A Albertville, les montagnes sont arrondies, harmonieuses.
Je prends l’autoroute vers Turin. Plein sud. Le paysage s’élève et se resserre,
s’assombrit et se durcit. L’entrée en Maurienne se fait par des tunnels sous la
roche, par un étroit passage au milieu d’un défilé minéral couronné de nuages.
Il se conquiert difficilement, le berceau de la maison de Savoie.
Saint Jean de Maurienne. Déjà l’Italie. Sur les panneaux, on
ne voit pas écrit Turin mais Torino. Les façades sont peintes, le baroque
s’exhibe à chaque coin de rue, le linge pend aux fenêtres, le soleil tape fort
entre deux averses. Contrée grise aux gens discrets. Fierté des racines et de
l’Histoire. Grande, l’Histoire, celle qu’on nous raconte au musée, celle qui
transpire des vieux murs et des portes lourdes. Beauté cachée au détour d’une
ruelle, au cœur du cloître de la cathédrale. Paix et noblesse.
Au revoir aux murailles qui protègent la cité comme un
écrin. Au revoir aux paysages âpres et sauvages, aux gens à l’approche
énigmatique et à l’âme forte. Sortie de la ville par le même défilé rocheux qui
se referme derrière ma voiture, comme un passage secret dont il faut détenir
les codes pour y accéder. La Maurienne ne s’offre pas, lascive et opulente,
comme la vallée de Chamonix, la Haute Savoie du Mont Blanc. La Maurienne se
gagne et elle gagne le cœur, elle s’apprivoise, gibier farouche, pénétrante
tel le regard indompté du bouquetin
quand il fixe l’homme de ses yeux de charbon et le laisse marqué à jamais.
Le tonnerre claque, la cage thoracique résonne encore, bien
des heures plus tard.