Au
lendemain du Día de San Martín, le 17 août 2013, qui vaut à
l'Argentine la torpeur d'un long week-end hivernal, puisque lundi
sera férié, l'irrévérencieux dessinateur de presse Miguel Rep, que mes
lecteurs connaissent bien, a renouvelé son hommage au héros
national (1778-1850), dont vous savez désormais qu'il est mort sur
le sol français, deux jours après l'Assomption, dans la belle ville
de Boulogne-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais (j'ai eu l'occasion d'en parler assez longuement hier sur Concepto FM, en direct et... en espagnol !).
L'année
dernière déjà, alors que je mettais la dernière main à la énième
épreuve de San Martín, à rebours des conquistadors (Editions du
Jasmin, décembre 2012), le même artiste s'était fendu d'une
vignette pas piquée des hannetons que je vous avais déjà traduite
(et dont vous comprendrez mieux les subtilités après avoir lu mon
bouquin) – voir l'article du 30 octobre 2012.
Voici
la vignette de cette année, parue dans Página/12 en ce long
week-end et reproduite aussitôt dans le blog du peintre. Il y a bien entendu deux grilles de lecture, l'une
historique (l'Argentine était alors encore plongée dans une guerre
civile entre fédéraux et unitaires) et l'autre partisane, qui ne
quitte pas d'un pouce l'actualité politique de cette campagne
électorale où tous les partis défouraillent à tout va.
"Je
suis José de San Martín. Je suis mort hier, mon corps n'aura plus
jamais mal aux dents (1). Ce n'est plus qu'une crampe étrangère
(2). Pour ma part, je suis désormais ailleurs. Ma fille reste là,
avec les problèmes de succession (3). Maintenant je vois tout, moi
qui étais privé de tout par la cataracte. Je vois Boulogne, la mer,
les couleurs de l'été (4). Je vois une poignée de gens qui
viennent saluer mes restes (5). Je vois ce que je n'ai jamais aimé
chez les gens. Ceux qui jouent les bons apôtres. Ils passent leur
temps à t'embobiner. Sourires, belles paroles et trahison. Un vrai
truc de politicien. Je ne suis pas, je n'ai jamais été bien commode
(6). J'aurais dû écrire cette maxime (7) : Ne te fie pas
à ceux aux saintes-nitouche. Et mon pays en est rempli (8). Ils
arrivent tout d'un coup, ils coupent la parole avec leur petit
sourire faux-jeton et leur vide sidéral. Enfin ! j'espère
qu'ils finiront par apprendre quelque chose ! J'ai toujours
pensé aux autres. Serait-ce cela, l'immortalité : être
lucide ? L'immortalité durera-t-elle longtemps ou a-t-elle une
fin ? L'immortalité est-elle mortelle ? (9) Et puis flûte,
que m'importe si je ne l'ai pas méritée ? Qu'ai fait [après
tout] ? Travailler pour l'oubli. Je ne suis pas plus important
que cette mouche sur mon cadavre. Allez, profitez-en bien !" (10)
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
Miércoles
21 de agosto, presentación (en castellano) de San Martín,
à rebours des conquistadors, primera biografía
en francés del General, en el CCC Floreal Gorini, Corrientes 1543,
sala Dubrovsky (3r piso). Entrada libre y gratuita.
(1)
L'expression originale argentine est "avoir
des fourmillements"
(2)
Allusion à la description de sa mort par les témoins oculaires.
(3)
Allusion probable au leg de son cimeterre à Juan Manuel de Rosas
(1793-1877), alors Gouverneur fédéral de la Province de Buenos
Aires (et pas tendre avec ça), qui rendit furieux les unitaires qui
estimaient que ce sabre ne pouvait pas revenir à cet assassin de
Rosas. San Martín
récompensait par ce don posthume le courage et le patriotisme dont
Rosas avait fait preuve au cours des années 1840 contre les Français
et les Britanniques qui avaient tenté d'imposer leur loi à le toute
jeune Argentine.
(4)
En Argentine, le mois d'août renvoie à l'hiver.
(5)
La famille Balcarce-San Martín, autour de Mercedes, la fille, se conformant aux dernières volontés du défunt, était restée
très discrète sur ce décès jusqu'au jour de la sépulture.
(6)
C'est surtout une légende en ce qui le concerne. Il n'était pas
tendre avec les traîtres mais avec les personnes de bonne foi, ses
contemporains ont toujours décrit un homme délicieux, aimable,
conciliant au-delà de l'imaginable et personnellement très
attachant. C'est bizarre de trouver cet élément de la légende
mitriste sous la plume d'un journaliste de Página/12.
(7)
Allusion à un texte de San Martín
que les Argentins apprennent par cœur
à l'école et qu'en général, devenus adultes, ils vomissent tant
ils l'interprètent de travers. Mais il faut voir aussi comment c'est
enseigné aux gamins. Tout est dans la biographie que j'ai publiée aux Editions du Jasmin.
(8)
Et une cuillerée pour l'opposition !
(9)
Je suppose qu'il y a là une allusion à la réputation de philosophe
qui s'attache, non sans raison, à San Martín.
Encore que sa philosophie n'ait jamais semblé très portée sur la
métaphysique...
(10)
Je suppose qu'il parle ici du long week-end et du jour férié de
lundi.