Bruno,
Quand tu liras cette lettre je serais partie. J'espère que tu sauras pourquoi; mais puisque je prends la peine de t'écrire, je vais tout de même te l'expliquer. Depuis deux ans, tu n'es plus le même : cette promotion au rang de chef boucher au centre Leclerc de Limoges t'a rendu invivable, écœurant même!! Et nous, nous qui étions si proches, nous nous sommes inexorablement éloignés... Pourrais-tu dire encore le contraire?
Aujourd'hui c'est avec tristesse que je me rappelle comme nous étions complices. Tu étais drôle, nous nous amusions tout le temps...
Nous avions aussi cette passion commune pour la trans-avant-garde piémontaise et l'abstraction, hyperréaliste suédoise. Tout allait pour le mieux puis, suite à ton avancement, tu as commencé à rentrer de plus en plus tard le soir. Tes centres d’intérêt se sont amenuisés peu à peu, jusqu’à ce que tu ne parles plus que de lardons, de boudins et de salades de museau...
Alors, je préfère partir maintenant, sinon je sens que je vais devenir folle. Ou pire encore, je crains de commettre l'irréparable. Car je ne supporte plus rien de toi : tes couteaux sales qui trainent dans la maison, tes ongles de doigts de pieds sur la table du salon ou un vieux mégot de Fine 120 écrasé dans une boîte de paré... tous ça me dégoûte... Et de te voir, c'est pire que tout! Toi, ta calvitie, ton air maussade... Quand je te vois regarder Ally McBeal avec tes collègues, vous gavant de cervelas, de pieds de porc et d'autres charcuteries lourdes comme votre humour, j'ai envie de pleurer. Mais quand vous vous mettez ensuite à parler de la fabrication des rillettes, j'ai carrément envie de vomir.
Ça me rend dingue...à tel point que c'en est devenu physique : je ne peux plus avoir de rapports avec toi sans avoir l'impression d'être un jambon que tu découennés. C'est répugnant, je te jure.
Bruno, j'ai trente huit ans, j'ai encore le temps de refaire ma vie. Je vais le faire. Tout ce que je peux espérer pour toi, c'est que tu trouves une bonne grosse charcutière à ton goût.
Ps : Ne cherche pas à me retrouver, je t'en prie. Ta tête de veau, je ne veux plus la voir.