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« Elysium » de Neill Blomkamp

Publié le 18 août 2013 par Boustoune

En 2009, Neill Blomkamp faisait une entrée fracassante dans le paysage cinématographique mondial en signant District 9, un film de science-fiction à la fois spectaculaire et intelligent, bricolé avec un budget dérisoire pour une production de cette ampleur. Alors forcément, les producteurs hollywoodiens lui ont fait un pont d’or, proposant de financer un nouveau film d’action et de science-fiction, Elysium.
On était curieux de voir si le cinéaste allait pouvoir s’exprimer avec autant de panache et d’insolence que son premier film, dans le cadre beaucoup plus rigide des studios américains et du formatage imposé aux blockbusters.

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Comme District 9, l’action d’Elysium se déroule dans un futur relativement proche.  En 2154, pour être précis. La Terre est devenue surpeuplée et sur-polluée. Pendant que des millions d’individus tentent de survivre dans cet environnement très rude et dangereux, qui favorise les actes criminels, les plus aisés habitent une station orbitale située entre la Terre et la Lune, Elysium. Un endroit luxueux équipé de tout le confort moderne, y compris des caissons médicaux capables de soigner en quelques secondes n’importe quelle maladie, y compris des cancers en phase terminale.

Max (Matt Damon), le personnage principal, rêve d’aller y vivre un jour. Il se l’est promis, enfant, alors qu’il était à l’orphelinat et a promis d’y emmener son amie Frey (Alice Braga). Mais évidemment, entre le rêve et la réalité, le chemin est long et tortueux… Pour survivre, il est devenu voleur de voitures et, fatalement, a fini par se faire arrêter. Après quelques années de détention, il est déterminé à retrouver le droit chemin, à travailler dur et à économiser chaque centime pour se payer un billet pour Elysium. Et les retrouvailles avec Frey, devenue infirmière, ne font que renforcer sa motivation, même si une vie de labeur tout entière ne suffirait pas à amasser une somme suffisante pour atteindre son objectif.
Mais les choses se compliquent quand Max est victime d’un accident de travail. Pour avoir tenté de réparer un sas défectueux, dans l’usine d’assemblage de robots qui l’emploie, il est exposé à une dose létale de radiations. Son patron, grand seigneur, le libère de ses fonctions et lui offre une boîte de gélules anti-cancéreuses qui lui permettront de profiter des cinq jours qui lui restent à vivre.

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Le seul moyen de sauver sa peau est de se rendre clandestinement sur Elysium et de trouver un caisson médical. Mais même pour cela, il faut payer le prix fort. Un passeur de sa connaissance, Spider (Wagner Moura) lui propose un marché, que Max n’a d’autre choix qu’accepter : le voyage vers Elysium contre sa participation à l’enlèvement d’un riche hommes d’affaires. Mais tous ignorent que l’homme en question (William Fichtner) est en possession de données capitales, menaçant la sécurité d’Elysium. La Secrétaire Delacourt (Jodie Foster) est prête à tout pour récupérer ces informations et envoie une armée aux trousses de Max et son équipe…

On retrouve là tout ce qui faisait le charme de District 9 : un univers futuriste cohérent, où humains et androïdes cohabitent, un récit d’aventures trépidant entrelacé avec une fable politique et humaniste, décrivant un “apartheid” entre des puissants et des opprimés, et le soulèvement de certains individus contre l’ordre établi…
Mais on en retrouve aussi tous les défauts. L’aspect politique de l’oeuvre est rapidement balayé au profit de l’action pure et dure et la psychologie des personnages est également reléguée au second plan. Soit le syndrôme-type du blockbuster hollywoodien. Idem au niveau des personnages. On passe rapidement à une configuration assez manichéenne entre le “gentil” Matt Damon et les “méchants”, emmenés par Sharlto Copley, l’acteur-fétiche du cinéaste.
Certains jugeront d’ailleurs caricaturale cette opposition entre les riches – tous Blancs, amateurs de musique classique et francophones – et les pauvres – essentiellement Noirs ou Latino, et amateurs de rap – et dénonceront le côté simpliste du discours politique de Blomkamp.

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D’accord, la démonstration manque de nuances, mais le propos est-il si absurde que cela?
Puisque la partie “terrienne” du film se déroule à Los Angeles, regardons un peu la situation de la ville de nos jours. Il y a déjà une séparation physique entre les pauvres et les riches, ces derniers habitant des villas de luxe dans les beaux quartiers, pendant que les moins aisés vivent dans des taudis dans le centre-ville, voire dans la rue, sous les bretelles d’autoroute. Les classes les plus aisées sont composées majoritairement de Blancs – les fameux WASP – même si certaines personnes issues de minorités ethniques parviennent désormais à intégrer ce cercle social très fermé. Le reste de la population est mixte, mais les experts démographiques ont déjà mis l’accent sur l’hispanisation des Etats-Unis, en citant cette ville en exemple. Pas de quoi crier au scandale, donc, en voyant certains personnages parler espagnol dans le film…
Et évidemment, le taux de criminalité est plus élevé dans les bas-quartiers que dans les banlieues cossues. Tout du moins, les actes délictueux ne sont pas de la même nature…
Alors oui, les riches ne sont sûrement pas tous amateurs de musique classique et ils ne s’expriment pas tous dans la langue de Molière. Mais, statistiquement, il y a plus de chance de trouver des individus répondant à ces critères – dénotant sans doute une forme de snobisme pour le cinéaste – parmi les classes aisées que parmi les classes populaires. Non?

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Neill Blompkamp fait du cinéma d’anticipation. Il s’empare de problèmes contemporains bien réels et imagine ce qu’ils pourraient donner, un siècle plus tard.  Aujourd’hui, l’état de la planète s’aggrave chaque jour un peu plus. La pollution augmente, du fait d’une activité humaine croissante et de l’essor industriel de pays comme la Chine, l’Inde et le Brésil, entres autres.  La surpopulation est déjà un problème dans certaines régions du globe, où il n’y a pas suffisamment de nourriture, d’eau et de ressources à partager. Ou de médicaments, pour parler d’un problème d’actualité brûlant.
Si on veut être un minimum objectif, il faut bien reconnaître que le fossé s’accroît chaque jour un peu plus entre les individus les plus fortunés de la planète, qui continuent d’engranger les bénéfices, et les autres, qui galèrent chaque jour pour vivre décemment. Et la crise dont on entend tellement parler n’arrange rien. A terme, une poignée d’individus auront les richesses et le pouvoir, et pourront quitter une planète devenue invivable tandis que les autres individus seront condamnés à rester sur Terre et à lutter pour leur survie.
La situation qu’il décrit dans le film est suffisamment crédible et proche de nous pour nous interpeller, nous interroger sur les dérives de nos sociétés contemporaines et réfléchir aux solutions pour éviter que ce cas de figure n’arrive dans un ou deux siècles.

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Il y a aussi une donnée non-négligeable à intégrer pour comprendre la démarche du cinéaste. Neill Blomkamp est Sud-Africain. Il a vécu l’apartheid et, même s’il était du “bon côté de la barrière”, il a été frappé par l’injustice de cette ségrégation raciale. C’est ce qui l’a poussé, quelques années plus tard, Alive in Joburg, puis District 9. La notion de barrière, de séparation, d’aliénation est au coeur de son oeuvre.
Il s’est forcément ému, à son arrivée aux Etats-Unis, de l’existence de ce gigantesque mur de séparation à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique. Et c’est probablement cela qui a inspiré Elysium. Car à y regarder de plus près, si vous remplacez la Terre – et Los Angeles – par le Mexique et Elysium par les Etats-Unis, la situation est conforme à la réalité contemporaine. Il y a d’un côté le pays puissant, riche et opulent – du moins tel qu’idéalisé par les migrants. De l’autre le pays pauvre. Là où ont été délocalisées les usines des grosses compagnies américaines et où des ouvriers travaillent pour des salaires de misère, dans un environnement souvent dangereux. Tous les jours, des centaines de mexicains tentent de franchir la frontière clandestinement, pour voir si l’herbe est plus verte de l’autre côté du mur. Ils doivent s’acquitter d’une petite fortune auprès de passeurs peu scrupuleux pour entamer un périple périlleux, qui finit souvent par une arrestation musclée par la police des frontières, voire par une mort brutale.
Ce n’est pas un cliché, c’est une réalité que dénonce le cinéaste, à sa façon.  N’en déplaise aux grincheux, Elysium est bien un film politique.

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Mais c’est aussi et surtout un film d’aventures et d’action efficace, qui porte indéniablement la griffe de Neil Blomkamp.
On retrouve son goût pour les robots et les vaisseaux spatiaux, les courses-poursuites haletantes et les combats féroces. Si le cinéaste a bénéficié d’un budget plus confortable que pour District 9 (1), il a judicieusement choisi de ne pas abuser des effets spéciaux, pour conserver l’aspect “réaliste” du récit. Les fonds ont été plutôt investis dans le traitement des images, assez léchées, plus belles en tout cas que l’image vidéo bricolée de ses premiers films. Et dans le casting, bien sûr, Matt Damon et Jodie Foster en tête. Le premier est impeccable dans la peau de ce rebelle luttant à la fois pour sa survie et pour faire triompher ses idéaux de justice sociale et d’égalité. La seconde manque un peu de vice pour incarner la sournoise secrétaire Delacourt, qui intrigue pour obtenir le pouvoir et est prête à user de la force brute pour massacrer tout intrus dans sa station, mais elle s’en sort avec les honneurs.

Elysium allie donc les qualités d’un blockbuster soigné et d’une fable d’anticipation intelligente. Un grand spectacle mené sur un rythme effréné qui véhicule un message humaniste, un appel à la révolte contre les injustices et une réflexion sur l’avenir de la planète et la redistribution des richesses. Pas mal pour un simple film de divertissement, même s’il lui manque encore le petit quelque chose qui en ferait une véritable réussite du genre. En tout cas, Neill Blomkamp s’affirme un peu plus comme un cinéaste à suivre.


(1) : 100 M$, soit plus de trois fois le budget de
District 9

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Elysium
Elysium

Réalisateur : Neill Blomkamp
Avec :Matt Damon, Alice Braga, Sharlto Copley, Jodie Foster, Diego Luna, William Fichtner, Wagner Moura
Origine : Etats-Unis
Genre : anticipation
Durée : 1h50
Date de sortie France : 14/08/2013
Note pour ce film : ●●●●●
Contrepoint critique : A voir et à manger

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