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Impressions de Richelieu (II) : Jordi Savall et Xavier Díaz-Latorre, compagnons d'excellence

Publié le 16 août 2013 par Jeanchristophepucek

 

Jordi Savall Xavier Diaz-Latorre Richelieu 11 08 2013

Jordi Savall et Xavier Díaz-Latorre, 11 août 2013
Photographie de Nicolas Boyer

 

Il est d'usage qu'un festival s'achève sur un bouquet final. La 7e édition du Festival de musique de Richelieu n'a pas fait exception à cette règle et l'a même outrepassée en proposant, peut-être avec un secret clin d’œil à la munificence cardinalice, non pas un, mais deux concerts réunissant un duo d'artistes qu'unit depuis longtemps une belle complicité au service de la musique ancienne et baroque, Jordi Savall et Xavier Díaz-Latorre.

 

Sous un généreux soleil d'août, le Dôme, comble et concentré, a chaviré aux deux programmes à la fois très différents et parfaitement complémentaires judicieusement proposés par les organisateurs et les musiciens et qui pouvaient séduire aussi bien les auditeurs néophytes que les plus confirmés. Le premier, intitulé Ostinatos et improvisations, constitue une illustration des explorations menées par le maître catalan depuis la fin des années 1990, faisant la part de plus en plus belle aux capacités d'invention à partir d'un thème donné

Jordi Savall Richelieu 11 08 2013
qui étaient autrefois un des critères majeurs permettant de juger de la qualité d'un musicien. Convoquant tour à tour quelques recercadas du Trattado de Glosas sobre clausulas... (Traité de l'ornementation des cadences... ), premier recueil destiné à la viole de gambe publié à la fin de 1553 à Naples par l'Espagnol Diego Ortiz, des pièces de caractère tirées des Musicall Humors (1605) du mercenaire anglais Tobias Hume, redécouvert par Jordi Savall au début des années 1980, et deux pièces pour guitare de Gaspar Sanz, qui sont toutes autant de canevas à partir desquels l'imagination de l'interprète se doit de broder et d'embellir, les deux compagnons ont fait surgir tantôt les échos de lointaines batailles (Hume, A Souldiers Resolution) ou de levers de rideau (Harke, harke, aujourd'hui un classique de la littérature pour viole), tantôt les mille couleurs et ondoiements de la danse, noble passamezzo « à l'ancienne », Ruggiero goguenard, Romanesca à la fois chaloupée et subtilement lyrique, dont l'exaltation a complètement enflammé la dernière partie, composée de trois improvisations dont l'allure très libre dissimule tout ce qu'elles ont de parfaitement maîtrisé et réfléchi, d'un récital qui s'est achevé au milieu des flammèches d'une Gallarda Napolitana rien moins qu'incandescente.

Plaintes et folies, le second concert, était un régal pour tous ceux qui suivent la carrière de Jordi Savall depuis longtemps et se réjouissent toujours de le voir revenir à la musique baroque française, pour la redécouverte de laquelle il a œuvré avec une remarquable ténacité depuis le milieu des années 1970. Autant Ostinatos et improvisations était un récital souvent solaire,

Xavier Diaz-Latorre Richelieu 11 08 2013
autant celui-ci développait une atmosphère plus ombreuse qui, par le choix de compositeurs comme les Sainte Colombe père et fils ou Marin Marais, évoquait fortement celle de Tous les matins du monde. Cette douce mélancolie, pas celle qui abat mais plutôt celle qui berce, celle que Victor Hugo définissait, dans Les Travailleurs de la mer, comme « le bonheur d'être triste », a peut-être trouvé sa plus parfaite expression dans une lecture miraculeuse de la Chaconne de Robert de Visée par Xavier Díaz-Latorre qui, non content d'être un continuiste attentif, précis et inventif, s'est révélé un soliste de grande classe dans chacune de ses interventions, déployant un toucher à la fois virtuose et d'une admirable finesse au service d'une sonorité à la fois charnue et translucide qui, magnifiée par l'acoustique du Dôme de Richelieu (saluons la clairvoyance des organisateurs quant au choix du lieu), a suspendu le temps et suscité des murmures unanimes d'admiration, et dans celle, tout aussi réussie, des Voix humaines de Marin Marais où Jordi Savall rejoignait le théorbiste pour un moment d'une extraordinaire densité émotionnelle et humaine. Comme pour renouer le fil avec le concert précédent, ce second récital s'achevait avec les Folies d'Espagne du même Marais, morceau de bravoure enlevé avec un panache qui faisait définitivement oublier quelques intonations hasardeuses entendues dans les premières pièces.

Lentement, on a repris l'allée du parc qui rejoint la ville toute proche, la tête encore pleine de ces rythmes et de ces harmonies qui se fondent si naturellement dans un cadre imaginé au XVIIe siècle comme un idéal. Les sourires et les échanges lors du dîner avec les deux musiciens en disaient long sur le bonheur que tous éprouvaient d'être rassemblés par la musique dans un paysage qui semble l'appeler aussi spontanément. Puis vint l'heure des au revoir qui arrive toujours trop tôt mais contient, comme un filigrane d'or, la promesse des retrouvailles. L'année prochaine, on refera bien volontiers, si la vie le permet, le chemin vers la cité du Cardinal, on espérera y croiser de nouveau la route de Jordi Savall et Xavier Díaz-Latorre si leurs pas les y reconduisent aussi, on se réjouira de découvrir les surprises et les rencontres qu'artistes et organisateurs auront à cœur de nous préparer. Qu'elles soient baroques ou romantiques, peut-être un jour médiévales ou renaissantes, puissent les musiques continuer longtemps à rêver avec nous sous les frondaisons de Richelieu.

 

Festival de Musique de Richelieu 2013
7e Festival de musique de Richelieu, Dôme de Richelieu, 11 août 2013

 

I. Ostinatos et improvisations, œuvres de Diego Ortiz, Tobias Hume, Gaspar Sanz, Antonio Valente et anonymes

 

II. Plaintes et folies, œuvres de Sainte Colombe père et fils, Marin Marais, Johann Sebastian Bach et Robert de Visée

 

Jordi Savall, basse et dessus de viole
Xavier Díaz-Latorre, guitare et théorbe

 

Rappel discographique :

 

Ostinato Hesperion XXI Jordi Savall
Ostinato, 1 CD Alia Vox AV 9820. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extrait proposé :

 

1. Improvisation : Canarios

 

Les Voix humaines Jordi Savall
Les Voix humaines, 1 CD Alia Vox AV 9803. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

 

Extrait proposé :

 

2. Marin Marais (1654-1728), Les Voix humaines (version pour viole seule de Jordi Savall)

 

Crédits photographiques :

 

Les trois clichés illustrant cet article sont de Nicolas Boyer, que je remercie de m'avoir autorisé à les utiliser.


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