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[Critique] DRESSÉ POUR TUER

Par Onrembobine @OnRembobinefr
[Critique] DRESSÉ POUR TUER

Titre original : White Dog

Note:

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Origine : États-Unis
Réalisateur : Samuel Fuller
Distribution : Paul Winfield, Kristy McNichol, Burl Ives, Christa Lang, Dick Miller, Samuel Fuller, Vernon Weddle, Jameson Parker…
Genre : Drame/Adaptation
Date de sortie : 7 juillet 1982

Le Pitch :
Alors qu’elle roule dans les collines au-dessus de Los Angeles, Julie, une jeune actrice en herbe, renverse accidentellement un chien. Tandis que le vétérinaire, chez qui elle conduit immédiatement l’animal, lui assure de la bonne santé de ce dernier, Julie décide de garder le chien en attendant que son propriétaire se manifeste. Affectueux, l’animal se montre néanmoins curieusement agressif avec certaines personnes. Après que son amie se soit justement fait mordre, Julie décide de demander conseil auprès d’un dresseur professionnel. Ce dernier découvre immédiatement que le chien est en réalité un chien blanc, à savoir une bête élevée dans la haine raciste et dressée pour s’en prendre à toute personne à la peau noire qui croise son chemin…

La Critique :
Malheureusement, Romain Gary est parti trop tôt pour voir l’adaptation de son livre, Chien blanc, par le grand Samuel Fuller. Décédé en 1980, soit dix ans après la publication du roman et deux ans avant la sortie sur les écrans du film, Romain Gary raconte dans cet ouvrage une histoire vraie. En grande partie autobiographique, Chien blanc revient en effet sur Batka, un Berger Allemand recueilli par Gary et par son épouse, l’actrice Jean Seberg, alors qu’ils vivaient à Hollywood. Un chien qui se révéla être un chien blanc, à savoir un animal dressé spécifiquement pour n’attaquer que les noirs. Un phénomène tragiquement répandu dans les états du sud du pays, où le racisme était clairement affiché et revendiqué dans les années 50/60/70 et plus généralement depuis l’abolition de l’esclavagisme par Lincoln en janvier 1863.
Il est aisé de comprendre les motivations de Samuel Fuller, ou du moins peut-on les imaginer. Lui qui a notamment participé aux débarquements de Normandie, de Sicile ou encore D’Afrique du Nord et qui a donc combattu le fascisme, alors que celui-ci s’exprimait au travers de l’une des ses formes les plus abjectes (soit dit en passant, Au-Delà de la Gloire, film réalisé par Fuller avant Dressé pour tuer, relate l’expérience sur le front du réalisateur, quand il faisait partie de la fameuse Big Red One).

Cela dit, Dressé pour tuer se centralise véritablement sur le racisme américain, inhérent à des organisations haineuses comme le Ku Klux Klan. Et ce via un angle d’attaque original certes, mais permettant surtout au cinéaste de conférer à son récit une puissance évocatrice rare, doublée d’une réflexion sur la cause animale (bien que concernant ce dernier point, le film s’avère quelque peu maladroit).
Le vecteur du racisme est ici un chien. En choisissant de remplacer Romain Gary, dans le rôle du personnage principal (celui qui trouve le chien), par une jeune actrice en herbe, le script de Fuller et de Curtis Hanson, cherche à provoquer un choc encore plus grand en confrontant la naïveté de la jeune comédienne et la superficialité du milieu du cinéma hollywoodien, avec la cruauté et la gravité du racisme (tout en profitant de l’occasion pour égratigner le milieu du cinéma).
Lorsque le chien entre dans la vie de Julie, l’actrice en question, sa vie change à jamais. Partenaire idéal occupant la double fonction de compagnon/protecteur, l’animal sauve dans un premier temps Julie d’un viol certain et gagne par cela sa légitimité et sa place dans l’existence de celle qui ne songeait jusque là qu’à retrouver le véritable propriétaire de la bête. Vient alors le choc. Celui du premier meurtre, se déroulant dans le dos de la jeune fille, à qui la vérité ne sera pas cachée bien longtemps.
Cette escalade progressive, remarquablement orchestrée et parcourue d’accents de violence sourde, contribue à l’identification au personnage principal. Partant d’une situation simple et banale (on trouve un chien, on s’attache et on décide de la garder), Dressé pour tuer bascule dans l’horreur. Pas celle d’un Cujo, mais bel et bien celle qui règne sur le monde depuis toujours. Élevés dans la crainte des noirs, qui leur étaient désignés comme l’agresseur suprême, ces chiens, d’abord chargés de s’occuper des esclaves en fuite, ont ensuite été utilisés pour mettre à exécution la haine de leur maître envers ceux que l’on avait affranchi. Tragique réminiscence d’une époque que les États-Unis cherchent encore aujourd’hui à oublier, sans cesse ramenés en arrière par des individus à la nostalgie malsaine, le chien blanc est à juste titre décrit dans le récit comme une victime de plus d’un engrenage vicieux.

Avec Dressé pour tuer, Samuel Fuller, comme Romain Gary avec son livre, nous met face à face avec la mort et les conséquences de manigances que l’on aimerait oublier. C’est là qu’intervient le personnage de Keys, un dresseur noir, persuadé de pouvoir guérir le canidé de son mal et ainsi contrer à sa façon les attaques de ceux qui continuent à persécuter les gens à la peau noire. En seulement deux scènes, le film exprime ces thématiques et le combat d’un homme face à un fléau pernicieux. La première voit l’homme et le chien se faire face, lors de leur première rencontre. Le premier voit le mal dans les yeux d’un animal transformé en arme, mais voit aussi le bien qui persiste chez une créature innocente. Face à un animal qui personnifie son pire ennemi, il parvient à entrevoir le salut. Le second, le chien, ne voit que le noir. Celui que la violence a érigé dans son esprit comme la cible à abattre. Au fur à mesure, le travail sur le chien est retranscrit à l’écran comme un dialogue. L’échange est violent, difficile et pour le spectateur, souvent anxiogène, compte tenu des enjeux qu’il symbolise.
La deuxième séquence à retenir se situe dans le dernier tiers du métrage, quand le renoncement pointe le bout de son nez chez la maîtresse du chien, alors que jusqu’ici, sans avoir eu à s’impliquer totalement dans le processus de guérison et donc à en supporter les conséquences, cette dernière voulait à tout prix voir son compagnon débarrassé de ses habitudes meurtrières. Keys, le dresseur, livre alors un discours vibrant, porté par la performance habitée et viscérale du regretté Paul Winfield. Lui symbolise la résistance et l’absence de renoncement face au cancer galopant du racisme, tandis que Julie, elle aussi parfaitement incarnée par la débutante Kristy McNichol, personnifie l’innocence bientôt bafouée.
Dans une cohérence parfaite, Dressé pour tuer est très clair quant à son sujet. Jamais il ne modère, jamais il ne tombe dans les clichés faciles, et jamais il n’est complaisant. Le mal véritable, à savoir, le véritable maître du chien blanc ; celui qui a inculqué sa haine à l’animal, n’intervient que brièvement, et là encore, le film fait mouche, dans sa capacité à traduire la banalité d’émotions contre-natures et violentes.

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Samuel Fuller accompagné de l’un des cinq chiens employés dans le film, pendant le tournage.

Chef-d’œuvre sans concession, Dressé pour tuer ne dévie jamais de sa route. Des films comme celui-là, on en fait plus. La réalisation de Fuller, sobre et parfaitement à propos, les acteurs et la narration directe, appartiennent à une époque où le septième-art se faisait souvent le média des grands combats de l’humanité. Aujourd’hui aussi bien sûr, le cinéma charrie des valeurs humanistes, mais il y a quelque chose dans le film de Fuller qu’il serait impossible de retrouver de nos jours. Une question de conjoncture probablement. Tourné au début de années 80, Dressé pour tuer met le nez d’un pays (et pas que) droit dans sa merde. Il souligne le caractère insidieux du racisme et sa tragique capacité à perdurer au travers des générations.
Au centre de tout cela se trouve l’animal. Lui qui n’a rien demandé et qui, comme énoncé plus haut, est aussi une victime. Pas évident d’arriver à éprouver de la pitié pour un chien qui lorsqu’il en a l’occasion, se jette sur les noirs pour les égorger… Et pourtant, le film y parvient. Sans en faire des caisses, mais en laissant la puissance de l’histoire prendre les commandes. Dévoué, Fuller sait que les images parlent souvent avec plus d’éloquence que les mots. Son film fait en fait l’économie, du moins dans les moments importants. Dès lors, l’œuvre tient aussi parfois du plaidoyer pour la cause animale et des dégâts que peut engendrer une éducation vérolée par la violence et par la bêtise.

Totalement éloigné des canons du film d’horreur basique, Dressé pour tuer est un drame. Une tragédie totale où l’espoir cherche à tout prix à percer, sans cesse harcelé par des démons à la peau dure. Un de ces uppercuts qui ont la hargne suffisante pour vous mettre au tapis à la bande-originale pénétrante et troublante signée Ennio Morricone.

À noter qu’il s’agit ici du dernier film de Samuel Fuller, tourné sous la supervision d’un studio hollywoodien. Dans l’incapacité de tomber d’accord avec la Paramount qui voulait remonter le film, Fuller parti en Europe où il put sortir sa version. En 1984, Dressé pour tuer fut néanmoins exploité aux Etats-Unis dans une version édulcorée et racoleuse destiné à la télévision.

@ Gilles Rolland

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Crédits photos : Paramount


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