickens, le premier des critiques frondeurs contre les Préraphaélites dont la langue acerbe est aussi bien pendue que sa longue barbe mais encore William Morris et "Ned" Burne-Jones, malheureusement légèrement sous-développés dans la série malgré leurs talents respectifs. Quel dommage d’en faire principalement de fangirls aux trousses de Gabriel.

Fred Walters (Sam Crane)

Et au milieu de tous ces personnages extraordinaires se cache Fred Walters, un membre de la confrérie préraphaélite qui parait presque totalement fictif mais qui semble être un de leurs nombreux associés, tapis dans l’ombre. (Pour mieux connaitre Fred, suivez cette page). Fred joue les narrateurs mais il représente aussi tous ceux qui aspirent à faire partie de cette confrérie, remplie de gens extraordinaires mais aussi de personnes sans prétention qui sont capables de révolutionner leur époque s’ils suivent les mêmes idéaux pour devenir plus que de simples inconnus. Si vous vous reconnaissez en Fred, c’est que vous aussi vous prétendez à faire partie de la PRB (Pre-Raphaelite Brotherhood) avec deux siècles de retard mais rien ne dit que, quelque part, une nouvelle PRB n’est pas en marche, prête à vous accueillir.

The PRB

Pour mieux se documenter

Après avoir regardé Desperate Romantics, si vous avez comme moi envie de tout connaitre de ces trois là et de toute la PRB, c’est que vous êtes normalement constitué. Comme je ne connais aucune parfaite bibliographie sur la PRB à vous conseiller, la BBC est toujours là quand on a besoin d’elle grâce à ses documentaires de qualité comme celui qui suit, très, très bien fait :

Où se procurer Desperate Romantics ?

Le DVD de Desperate Romantics est disponible à l’achat pour EUR 12, 15 (avec sous-titres en anglais uniquement)


Classé dans:Angleterre, Art, BBC, Charles Dickens, Dante Gabriel Rossetti, Desperate Romantics, Jane Austen, John-Everett Millais, Poésie, Pré-Raphaelite Brotherhood, Séries TV Tagged: Aidan Turner, Amy Manson, Dante Gabriel Rossetti, Elizabeth Siddal, Jane Austen, Jennie Jacques, John-Everett Millais, pre raphaelite brotherhood, Pre-Raphaelite Brotherhood, Rafe Spall, sam crane, Samuel Barnett, Tom Hollander, William Holman Hunt, Zoe Tapper

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